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La gestion de l’eau, un savoir-faire ancestral au Maroc

La gestion de l’eau, un savoir-faire ancestral au Maroc

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Aussi anciennes soient-elle, les civilisations de la Méditerranée ont toujours donné une valeur particulière à l’eau. Dans les cultures perse, égyptienne, de la Mésopotamie, amazighe et arabo-musulmane, cette ressource vitale symbolise nature, vie et pureté. «Aman» est d’ailleurs synonyme de vie, que les Touaregs considèrent comme «possibilité d’existence». C’est ainsi que depuis des millénaires, les croyances et les rituels ont érigé l’eau au rang de garantie de la vie sur terre, indissociable de l’abondance. A partir de là, elle a été considérée comme un bien de la collectivité, à gérer et à répartir équitablement pour assurer l’approvisionnement à tous, en veillant bien à sa conservation.

Si les usages ancestraux ont innové dans cette répartition équitable de l’eau, ces pratiques ont trouvé leur prolongement dans des territoires comme la péninsule ibérique sous l’ère califale et après, jusqu’à leur inclusion à la Liste représentative du patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO. Au lendemain de la chute de Grenade en 1492, ces pratiques n’ont en effet pas disparu : dans le temps, la gestion a été du ressort d’une personne de confiance, avec un conseil et un tribunal de l’eau. Institutionnalisées, elles ont perpétué la gestion collégiale, à partir d’usages qui s’avèrent être bien plus anciens. Grâce à une transmission à travers les générations, cette denrée vitale a anciennement été conservée aussi bien dans les zones où elle a été rare que dans les montagnes.

Au fil des siècles, ces traditions ont croisé usages locaux, de méthodes ancestrales depuis des millénaires et des innovations scientifiques. Dans le Maroc actuel, des zones montagneuses et oasiennes sont ainsi connues pour des pratiques anciennes, particulièrement dans les régions connues pour leur activité agricole ou pastorale. Parmi elles, la région de Figuig a eu un rôle économique de premier plan, en tant que point d’approvisionnement et gîte d’étape. Carrefour de savoir et du commerce transsaharien, elle a même eu «une fonction urbaine dans un territoire basé sur la complémentarité» entre oasis et vie nomade.

Photo ancienne de Ksar Ouled Slimane à FiguigPhoto ancienne de Ksar Ouled Slimane à Figuig

La région est connue pour conserver des gravures rupestres, attribuées aux chasseurs-pasteurs du Néolithique. Partie intégrante du territoire des Almohades (1121 – 1269), elle connaît notamment l’édification Ksar el Aïn, près des sources d’eau. Les récits historiques retiennent que Figuig a également abrité des populations de diverses origines, amazighs (zenaga et zenata), arabes, maures andalous et issus d’Afrique subsaharienne, harratins descendants d’esclaves, avec des communautés musulmane et juive. Au XIIe siècle de notre ère, l’ouvrage anonyme «Kitāb al-istibṣār fī ʿajāib al-amṣār» (Réflexions sur les merveilles des villes) a déjà fait mention de la fertilité de l’oasis de Figuig.

Figuig, un savoir-faire dans la gestion de l’eau en oasis

Au XIVe siècle, Ibn Khaldūn a mentionné Figuig pour sa culture du palmier dattier, ainsi que son «rôle redistributif pour les produits apportés par les nomades». Au cours de la même période, l’oasis est en devenue «un lieu de passage incontournable pour les caravanes se rendant au Gourara et au Touat et ainsi un lieu d’échanges pour toute la région», notent Youness Khalloufi et Agnès Charpentier, dans leur article «Figuig et sa région dans l’imaginaire des militaires français au milieu du XIXe siècle», paru dans la Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée (2021).

