Elle est considérée comme la femme forte de l’histoire politique andalouse au Xe siècle, mais comme nombre de femmes ayant marqué la vie publique de leur temps, peu de sources reviennent en détails sur sa vie. Elle, c’est Subh, appelée également Sabiha ou encore Sobheya. Elle a failli être reine du califat de Cordoue (929 – 1031) sous les Omeyyades.
Apogée de l’extension du califat omeyyade de Cordoue en 1025. Les Omeyyades à Al-Andalus ont combattu pour prendre en partie l’Afrique du Nord, dont des régions actuelles du Maroc et de l’Algérie.
En effet, si elle est connue notamment pour avoir eu «un impact irréversible sur les structures politiques andalouses», même sa date de naissance est encore inconnue. Les historiens la situent entre 930 et 940, mais sans plus de précisions.
Ce qui est sûr, c’est que la femme de main de Córdoba, née sous le prénom d’Aurora, est un exemple de courage et d’abnégation, prouvant une nouvelle fois que les esclaves se sont soulevés contre leur situation d’individus voulus sous tutelle. Et pour cause, Subh a été une esclave d’origine vasconne, avant de gravir les échelons pour se libérer de ces chaînes.
En 2013, le chercheur en histoire Bernard Domeyne a consacré à Subh un roman historique, inspiré de sa vie hors du commun.
D’esclave à femme de main du califat
Vers 960, Subh est membre du harem du calife omeyyade Al-Hakam II (961 – 976), surnommé al-Moustansir bi-Lah. Elle devient sa concubine préférée. Il fait ainsi d’elle la future mère de son successeur, Hichâm II (976 – 1013). Justement, la jeune basque a employé tous les moyens possibles pour changer sa situation et se rendre indispensable au règne sur Cordoue, y compris son charme et ses atouts de chanteuse.
Dans ce sens, l’historienne Osire Glacier raconte qu’un jour, Al-Hakam II se promenait dans les jardins de son palais Bayt az-Zahra, quand il a été charmé par un chant mélodieux. Découvrant que la chanteuse est une esclave basque au nom d’Aurora, il a juré de ne plus la quitter et lui a donné le surnom de Subh (Aurora en arabe). «Désormais, plus il passait du temps avec elle, moins il avait envie de la quitter», écrit encore l’historienne.
Ce n’est pourtant pas que pour son charme saisissant et sa voix envoûtante que le calife omeyyade s’est autant attaché à sa nouvelle concubine. En effet, Subh est également connue pour ses connaissances littéraires et artistiques, ainsi que pour être une personne attachante. «Ses conversations étaient plaisantes et ses manières agréables», écrit Osire Glacier.
Buste du calife omeyyade de Cordoue, Al-Hakam II
Sur le plan politique, la naissance de Hichâm II a confirmé à Subh sa place indispensable aux commandes du califat. Non seulement elle est devenue la mère du prince héritier, mais Al-Hakam II lui a aussi confié moults prérogatives politiques où elle a prouvé son efficacité.
Par ailleurs, «Subh a un protégé», fait remarquer Osire Glacier. Il s’agit de Mohammed ibn Abi Âmir, dit al-Mansour. «Certaines sources parlent d’une relation à trois», selon l’historienne, puisque les rapports entre Aurora et son protégé ont été très forts. Elle explique également qu’«Âmir commence sa carrière comme humble écrivain public dans un bureau à proximité du palais royal. Il réussit ensuite à se faire embaucher par le couple califal à titre d’écrivain personnel de Subh».
De grands enjeux de pouvoirs
Sur les pas de son père Abd al-Rahman III (929 – 961), Al-Hakam II accède au pouvoir en 961, déterminé à rendre Al-Andalus une nation prospère sur tous les plans. Dans ce sens, il emploie les grands moyens pour garder la main sur les parties marocaine et algérienne du Maghreb, dans le souci de protéger ses caravanes commerciales.
Il s’agit tout autant de garantir à Cordoue l’approvisionnement en or depuis le Soudan ou encore le Ghana, via l’Afrique du Nord. Cependant, la prospérité économique ou encore industrielle ne sera pas au niveau des ambitions d’Al-Hakam II, dont le califat est resté connu beaucoup plus pour son rayonnement culturel et politique.
