Elle a quitté le Maroc avec l’espoir de faire carrière dans un hôpital public français. Aujourd’hui, elle regrette presque ce choix. Médecin à diplôme hors Union européenne (Padhue), elle exerce en Seine-et-Marne depuis plusieurs années. Comme une cinquantaine de ses collègues au sein du Grand Hôpital de l’Est francilien (GHEF), elle est aujourd’hui confrontée à une situation absurde et dramatique : on lui réclame 60 000 euros.
En cause, une «prime différentielle» versée pendant des années, destinée à rendre plus attractifs ces postes délaissés. L’hôpital affirme aujourd’hui qu’elle n’avait aucune base légale. Les versements ont été suspendus fin 2024, et la direction a ensuite exigé le remboursement des sommes perçues sur les deux dernières années. Montant total réclamé aux praticiens : 2,7 millions d’euros.
Pour cette médecin marocaine, l’annonce a été un choc. «Après huit à dix ans d’études, je ne serais jamais venue en France pour gagner 1 500 euros ou 2 000 euros, c’est ce que je serais payée si j’étais restée au Maroc», confie-t-elle au Parisien. La médecin pensait avoir trouvé ici une stabilité, mais se retrouve avec une dette impossible à rembourser et un salaire divisé par deux. «La confiance est rompue. Tout le monde rêve de quitter le GHEF», ajoute-t-elle.
Comme beaucoup d’autres Padhue, elle est venue combler les manques de personnel dans les hôpitaux français. Ces médecins, souvent recrutés dans l’urgence, assurent les gardes, les urgences, les nuits et les week-ends. «On nous demande tout le temps de boucher les trous, parfois sans être payés», dénonce-t-elle.
Aujourd’hui, l’ambiance se dégrade. De nombreux médecins multiplient les gardes pour tenter de s’en sortir, d’autres sombrent. «Imaginez l’état de mes collègues qui, eux, doivent réviser, en plus de subir tout ce stress… Certains sont en burn-out mais se forcent à travailler, d’autres sont en arrêt maladie pour dépression», témoigne la praticienne marocaine, dépassée par la situation.
La CGT et le syndicat SOS Padhue dénoncent une injustice. Selon eux, ces primes faisaient partie intégrante des contrats de travail. Les médecins n’ont rien fraudé, ils ont seulement accepté ce qu’on leur proposait. «C’est évidemment plus simple d’aller récupérer cette somme sur le dos de précaires qui ne connaissent pas les lois françaises et ont peur de perdre leur titre de séjour en même temps que leur emploi», s’insurge la CGT.
Kahina Hireche Ziani, porte-parole du syndicat SOS Padhue, pointe un système bancal. «Les décrets sont délibérément flous, ce qui laisse les mains libres aux directeurs d’établissement pour faire ce qu’ils veulent», s’indigne-t-elle. Plusieurs médecins ont saisi la justice. En attendant, la colère monte, et l’épuisement aussi.