Entre approches scientifique et artistique rigoureusement documentées et enrichies, l’Académie du Royaume du Maroc a mis au jour de nouvelles données inédites sur le malhoun, qui seront rassemblées dans une anthologie en cours d’élaboration. Ce projet, supervisé par un comité sous l’égide de l’institution, est le fruit de la collaboration d’une centaine de musiciens qui ont travaillé sur une sélection de 120 textes. Les membres du comité de ce processus ont dévoilé, mardi à Rabat, les détails de leur travail, qui s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre des engagements nationaux à préserver ce leg, classé au patrimoine immatériel de l’UNESCO depuis décembre 2023.
Cette contribution est aussi le fruit du travail de documentation et de conservation menée depuis 1986 par l’Académie du Royaume du Maroc, afin de préserver tout ce qui se rapporte au malhoun. Dans ce sens, la publication en trois volumes initiée par le professeur Mohamed El Fassi a été un élément fondateur de ce processus à long terme. L’initiative a été suivie de la parution d’une encyclopédie composée de onze volumes, sous la direction de l’universitaire Abbas El Jirari.
Ph. Académie du Royaume du Maroc
De nouvelles données sur les usages musicaux et poétiques
Composée d’une publication exhaustive et d’un support audiovisuel documentaire, cette nouvelle anthologie s’enrichit des contributions artistiques et académiques précédentes, sans pour autant les reproduire. En effet, elle apporte des éléments encore méconnus sur la tradition du malhoun, révélant notamment l’ampleur de son extension géographique. Dans ce sens, celle anciennement connue ne représenterait que près de la moitié de la dimension réelle des régions marocaines, où cette musique a été pratiquée et transmise, en parfaite symbiose avec les spécificités locales.
Réputée jusque-là comme le chef-lieu de la culture hassanie, Laâyoune s’est avérée être bien une partie intégrante des influences artistiques ayant enrichi ce leg, selon le coordinateur général du comité chargé de l’élaboration de cette anthologie, Abdelmajid Fennich. Il en est de même pour d’autres villes du pays, connues plus souvent pour leur empreinte culturelle andalouse ou gharnatie, dont Oujda, Chefchaouen ou encore Tétouan, voire des régions moins liées à ces traditions, comme Kénitra, a ajouté le chercheur.
Musicalement, cette diversité géographique se traduit dans les poèmes, les rythmes et les tons utilisés dans le malhoun en lui apportant une certaine complexité, mais qui ont été peu ou jamais explorés jusque-là.
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Avec la participation de fins connaisseurs dans le monde académique et musical, le processus de documentation et de recherches sur le terrain a montré par ailleurs que cet héritage multi-centenaire transcendait non seulement les références linguistiques et culturelles locales, mais aussi les générations. Parmi la centaine d’artistes ayant pris part au projet d’anthologie, différents âges sont représentés, à partir de 15 et de 18 ans. Aussi, l’usage musical montre que plusieurs instruments ont été intégrés aux compositions de malhoun.
Sur le terrain, la participation des artistes locaux à travers les régions et des chercheurs dans les pratiques musicales ancestrales a dégagé également l’évidence que le malhoun avait la capacité d’intégrer des rythmes et des compositions que le registre conventionnel et plus largement connu du public a rarement mis en avant, au point de faire oublier certains usages artistiques. A ce state, Abdelmajid Fennich affirme que les enregistrements de cette anthologie sont terminés et que les étapes suivantes ne font que commencer.
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Un art ancestral vivant, à l’image de la société marocaine
Autant dire qu’en termes de musique, de composition, de textes et de poésies, le malhoun illustre bien la richesse et la diversité des cultures régionales, dont il fait une mosaïque nationale. Soliste membre du comité chargé de l’élaboration de cette anthologie, professeure et enseignante de melhoun, Leila Mrini a déclaré à Yabiladi que l’art du malhoun est bien riche de ses données scientifiques et artistiques, mais que «la nouveauté est que ce travail a permis aux participants dans ce cadre de découvrir des mesures encore méconnues dans la littérature de cette musique, confirmant ainsi son caractère vivant».
«Nous avons travaillé sur ces mesures et c’était un défi pour nous tous, nous en sommes fiers car cette anthologie enrichit les efforts de recherche sur la diversité de notre patrimoine, afin de sortir des poèmes et des compositions de l’oubli, tout en mettant en avant leur complexité et leur structure aux arrangements multiples.»
Leila Mrini
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«Je suis ravie de faire partie de cette anthologie. Je voudrais remercier l’Académie du Royaume pour les efforts considérables qu’elle a déployés et pour nous avoir offert l’espace de travail afin de mener à bien ce processus», souligne la professeure, qui estime que l’ensemble des contributions artistiques et académiques «montre l’importance du malhoun dans la société marocaine, représentée à travers toutes ses régions dans cette anthologie».
Considéré ainsi comme «un art poético-musical populaire», le malhoun puise en effet sa richesse dans ce caractère hybride, avec les possibilités multiples qu’il permet pour allier chant, expressions théâtrales, métaphoriques et symboliques, dans un langage accessible et une poésie qui n’obéit pas aux règles classiques. C’est cette particularité qui le rend également une composante artistique vivante, qui mérite d’être explorée en tout temps et en tout lieu.