Alors que le nombre de cas de rougeole continue de grimper au Maroc, le retour dans les écoles après les vacances rend encore plus urgent l’impératif de retrouver la couverture vaccinale optimale pour cerner la maladie. Mais à elle seule, la campagne de vaccination volontaire et de rattrapage ne suffit pas. Médecin et chercheur en politiques et systèmes de santé, Dr Tayeb Hamdi souligne en effet qu’«après une dizaine de jours où les écoles ont été vides, l’épidémie ralentira pour deux ou trois semaines, avant de reprendre à cause du faible niveau d’immunité collective».
A ce titre, le spécialiste rappelle que «la rougeole est une maladie très contagieuse, grave, mais, fort heureusement, évitable», d’où l’importance de rétablir la couverture vaccinale minimale de 95%. Tout en insistant sur ce point, ainsi que sur la prévention, Dr Hamdi alerte sur la situation comme signe évocateur de ce qu’il en est pour les autres maladies infantiles mortelles, dans un pays érigé pourtant comme «leader mondial de la vaccination des enfants contre les maladies cibles» depuis des années.
Intervenir au niveau médical et territorial
Parmi les mesures à prendre, le médecin n’éloigne pas «l’instauration de l’obligation vaccinale contre les maladies infantiles meurtrières et dont les vaccins ont montré leur très hauts degrés d’efficacité et de sécurité». En effet, il insiste que la transmission de ces virus doit tout autant être freinée dans le contexte actuel, afin de sauver des vies, mais aussi de ne pas accentuer l’accumulation des gestions de crise simultanées.
Pour cette raison, Dr Hamdi estime que les mesures actuelles contre la propagation de la rougeole sont «importantes, nécessaires, incontournables et vitales, mais encore insuffisantes». Le spécialiste préconise ainsi que le suivi soit planifié dans une vision sur le moyen et le long terme à même d’anticiper l’évolution de la situation actuelle ou celles à venir. A cet effet, il recommande de «maintenir le taux de couverture dans le temps», avec «le renforcement de la vaccination des enfants suivant le calendrier vaccinal et non pas se contenter des campagnes de rattrapage».
Dr Hamdi alerte par ailleurs que la baisse du taux de vaccination ne concerne pas uniquement la rougeole. «Les autres éléments du calendrier vaccinal sont certainement en dessous des taux de protection», d’où le risque de voir resurgir diverses maladies que l’on pense maîtrisées, comme la coqueluche, la diphtérie, la poliomyélite et autres.
En réponse à l’hésitation vaccinale, observée mondialement encore plus après la crise sanitaire de 2020, le praticien recommande notamment une sensibilisation orientée vers les adultes nés après 1980 pour les faire vacciner s’ils ne le sont pas complètement et s’ils n’ont jamais attrapé la rougeole, «surtout parmi les groupes à risque».
Des enquêtes sur la gestion de la vaccination pour comprendre
Au-delà de ces actions de santé publique sur le terrain, que Dr Hamdi préconise d’ancrer dans une logique de coordination territoriale, le médecin estime que la sensibilisation pour le retour à une couverture vaccinale optimale ne serait réussie et maintenue sans comprendre les causes ayant conduit en amont à la propagation de l’épidémie.
A cet effet, il souligne la nécessité de mener «des enquêtes et des audits au sein du ministère de la Santé et de la protection sociale», afin de «comprendre ce qui s’est passé toutes ces dernières années». Il s’agit, selon le médecin, de se pencher sur l’impact de la pandémie de Covid-19 et de l’hésitation vaccinale des parents, mais d’enquêter aussi sur «le relâchement de l’offre vaccinale de la part des services concernés et des professionnels de santé».
Le spécialiste indique que cette tendance a été observée au Maroc, dans un contexte de «pénurie des ressources humaines, de grèves et d’arrêts de travail répétitifs, de manque de motivation», entre plusieurs facteurs décisifs. «Une enquête pour comprendre ce qui s’est passé, rattraper la situation et éviter qu’elle se reproduise à l’avenir» est la clé pour passer le cap, estime Dr Hamdi.
Dans le même sens, le spécialiste interpelle sur l’importance d’identifier les «causes du relâchement de la surveillance épidémiologique des maladies infantiles», lequel a «laissé apparaître des cas de rougeole à large échelle, sans que la recrudescence ne soit détectée à temps».
Il reste à mettre en lumière, également, «comment les taux de vaccination ont descendu aussi bas sans que le suivi des taux de vaccination à l’échelle des régions et au niveau national n’ait pu donner l’alerte» avant que cette propagation ne donne lieu à l’épidémie actuelle.