Dans un récit de voyage détaillé, deux chercheurs indépendants au Maroc et aux Etats-Unis ont documenté leur difficile quête d’arraten, des contrats juridiques locaux, d’usage autrefois dans les montagnes de l’Atlas. Au cours de leur voyage pour découvrir ces artefacts manuscrits sur du bois d’argan ou conservés dans des roseaux, ils ont fait une découverte importante.
Hamza Elbahraoui, un antiquaire basé à Rabat, et Igor Kliakhandler, ancien professeur de mathématiques à l’Université technologique du Michigan, ont exhumé des centaines de milliers d’arraten, anciennement utilisés par le peuple amazigh pour enregistrer des actes et des documents juridiques, pendant plus de 400 ans.
Dans leur carnet de voyage, publié en août sur Taylor & Francis, les chercheurs estiment que le nombre de documents découverts, laissés in situ, dépasse probablement les 5 000 pièces. Ce chiffre s’ajoute à leur collection privée de 4 000 arraten. L’aventure a commencé après que l’antiquaire Elbahraoui a acheté «un grand panier d’objets tribaux anciens». Dans ce panier, il est tombé sur ce qu’il a décrit comme un «curieux artefact» : une plaque de bois d’argan.
«Elle avait la taille d’une paume de main et ses deux faces étaient couvertes de lettres manuscrites, apparemment en vieux arabe maghrébin. Après consultation de plusieurs antiquaires, il s’est avéré que la pièce était un ancien acte juridique des amazigh de l’Anti-Atlas», explique l’étude.
Intrigué par cette trouvaille, l’antiquaire se lance dans une recherche plus approfondie d’arraten. Il a ainsi essayé d’acheter des pièces similaires auprès de ses sources. Au cours de cette quête, il rencontre Kliakhandler, tout aussi intrigué. Ensemble, après avoir cherché sans succès d’autres objets dans les boutiques et les collections, ils décident de se rendre dans l’Anti-Atlas. Là, visitent des constructions uniques, les igudar (igoudar) ou agadir, d’anciens systèmes créés par les familles amazighes pour stocker leurs objets de valeur, y compris les documents juridiques.
Des documents précieusement conservés dans les igoudar
Au cours de leur périple, les deux aventuriers ont visité une trentaine d’igoudar. Ils en ont exploré 24 et ont inspecté plus de 500 chambres où les habitants stockaient leurs objets de valeur. Dans certaines, ils ont découvert des piles d’arraten – en bois et en papier –dans des bocaux ou éparpillées sur le sol. Compte tenu de l’état de certains igoudar, ces arraten ont été recouverts de poussière. Certains ont été même impossibles à atteindre, en raison de l’état de délabrement des chambres.
«Nous avons exploré une ville en ruine, très difficile d’accès, igoudar… Nous avons découvert deux salles avec de grandes quantités d’arraten en bois, de tubes de roseau et d’objets en papier. Mais deux autres salles ont défié nos attentes. Elles étaient pleines de sacs et de récipients, avec des objets en bois, en roseau et en papier, et un petit tas d’objets en papier à l’entrée. Chaque salle contenait, selon nos estimations, pas moins de 800 pièces.»
Hamza Elbahraoui et Igor Kliakhandler
Incapables d’inspecter les 550 igoudar du Maroc, les chercheurs estiment que les montagnes de l’Atlas pourraient abriter entre 25 000 et 100 000 caves, pouvant contenir jusqu’à 500 000 arraten. «Nous estimons que l’ensemble des documents écrits sur bois dans l’Anti-Atlas ne devrait pas être inférieur à 100 000 pièces et pourrait très bien dépasser 500 000. A cela s’ajoutent probablement entre 40 000 et 150 000 documents papier», ont-ils expliqué.
Les chercheurs souhaitent que ces arraten soient récupérés de manière scientifique, avec une documentation et des autorisations appropriées, compte tenu de leur valeur pour les familles amazighes. Ils envisagent de proposer leur collection privée à une institution compétente.
Les artefacts arraten, dont beaucoup portent des marques historiques, offrent ainsi un aperçu de l’organisation de la vie en communauté, dans ses dimensions juridique, sociale et économique dans les montagnes de l’Atlas, au cours des 400 dernières années. La préservation et l’étude de ces documents restent essentielles pour comprendre le patrimoine amazigh.