Figuig sera également mentionnée dans les écrits de Léon l’Africain et de Thomas Shaw. «Toutefois, les progrès de la colonisation priveront, au tout début du XXe siècle, Figuig de son rôle commercial et contribueront à enclaver l’oasis», soulignent les chercheurs. Dans l’ouvrage collectif «Le partage de l’eau (Espagne, Portugal, Maroc)» (2006), l’historien et archéologue Tariq Madani a consacré un article au «partage de l’eau dans l’oasis de Figuig», pour proposer une analyse alliant une approche entre ses deux disciplines de recherche. Il y mentionne la ville et ses ksour comme «un exemple caractéristique des facultés d’adaptation de l’homme face aux fortes contraintes imposées par l’aridité du milieu physique dans le désert maghrébin».

Certifiés Systèmes ingénieux du patrimoine agricole d’importance mondiale (SIPAM) par la FAO et inscrits en 2022, les ksour de Figuig illustrent en effet cet espace dénotant de l’activité économique ancestrale, où l’eau est une denrée indispensable. Il s’agit d’un environnement qui associe agriculture, commerce, artisanat, fonctions culturelles, religieuses et académiques. «En période de sécheresse, la population nomade ruinée campait autour de l’oasis et offrait sa force de travail au ksourien. En années d’abondance, les nomades faisaient des ksour de Figuig le magasin (Makhzen) de leurs productions (animaux, laine, beurre fondu, peaux, cornes)», indique le dossier d’inscription.

Cette mutualité de gestion de l’environnement a soutenu la préservation de l’oasis, qui inclut un système ingénieux d’irrigation de la palmeraie, outre l’architecture liée aux pratiques socioculturelles locales. A ce titre, le dossier souligne que «les ksour sont des communautés distinctes restées longtemps autonomes», chacune dans un ksar possédant sa propre zone de palmeraie exploitée en petites parcelles (jardins) étagées. «Chaque ksar exploite sa ou ses sources, qui parviennent jusqu’aux jardins par un réseau de canaux gérés par divers dispositifs (aiguadier, communauté d’irrigants). Au sein de chaque ksar un maillage institutionnel étroit de groupes et associations (jmâa, associations d’irrigants, de jardiniers, de propriétaires…) gère son fonctionnement loin de l’arbitrage et des orientations politiques municipales», informe la même source.

Autant dire que la société oasienne à Figuig a «développé un modèle ingénieux de distribution et de répartition l’eau adaptée aux conditions locales», dit khettara ou foggara, mais bien différent de celui connu dans d’autres lieux. Dans cette région, ce mécanisme ne daine pas l’eau souterraine. Il permet plutôt d’acheminer celles de sources artésiennes, issues des exsurgences d’une nappe captive qui forme un puits où l’eau jaillit naturellement. D’ailleurs, les ksour de Figuig ont été fondés en fonction des ressources en eau.

Selon l’organisation sociale de l’époque, «la mobilisation, l’entretien des ouvrages d’irrigation, les modalités de distribution et de répartition de la ressource, les techniques de mesure et de comptabilité des droits, le règlement des conflits relèvent d’un droit coutumier». Par ailleurs, «les savoirs, les techniques et les pratiques d’irrigation associés à ce droit constituent un élément majeur de son patrimoine culturel et technique».

Dans l’usage, la répartition est effectuée «en unité de temps de l’eau directement issue des sources via le réseau de distribution», convertible en volume, «quand l’eau de sources est stockée dans un bassin d’accumulation collectif». La quantité livrable dépend du niveau d’eau mesuré, dont chaque unité correspond à un volume en mètre carré. Par ailleurs, le règlement des éventuels conflits et de la gestion de l’eau relève d’une institution «régie par le conseil consultatif du village appelée jmâa», sous forme d’un conseil composé «des sages de chaque lignage du village».

Cette instance se charge également de l’entretien des foggara et des canaux d’irrigation, tandis que celui des canaux principaux «est à la charge de la communauté». Par ailleurs, celui des canaux secondaires est «à la charge du propriétaire de la parcelle qu’ils traversent», alors que «l’achat et la vente se fait à travers la bourse d’eau d’irrigation».

