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Un mal silencieux en pleine expansion [Tribune]

Un mal silencieux en pleine expansion [Tribune]


Dans les rues de Casablanca, de Rabat ou de Marrakech, l’image est devenue familière : des jeunes, le regard rivé sur leurs écrans, coupés du monde qui les entoure. Au cœur d’un Maroc en pleine transition numérique, une nouvelle forme de dépendance s’installe insidieusement chez nos adolescents. Ces jeunes de 10 à 18 ans grandissent dans un univers hyperconnecté où le smartphone n’est plus un simple outil, mais une véritable extension d’eux-mêmes. Leurs amitiés, leurs passions, leurs repères s’articulent désormais essentiellement à travers un écran.

Nous avons trop longtemps minimisé ce phénomène, le réduisant à une simple évolution technologique. Pourtant, cette addiction numérique laisse des traces bien réelles : nuits écourtées, relations familiales distendues, anxiété croissante, concentration fragmentée. Il est temps d’ouvrir les yeux et d’aborder cette réalité avec la lucidité et la responsabilité qu’elle exige.

Une réalité quotidienne qui nous interpelle

Depuis plusieurs années, dans mon cabinet comme dans les établissements scolaires que je visite, j’observe des comportements préoccupants qui se généralisent. Les adolescents marocains passent des heures sur TikTok, Instagram ou YouTube, dans une quête constante de stimulation. La moindre tentative de limitation provoque, chez beaucoup d’entre eux, des réactions disproportionnées d’anxiété, voire de colère. Plus inquiétant encore, on constate un désengagement progressif vis-à-vis de ce qui constituait traditionnellement le cœur de l’adolescence : les études, les activités sportives, les rencontres entre amis.

Ne nous y trompons pas : ces comportements ne sont pas simplement l’expression d’un attrait pour la nouveauté. Ils s’inscrivent dans des mécanismes de dépendance comparables à ceux que nous observons dans d’autres addictions comportementales.

Comprendre les mécanismes de cette dépendance

En tant que psychiatre spécialisé en addictologie, je peux affirmer que l’addiction aux écrans repose sur des critères cliniques bien définis. L’adolescent perd progressivement le contrôle de son usage numérique. Malgré ses bonnes intentions et sa conscience des effets négatifs, il ne parvient plus à réguler son temps d’écran. Un phénomène de tolérance s’installe : pour ressentir le même effet, il doit augmenter sans cesse sa “dose” numérique.

Le syndrome du FOMO (Fear of Missing Out) – cette peur viscérale de manquer une information ou un événement – agit comme un puissant moteur de cette dépendance. Chaque notification déclenche une libération de dopamine, renforçant un circuit de récompense neurologique qui alimente jour après jour ce comportement compulsif.

Reconnaître les signaux d’alerte

Comment savoir si un adolescent bascule dans une utilisation problématique des écrans ? Certains signes ne trompent pas et doivent être pris au sérieux.

Prenons un exemple concret : Quand Amine, 15 ans, a commencé à se réveiller plusieurs fois par nuit pour consulter son téléphone, ses parents ont d’abord pensé à une simple mauvaise habitude. Six mois plus tard, cet adolescent, autrefois sociable et bon élève, était devenu irritable, ses notes avaient chuté, et il avait abandonné le football qu’il pratiquait depuis l’enfance.

Ces troubles du sommeil, cette irritabilité croissante, ce repli sur soi et cet abandon progressif des activités autrefois appréciées sont de véritables signaux d’alarme. Ils traduisent souvent une souffrance que l’adolescent peine à exprimer autrement que par ce refuge numérique.

Au-delà de l’interdiction : accompagner nos enfants

Face à cette situation, notre première réaction de parents est souvent d’interdire ou de confisquer. L’expérience montre que ces mesures, si elles ne s’accompagnent pas d’une démarche plus globale, produisent rarement des effets durables.

Je recommande une approche structurée mais bienveillante. Établissons des règles claires mais négociées : des plages horaires sans écran, notamment avant le coucher, et des espaces déconnectés, comme la table familiale. Proposons des alternatives vivantes et stimulantes : une randonnée dans l’Atlas, un atelier artistique, un match de basket entre amis, une soirée jeux de société en famille.

Le dialogue reste notre meilleur allié. Sans jugement ni dramatisation, cherchons à comprendre ce que nos enfants trouvent dans ces univers numériques. Quels besoins y comblent-ils ? Quelle place y trouvent-ils que notre société ne leur offre pas ailleurs ?

Et n’hésitons jamais à consulter un professionnel dès les premiers signes de souffrance. Une intervention précoce peut faire toute la différence.

Une responsabilité partagée

L’addiction numérique n’est pas qu’une affaire de famille. Elle interroge notre société tout entière.

À l’école, il est urgent d’intégrer des programmes de sensibilisation adaptés à la réalité marocaine. Les médias doivent éviter de normaliser l’usage excessif des technologies, notamment chez les plus jeunes. Les institutions doivent mettre en place des campagnes de prévention qui parlent aux adolescents, dans leur langage et avec leurs codes.

Cette mobilisation doit rassembler les familles, les enseignants, les médecins, les influenceurs, les décideurs. C’est ensemble que nous pourrons aider notre jeunesse à développer une relation plus saine avec les outils numériques.

Une voie vers l’équilibre

Je reste profondément optimiste. Les technologies numériques offrent des opportunités immenses pour notre jeunesse et pour le développement du Maroc. L’enjeu n’est pas de diaboliser ces outils, mais d’apprendre à les utiliser sans en devenir esclaves.

Derrière chaque écran se trouve un adolescent en construction, avec ses rêves, ses doutes et son besoin fondamental d’être reconnu et valorisé. Notre responsabilité, en tant qu’adultes, est de l’accompagner avec lucidité, écoute et bienveillance.

Le virtuel et le réel ne sont pas des mondes opposés. À nous de les réconcilier, pour le bien de nos enfants.





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