Illustration de Cordoue, capitale omeyyade d’Al-Andalus en l’an 1000 / Source : Arthur Redondo
En effet, l’époux de Sobh «est un érudit qui subventionne avec prodigalité les arts et les sciences», rappelle la chercheuse Osir Glacier, dans son ouvrage Femmes politiques au Maroc d’hier à aujourd’hui. Grâce à ces dons, l’Université de Cordoue sera véritablement érigée au rang d’institution du savoir de renommée mondiale, dépassant par moment al-Azhar (Caire) et Nizamiyah (Bagdad). Cette passion du califat pour les livres a presque donné lieu à une vacance politique, qui profitera à Suhb, comme le rappelle Osire Glacier :
«Comme le calife est un bibliophile, il passe une bonne partie de son temps dans ses livres, situation qui permet à Subh de prendre en charge les responsabilités de l’Etat et des affaires publiques. Excellant dans l’exercice du pouvoir, celle-ci surprend les hommes d’Etat de son entourage, dont le calife. Aussi, ce dernier lui confie encore plus de responsabilités, si bien qu’Aurora, esclave basque, finit par devenir le véritable pouvoir du califat.»
«Pendant qu’Al-Hakam s’enferme dans sa bibliothèque, [Subh] gère les affaires publiques, assistée par Othman ben Jaafar al-Moushafi, hajib de l’Etat, et par Âmir qui rédige ses ordres et les communiqués à différents centres», ajoute encore la même source. Aurora fait de son écrivain personnel un véritable bras droit, à qui elle permet une ascension sociale et politique au-delà de ses attentes lui-même. Ainsi, il devient vizir, puis hajib, «et enfin le pouvoir réel derrière le califat, détrônant celle-là même qui l’a aidé à devenir un redoutable homme d’Etat», écrit la chercheuse.
Âmir, érigé en nouvel homme fort de Cordoue grâce à Subh.
Un changement dans les lois de succession
Grâce à Subh, Al-Hakam II réussit à désigner son fils Hicham II comme successeur, alors que ce dernier n’a pas plus que onze ans, dérogeant ainsi à la règle voulant que l’héritier éligible au trône ait au moins 18 ans.
«Autrement dit, Subh a réussi à modifier les structures politiques de la société andalouse en y introduisant une régence», explique Osire Glacier, précisant que c’est pour la première fois dans l’histoire politique de l’Islam qu’un mineur devient calife, tandis que son aîné (al-Moughira) «est tout bonnement écarté du pouvoir».
Intérieur de la mosquée omeyyade de Cordoue avec une représentation apparentée à Âmir, entouré de ses hommes.
Aussi, son statut de propre tutrice de son fils a propulsé Subh au poste de régente. Désormais, cette nouvelle situation permet à la reine de Cordoue de gouverner publiquement et de ne plus se contenter de la gestion dans les coulisses.
Il faut dire cependant que le pouvoir rend parfois aveugles ses détenteurs, notamment Âmir dans ce cas précis, mais également Subh, qui a pris goût à la gouvernance au moment où peu de femmes y accèdent de la sorte. En effet, tous deux déterminés à ne pas donner le pouvoir à Hicham II, ils l’encouragent «à sombrer dans un mysticisme excessif», rappelle la même source.
Les deux associés arrivent même à persuader le prince héritier que la politique risquerait de l’éloigner et de le distraire des contemplations divines. Cependant, Subh n’a pas senti se glisser de ses mains ce pouvoir politique, au moment où la monnaie est frappée au nom d’Âmir, qui est également évoqué lors de la prière du vendredi. Désormais, il est considéré par tous comme le calife de Cordoue, au palais comme dans la rue.
Gravue guerriers omeyyades (source : https://histoireislamique.files.wordpress.com)
Dans une prise de conscience, Subh tente de faire revenir Hicham II à la raison. Elle initie des alliances avec quelques dignitaires du palais et envoie des émissaires à travers Al-Andalus et l’Afrique du Nord, indique encore Osire Glacier dans son ouvrage. Ziri ben Atiya, vizir omeyyade du Maghreb, devient un nouvel allié pour Subh. En revanche, ces manœuvres pour provoquer une rébellion contre Âmir échouent, car entre temps, ce dernier a trouvé l’occasion de faire signer à Hicham II une déclaration d’incapacité à gouverner. Il s’empare ainsi du pouvoir de manière plus formelle.
Permettre au hajib de prendre le pouvoir au lieu du calife légitime et héritier a d’une certaine manière précipité la chute d’Al-Andalous. L’effritement de son unité donnera justement lieu à des principautés affaiblies et au pouvoir épars, signant ainsi les prémices de la fin du califat islamique dans la péninsule ibérique.
Au cœur du califat livré à ses déchirements, Subh se retire de la sphère politique «pour se consacrer à la construction», ajoute Osire Glacier. L’ancienne reine de Cordoue est d’ailleurs connue pour avoir légué des infrastructures robustes, dont des ponts, des puits, ou encore des hôpitaux. Elle en a supervisé l’édification jusqu’à son décès, en 999.