Parmi les mécanismes d’acheminement, les foggaras sont quant à elles conçues pour alimenter les séguias, qui constituent un système ramifié de canaux desservant chaque jardin, par gravité. Le tracé s’adapte à la topographie et intègre la gestion «par un ksar, un lignage ou une famille». Ainsi, «chaque groupe social a son propre réseau», qui achemine les parts d’eau. «Pour préserver cette appropriation privée, il n’est pas rare de trouver de petits ponts qui permettent à deux tronçons du réseau de se croiser, sans mélanger leurs eaux».

Autre élément important du partage de l’eau de source entre les ayants droit, la participation au creusement des foggara et aux efforts de guerre. En d’autres termes, «la distribution de l’eau aux particuliers se fait par rotation dans le temps», grâce à une unité de mesure appelée «kharrouba», l’équivalent d’un tour d’eau de quarante-cinq minutes. Cette unité devient une propriété pouvant obéir aux modes de transmission d’un bien susceptible d’être loué, vendu ou échangé.

Les khettarat, un mécanisme millénaire de l’Orient à l’Afrique du Nord

En dehors de l’espace oasien de Figuig, le premier réseau drainant de khettara tel qu’il est largement connu à ce jour aurait été conçu au début du XIIe siècle par les Almohades. A Marrakech, cette solution de distribution de l’eau a gagné en popularité surtout à partir de 1106, grâce à Oubeid Allah Ibn Youssef, venu d’Al-Andalus. Dans le temps, le nouvel empire est fort de ses vastes étendues en Afrique du Nord et à la péninsule ibérique, où ce territoire a été influencé sur le plan architectural, mais aussi institutionnel. Durant le XIIe siècle, la répartition de l’eau a bien fait partie des aspects de gouvernance dans l’Andalousie califale.

Source : La gestion des galeries drainantes (khettaras) dans l'oasis de Skoura, Maroc - Mhamed Mahdane, Sylvain Lanau, Thierry Ruf et Marie-Jeanne ValonySource : La gestion des galeries drainantes (khettaras) dans l’oasis de Skoura, Maroc – Mhamed Mahdane, Sylvain Lanau, Thierry Ruf et Marie-Jeanne Valony

Ce système est inspiré d’usages anciens, notamment en Perse, qui a connu le développement des qanât il y a 3 000 ans, en plus largement en Orient. Evoquant cette évolution, l’Association l’eau du désert rappelle que les origines de cette infrastructure hydraulique remonte même à «l’antiquité reculée puisqu’on en trouve déjà la mention au Ve siècle av. J.C. dans Hérode». «On possède également, grâce aux narrations de Polybe, des renseignements détaillés sur les khettarat de la Perse du IIIe et IIe siècle av. J.C.», ajoute la source.

Depuis, des écrits historiques ont fait part d’un système similaire mais innové séparément par les amazighs en Afrique du Nord. Dans l’ensemble de ces régions, le mécanisme fonctionne généralement à travers le même principe d’acheminement et de conservation, sous diverse appellations, notamment au Pakistan et en Afghanistan, à Oman, au Yémen et en Syrie, en Chine, ou encore en Espagne.

A Marrakech, le mécanisme a consisté à capter les eaux souterraines et pluviales à travers des galeries, qui épousent la configuration du sol, tout en contribuant à alimenter la nappe phréatique. Alors que les canaux sont souvent envahis par la végétation, les khettarat ont permis de conserver l’eau dans de meilleures conditions, en drainant notamment celles des montagnes depuis les contrebas de l’Atlas.

Reconstitution de l'oasis de Skoura (région d'Ouerzazate) et ses khettarat en 2009 / Source : La gestion des galeries drainantes (khettaras) dans l'oasis de SkouraReconstitution de l’oasis de Skoura (région d’Ouerzazate) et ses khettarat en 2009 / Source : La gestion des galeries drainantes (khettaras) dans l’oasis de Skoura

La cité ocre, sa palmeraie, ses oliveraies et ses jardins ont ainsi été alimentés pendant des siècles, avant que la sécheresse, l’agriculture intensive et l’évolution des usages ne transforment la cartographie de ce système. Désormais, les rares khettarat qui existent encore dans la région sont utilisées dans certaines les zones rurales, incarnant une dimension écologique dans les pratiques ancestrales.





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