La tanjia est un plat unique à la ville de Marrakech, ancré dans ses traditions et son mode de vie. Elle porte le nom du récipient en terre cuite dans lequel elle est préparée, reflétant de la longue histoire de la poterie et de l’artisanat de la cité ocre.
A Marrakech, ville d’artisanat et de commerce à travers les siècles, la tanjia est née dans les ruelles étroites de la médina. Traditionnellement, c’est un plat d’hommes, longuement mijoté, copieux et préparé par les marchands et les artisans qui passent leurs journées dans les ateliers.
«Ils confiaient la préparation du repas au plus habile d’entre eux. Avant la prière de l’après-midi, ils se rassemblaient pour manger, juste assez pour se sustenter en attendant l’enchère (dallala) où ils vendent leurs produits», a raconté à Al Jazeera l’autrice marrakchie Latifa Assimi. Cette dernière a consacré un livre entier au plat, intitulé «La Tanjia marrakchie et son environnement dans la littérature populaire».
Plus qu’un simple repas, la tanjia est même un rituel social, selon Latifa Assimi. Elle est préparée collectivement, consommée lors de rassemblements, de pique-niques, ou même lors de célébrations comme la fin de la mémorisation du coran par un jeune garçon.
Sa simplicité explique aussi pourquoi elle est considérée comme un plat d’hommes. La tanjia n’est pas cuisinée à l’intérieur mais à l’extérieur, souvent dans les fours à bois (farnatchi) des hammams (bains publics). Une fois la viande, les épices, l’huile et l’eau placées dans le récipient, celui-ci est scellé puis emporté pour être enfoui dans la braise pour cuire lentement. Pour cette raison, elle est connue sous le nom de bent rmad, littéralement «la fille des cendres».
La tanjia, déjà célèbre dans le Marrakech du XVIIe siècle
Les racines historiques du plat sont profondes. Dans XVIIe siècle, la tanjia est déjà considérée comme un plat populaire à Marrakech, comme en témoignent les écrits d’Abu Abdallah Muhammad ibn Saʿid al-Marghiti al-Susi al-Marrakushi, érudit d’origine soussie qui a vécu, enseigné et été enterré dans la ville. Imam de hadith, il est également accompli en astronomie, médecine, littérature, mathématiques et autres sciences.
Al-Marghiti, qui est devenu imam de la mosquée Mouassine et a joué un rôle central dans la vie intellectuelle de Marrakech, a même proposé des instructions détaillées pour préparer la tanjia dans l’un de ses poèmes. Dans son œuvre Tuhfat al-Muhtāj fī Ḥukm Akli al-Nās lil-Dajāj, il écrit : «D’abord, préparez la viande en marchant, pour la faire cuire au farnatchi».
Il a insisté pour que le récipient en argile (qlousha) soit hermétiquement fermé : «Avec de solides lanières de cuir ou un emballage serré, ou encore avec un couvercle en bois ou en terre cuite, bien fermé, pour le protéger de la poussière et de l’air. Sceller les bords avec de la pâte pour obturer toute ouverture qui pourrait apparaître.» Il conseille ensuite d’enfouir le récipient dans les cendres jusqu’au tiers, pour une bonne stabilité. Cette méthode est encore utilisée aujourd’hui.
Tout cela, explique-t-il, vise à protéger le contenu de la contamination, car «le gardien des bains n’utilise généralement que du fumier pour alimenter ses braises». Enfin, il conseille de nettoyer le récipient une fois cuit : «Placez-le dans un panier et lavez-le en versant de l’eau dessus, jusqu’à ce qu’elle recouvre tous les côtés. Pressez ensuite ce qui reste, comme le veut la coutume, en suivant la tradition des gens raffinés et honorables.»
Ces instructions, vieilles de plusieurs siècles, montrent à quel point le rituel de la tanjia est profondément ancré dans la vie des Marrakchis.
La recette de tanjia
Aujourd’hui, la tanjia reste un symbole culinaire de son chef-lieu. Elle est toujours préparée dans les bains publics, mais elle est également adaptée aux techniques modernes comme l’autocuiseur. Le célèbre chef Mohamed Fedal (Moha), originaire de Marrakech, livre la recette traditionnelle de la tanjia : pour 1,5 kg de jarret de bœuf, il faudra un citron confit de taille moyenne, une cuillère à soupe de smen fondu (beurre fermenté salé) ou une demi-cuillère à café de smen rance pour les amateurs de saveurs plus prononcées, une tête d’ail entière, une pincée de safran, une cuillère à soupe de cumin et un demi-verre à thé d’huile d’olive.
Pour la cuisson dans un récipient en terre cuite, un petit verre d’eau s’ajoute à la préparation. Dans une cocotte-minute, il faut ajouter un demi-litre d’eau. Dans le farnatchi, la tanjia cuit environ trois heures. Dans une cocotte-minute, comptez une heure à une heure et demie sur feu doux, dès qu’elle commence à siffler, selon le type de viande et la qualité du récipient. Les morceaux plus coriaces nécessiteront plus de temps de cuisson.