Nom d’une célèbre famille slaouie d’origine andalouse, les Fennich se sont autrefois illustrés par leurs influences au sein de la cité corsaire avant d’atteindre la Cour des sultans alaouites. Au XVIIe siècle, les habitants de Salé feront la connaissance d’Abdelhaq Fennich, puissant Pacha de la ville de 1738 à 1757, à qui ils doivent la restauration et la fortification de la ville côtière. Seize ans plus tard, son fils Tahar, devenu commandant de l’artillerie marocaine, est nommé ambassadeur du sultan Moulay Mohammed Ben Abdellah à Londres, aux Pays-Bas puis en France. Bien que son père soit par la suite démis de ses fonctions de Pacha, Tahar Fennich deviendra aussi, en 1786, le négociateur du royaume chérifien pour le traité entre le Maroc et les Etats-Unis.
Nous sommes en 1748. Le futur Mohammed III vient d’être nommé calife de Marrakech par son père le sultan Moulay Abdallah. Une nomination qui facilitera son intronisation, en 1757, 9 ans après, suite au décès de son père. Sans opposition aucune, il devient ainsi le 18ème sultan du royaume, après Moulay Rachid. Roi itinérant, il sera l’un des sultans alaouites ayant choisi Rabat comme capitale impériale, sans pour autant y élire domicile fixe.
Le Maroc, pays ami de l’Orient et de l’Occident sous Mohammed III
Son règne est surtout marqué par les bonnes relations diplomatiques qu’il entretiendra avec presque toutes les puissances d’Orient ou d’Occident, de l’empire ottoman aux Etats-Unis d’Amérique.
Pour cela, il déploie plusieurs ambassadeurs et consuls notamment en Europe, dont Tahar Fennich qu’il dépêchera d’abord en Angleterre en 1773 auprès du roi George III, puis aux Pays-Bas pour renforcer les relations diplomatiques et commerciales du royaume chérifien avec l’Europe, avant que le fils d’Abdelhaq ne regagne le Maroc pour des missions au sein de la cour du sultan.
Portrait du sultan Mohammed Ben Abdellah. / Ph. DR
Quatre ans plus tard, Tahar Fennich est choisi par Moulay Mohammed Ben Abdellah pour le représenter auprès de Louis XVI, suite à la fameuse histoire des «naufragés de la Louise».
«Dans la nuit du 26 au 27 décembre 1775, le navire marchand La Louise, du port de Nantes, fait naufrage près du cap Bojador. Le capitaine et vingt hommes de l’équipage peuvent gagner la côte, mais ils sont capturés par les habitants du pays et vendus plusieurs fois comme esclaves», rapporte Rabih Saied dans «le regard français sur les envoyés marocains du XVIIe et XVIIIe siècles» (Mémoire de D.E.A., Université Paris VIII, Vincennes Saint-Denis, 2000).
La France, via son chargé d’affaires au Maroc, Louis de Chénier, saisit le sultan qui achète les naufragés mais refuse de se faire rembourser. «Il aurait voulu qu’en échange, le roi de France lui fasse remettre des Maures esclaves sur les galères de Malte», rapporte Rabih Saied qui cite le livre «Ambassades et missions en France» de Jacques Caillé.
«Les négociations se prolongent sans aboutir entre les représentants du sultan et Chénier. Le sultan prend alors la décision d’envoyer en France un ambassadeur chargé d’offrir à Louis XVI les naufragés de la Louise. Le caïd Tahar Fennich est choisi pour remplir cette mission.»
Une mission dénoncée par les Français du Maroc et le comte de Sartine
Le déplacement en France de Tahar Fennich gênera même le consul français au Maroc. «Il n’a pas été en mon pouvoir, Monseigneur, de détourner cette ambassade comme je l’ai fait avec succès dans d’autres occasions», écrit-il au comte de Sartine du 20 septembre 1777.
Tahar Fennich se déplace à Tanger, puis il quitte le port de cette ville le 11 octobre 1777 à bord d’un navire rouennais, accompagné de son interprète, de marins français et de «six chevaux pour les offrir au roi de France», toujours selon Saied qui cite Jacques Caillé. L’ambassadeur de Moulay Mohammed Ben Abdellah fait escale à Gibraltar avant d’arriver le 1er novembre à Marseille, puis le 10 janvier 1778 à Paris. Mais il est intercepté par le comte de Sartine, comme le rapporte Pierre Grillon dans son article «La correspondance du consul général Louis Chénier, chargé d’affaires de France au Maroc (1767-1782)», paru dans la «Revue d’histoire moderne et contemporaine» (1963).
«Un caïd de la Cour, Si Tahar Fennich, était chargé de remettre au roi (de France, ndlr) une lettre – d’ailleurs très hostile au consul Chénier – qui commençait par (…) ‘au plus grand des Français’. La formule était inadmissible, et le comte de Sartine n’accepta la lettre qu’après avoir fait signé à Sidi Tahar Fennich une convention par laquelle le sultan s’engageait ‘à donner par la suite à l’Empereur de France, dans toutes les lettres qu’il lui écrirait, les titres et qualités de plus grands des Chrétiens, l’Empereur de France’.»
Pierre Grillon
Photo d’illustration. / DR
Le négociateur du Traité de Marrakech entre le royaume et les Etats-Unis
Tahar Fennich sera reçu le 22 janvier 1778 en audience solennelle par le roi Louis XVI. Il lui remet à cette occasion la lettre de Sidi Mohamed Ben Abdallah, en date du 4 septembre 1777, avant quitter la France plus tôt que prévu. Il part de Paris à la fin du mois de février 1778 et embarque, le 16 mars, à Toulon sur la frégate royale la Gracieuse. Il arrive le 26 mars à Tanger.
Mais puisque Louis XVI ne donnera pas de suites à la lettre du sultan, notamment sur le point concernant l’échange de Français contre des Marocains prisonniers, un autre diplomate est alors dépêché en France dès 1981. Il s’agit de Raïs Ali Pérez, envoyé en France dès le mois de février 1781.
Mais si la mission de Tahar Fennich en France ne sera pas couronnée de succès, il retournera au sein de la Cour de Mohammed Ben Abdellah où il prouvera son efficacité. Il sera ainsi chargé, avec Thomas Barclay, consul américain à Paris, de négocier un traité entre le Maroc et les Etats-Unis sur la base d’un projet établi par les commissaires.
«Barclay et les Marocains parviendront rapidement à un accord sur le Traité d’amitié, appelé aussi Traité de Marrakech. Il sera scellé par le sultan, le 23 juin et livré à Barclay le 28 juin», rapporte l’Ambassade des Etats-Unis au Maroc dans un article sur les relations maroco-américaines. «Le traité sera signé par Thomas Jefferson à Paris le 1er janvier 1787, John Adams à Londres le 25 janvier 1787 puis sera ratifié par le Congrès américain le 18 juillet 1787».
Ce traité, négocié par Tahar Fennich, marquera le début des relations diplomatiques entre les deux pays et sera même le premier traité signé entre les jeunes Etats et une nation arabe, musulmane et africaine.