En 1912, avec l’arrivée du protectorat français au Maroc, Thami El Glaoui devient pacha de Marrakech par un dahir du sultan Moulay Youssef. Il prend part ainsi à la campagne de pacification lancée par la France coloniale à l’encontre des tribus marocaines. De ce fait, Thami devient plus célèbre et plus riche que son frère El Madani, autrefois Grand Vizir de Moulay Hafid et son beau-père à qui le pacha de la ville ocre doit notamment son arrivée dans les cercles du pouvoir.
Le benjamin des Glaouis commencent ainsi à amasser une grande fortune. Selon l’historien Maâti Monjib, «l’alliance avec l’occupant lui permet d’accumuler une fortune colossale». Dans les détails, l’historien rapporte dans un article intitulé «Thami El Glaoui, archétype du féodal collaborateur», qu’il s’agit notamment de «plusieurs milliers d’hectares et des dizaines de millions de francs déposés dans les banques au Maroc et en France notamment dans Paris-Bas». «Si on ajoute à cela ses actions dans de nombreuses sociétés comme la Socoma, la Compagnie de Transport Marocaine et surtout l’ONA, le Glaoui est devenu sans doute, dès les années quarante, plus riche que le sultan lui-même», conclut-il.
Une fortune qui permettra au puissant pacha de Marrakech de vivre une vie de luxe. D’ailleurs, dans un article intitulé «Glaoui/Glaoua», paru de l’Encyclopédie berbère (Numéro 21, 1999), Michael Peyron raconte comment Hubert Lyautey a été «impressionné par la somptuosité du train de vie» des Glaouis, qu’on surnommait les «seigneurs de l’Atlas». «Les Glaouis habitent de vrais palais, où les meubles d’Europe, l’argenterie de luxe, les tables servies à la française, s’étalent dans des décors babyloniens», raconte le Résidant général de la France au Maroc. D’ailleurs, la gloire et la richesse d’El Glaoui étaient liées à ses relations avec Hubert Lyautey.
Thami El Glaoui recevant des invités dans l’un de ses palais. / Ph. DR
Cartier sollicitée pour une montre au «Seigner de l’Atlas»
Selon Trudy Ring, Noelle Watson et Paul Schellinger dans «Middle East and Africa: International Dictionary of Historic Places», (Routledge, Mar 5, 2014), El Glaoui a financé son style de vie extravagant en exigeant des revenus annuels énormes via des «monopoles sur les marchés du sud pour les olives, le chanvre et les oranges». «La quête insatiable d’argent d’El Glaoui l’a amené à violer le tombeau d’un saint islamique à Marrakech en lui volant ses trésors, ont rappelé les trois historiens. Même lors des périodes de sécheresse et de baisse de la production agricole, le seigneur de l’Atlas insistait pour recevoir les mêmes revenus pour financer ses conquêtes coûteuses».
Ainsi, pour conforter son image de «Seigneur de l’Atlas», El Glaoui n’hésitait pas à dépenser une fortune sur un meuble ou pour accueillir l’un de ses amis étrangers. C’est le cas en 1931 lorsqu’il contacte la maison Cartier pour commander une montre luxueuse hors du commun. «Il a donc demandé que sa montre Cartier soit élégante, tout en pouvant être submergée lors de ses nages régulières et de ses bains quotidiens. Les montres résistantes à l’eau étaient encore un nouveau concept à cette époque», raconte le spécialiste des montres de luxe Gray and Sons.
«Louis Cartier (petit-fils du fondateur de la marque, ndlr) lui construit le Pacha, une montre ronde en or massif résistante à l’eau. La Cartier personnalisée était équipée d’un fond vissé, d’un capuchon sécurisé par une chaîne protégeant la couronne de remontoir et d’une grille de protection.»
Gray and Sons
Un ancien modèle de la Pasha Watch de Cartier. / Ph. DR
La montre d’El Glaoui, «ancêtre» de la gamme «The Pasha»
«A la recherche d’une montre suffisamment solide pour résister à l’immersion constante dans l’eau, mais suffisamment élégante pour être utilisée lors de réunions avec des célébrités et des chefs d’État, il s’est tourné vers Cartier pour une solution unique. En réponse, Cartier a créé The Pasha, une montre-bracelet en or pouvant être rendue étanche grâce à un boîtier vissé et à un capuchon muni d’une chaîne et s’insérant dans la couronne», raconte de son côté le média Robb Report.
Un exemplaire unique qui inspirera les designers de la marque pour lancer toute une gamme appelée en effet The Pasha. Dans les années 1940, Cartier ajoute à son catalogue une montre ronde résistante à l’eau, directement inspirée de la montre personnalisée du Pacha de Marrakech.
Mais la montre de Thami El Glaoui, «orné d’un motif de grille de protection et d’un boîtier en or massif de 18 carats gravé du chiffre 1» va disparaitre dès que le Pacha sera évincé du pouvoir dans les années 1950 avec notamment la montée en puissance de la résistance nationale et le déclin du Protectorat.
Cela n’empêchera pas le fabriquant de montres de luxe de lancer, dès 1985, une ligne de montres dans le cadre d’une seule gamme appelée «The Pasha». Une gamme qui grandit toujours avec de nouvelles montres inspirées du modèle originel.
Mais l’entreprise a déjà exprimé le souhait de récupérer cette montre unique. «Peut-être l’a-t-il donné à un héritier ou à un ami», avait suggéré Stanislas de Quercize, président et chef de la direction de Cartier North America dans un déclaration à Robb Report en 2003. «Nous avons l’espoir de le trouver et de le racheter», avait-il confié, insistant sur le fait que la quête pourrait porter ses fruits.