Dégustée désormais dans différentes régions du Maroc où sa préparation s’adapte aux spécificités du terroir local, zemmita fait souvent partie des spécialités du mois de ramadan, grâce à ses qualités nutritives et rassasiantes. Mais dans les traditions anciennes, cette préparation sèche a été l’aliment privilégié chez les travailleurs qui passent de longues journées à l’extérieur, ou encore chez les nomades, les voyageurs et les soldats. Au fur et à mesure des siècles, elle a trouvé sa place parmi les préparations partagées à plusieurs, à l’occasion du Nouvel An amazigh.
Cette fête étant une célébration de la terre et de ses récoltes par excellence, zemmita est en effet une incarnation appropriée de l’abondance de moisson. Lors de cette période festive, elle peut en effet trouver sa place dans la table de Yennayer, qui peut inclure idernan, la galette de la paix, les incontournables miel, huiles d’olive et d’argan, outre les fruits secs locaux. Généralement, ces mets sont servis en guise d’accueil des convives, avant de passer au dîner, qui peut être composé de couscous, de tagoula ou d’ourkimen.
Une préparation pour l’hiver comme pour l’été
Alliant diverses graines locales réduites en farine, zemmita est principalement composée d’orge moulu, de pois chiches, de sorgho, d’amandes, de graines de lin, de graines de courges et de sésames, en plus d’herbes séchées comme le thym, la menthe pouliot ou la menthe à feuilles rondes. Mélangée à l’eau chaude et à l’huile d’argan en hiver pour obtenir une pâte molle ou liquide, cette préparation a permis aux tribus anciennes de tenir au froid et à la rareté des denrées.
Ph. Dreamstime
Au fur et à mesure de l’évolution des usages, d’autres variantes ont inclus les graines d’anis, de fenouil, de la gomme arabique. Les plus gourmands peuvent incorporer d’autres ingrédients, en fonction des saisons et de la disponibilité des produits, comme le miel, le ghee ou l’huile d’olive. En été, la variante rafraîchissante est servie avec du lait caillé et plus allégée en termes de composition. Grâce à la menthe ronde, elle permet d’apaiser la soif et la chaleur.
Selon les régions, cette préparation peut être mélangée même avec du thé vert, ou encore servie en poudre, accompagnée de fruits frais comme les figues. Du Rif dans le nord-est à l’Anti-Atlas et le Souss dans le sud-ouest, en passant par les plaines atlantique et les tribus jbala, les appellations et les qualifications de ce met ont ainsi changé.
Les populations locales l’ont appelée tazummit, bessis, zemmita, entre autres termes. Cette diversité dénote justement du caractère ancestral de cette tradition dans le terroir national. Si les usages confirment que le principe de base est largement admis chez les populations locales depuis des siècles, les traces écrites anciennes manquent.
Des mélanges composés d’orge, d’eau et de fruits secs
Historien spécialiste d’Histoire sociale du Maroc, enseignant à la Faculté des lettres à Rabat entre 1957 et 1973, Bernard Rosenberger a évoqué quelques références. Celles-ci figurent notamment dans son article «Se nourrir dans les rues et sur les chemins de l’Occident musulman (XIIe-XVIIIe siècle)», paru dans «Manger et boire en Afrique avant le XXe siècle ; cuisines, échanges, constructions sociales» sous la direction de Monique Chastanet, Gérard Chouin, Dora de Lima et Thomas Guindeuil (CNRS, 2014). Le chercheur y mentionne la description du médecin andalou du XIIIe siècle, Ibn Halsun, qui a évoqué une préparation similaire.
Celle-ci consiste à torréfier des céréales puis à les moudre, pour en faire «des pains ronds et plats qui, accompagnés de miel, constituent une excellente provision de voyage». Dans un autre article, paru dans «Cuisine et société en Afrique ; Histoire, saveurs, savoir-faire», Bernard Rosenberger souligne que l’orientaliste français du XVIIIe siècle, Jean Miche Venture de Paradis, a décrit une recette plus élaborée.
«Dans les voyages que font les Arabes et les Maures de la campagne et des montagnes, leurs provisions consistent en une petite outre de farine d’orge ou de blé torréfié, pétrie avec des dattes, des figues sèches, de l’huile ou du beurre», écrit-il. Selon la même source, «un morceau de cette pâte matin et soir avec deux verres d’eau ou de lait suffit à leur subsistance».
«Cette pâte ainsi préparée se nomme zommeita. Les trois quarts des pèlerins qui, tous les deux ans, partent de l’empire de Maroc pour La Mecque se nourrissent de cette manière, et ils renouvellent cette provision sur la route», ajoute l’auteur.
Des descriptions basiques chez Thomas Pellow
Alors que certaines sources retracent cette tradition dans le Rif du XIVe siècle, l’une des versions documentée les plus connues reste une description de l’auteur britannique Thomas Pellow, ancien captif au Maroc durant le XVIIIe siècle. Dans son ouvrage «The History of the Long Captivity and Adventures of Thomas Pellow in South-Barbary», l’auteur, qui a servi au sein de l’armée du sultan Moulay Ismaïl entre 1716 et 1727, décrit une version basique.
Celle-ci est faite de graine d’orge torréfiée «à la manière du café», moulues, tamisées et mélangées à l’eau, comparée à des préparations d’avoine chez les Ecossais. Au vu de son apport nutritionnel, la version plus élaborée de zemmita a été préparée pour les femmes après leur accouchement. Au cours de leur long voyage depuis et vers La Mecque, les pèlerins en ont fait une provision de base.
Plus largement en Afrique du Nord, plusieurs autres variantes existent, sous différents noms. D’autres récits en retracent les usages jusqu’en Tunisie.