Né à Casablanca, l’écrivain Soufiane Chakkouche grandit dans le quartier l’Hermitage jusqu’à l’âge de 15 ans. De la grande maison familiale, il garde encore le souvenir d’une «enfance heureuse» avec ses deux sœurs, ses parents, ses grands-parents, ses oncles et ses tantes, ainsi que ses cousins. «On nous appelait la tribu des Chakkouche», se rappelle-t-il encore, en évoquant un univers épanouissant.
Mais à l’adolescence, les choses ont changé. «Mon père m’a envoyé à Marrakech à partir de mes 15 ans. C’était une décision dure, mais c’était une manière de me laisser choisir ma direction, entre le fait de devenir une personne autonome et se construire un projet de vie, ou d’abandonner l’école et continuer sur un mauvais chemin. J’ai vécu dans une petite maison, avec un gardien à l’entrée et un puits pour accéder à l’eau, tout en allant à Victor Hugo. C’était une leçon de vie», nous confie l’auteur, qui a fait partie des invités de la troisième édition du Festival du livre africain de Marrakech (FLAM), du 30 au 2 février 2025.
«Je pouvais faire ce que je voulais, j’avais tout le temps pour moi. J’ai appris à jouer de la musique, j’écrivais des chansons, des poèmes et des lettres, mais que je brûlais rapidement pour éviter que quelqu’un découvre ma part sensible, alors que j’étais envoyé à Marrakech pour ‘m’endurcir’ et devenir un jeune homme responsable !»
Soufiane Chakkouche
Un ingénieur passionné d’écriture
C’est pourtant ce séjour qui marquera un déclic, car Soufiane Chakkouche aura «ressenti la puissance des mots» en s’exerçant à l’écriture épistolaire. Au lycée, il se passionne pour les œuvres classiques, notamment «Candide» de Voltaire. Après un baccalauréat scientifique, il s’installe en France, où il obtient un double diplôme d’ingénieur en statistique décisionnelle et d’ingénieur civil, à l’Université de Toulouse et au Canada.
Ph. Youness Ben Addou Idrissi
En France, le séjour académique n’a pas pour autant été simple. Le jour, Soufiane Chakkouche suit ses cours. A sa sortie de l’amphi, il se dirige vers un kebab turc où il travaille chaque soir, jusqu’à la nuit. «C’était très dur de maintenir ce rythme quotidien, mais le résultat le plus important pour lequel je suis parti a été atteint et j’ai pu rentrer au Maroc avec mon double diplôme», nous dit l’auteur.
Avant son retour au pays, il travaille dans le marketing et comme statisticien pour La Dépêche du Midi, où il crée un modèle d’optimisation pour les abonnés. «C’est là-bas que j’ai eu un contact direct avec le monde du journalisme, j’ai vu le travail des journalistes et j’ai été atteint par le virus», nous déclare-t-il. Quelques mois plus tard, Soufiane décide de rentrer au Maroc.
«Avec l’avènement du nouveau règne du roi Mohammed VI, j’ai suivi le mouvement de nombre de mes concitoyens à l’étranger, qui ont souhaité devenir et contribuer à l’effort national», se rappelle l’auteur, qui ouvre son bureau d’études en génie civile à Marrakech. Quelques années plus tard et après s’être engagé dans une deuxième entreprise, il se confronte à des contraintes qui le poussent à abandonner ses deux projets et à s’orienter vers de nouveaux horizons professionnels.
C’est là que Soufiane Chakkouche a eu une occasion en or pour se remettre à l’écriture, dans le cadre d’un concours littéraire de l’Institut français du Maroc. Il y contribue avec une nouvelle, «Le troisième œil», inspirée de souvenirs d’enfance de ses vacances à Tanger, greffés à un récit fictionnel sur fond d’enquête policière. Le personnage de l’inspecteur Dalil est né de cette contribution sélectionnée à l’échelle nationale. Il deviendra ensuite le protagoniste d’une série de romans policiers qui feront connaître l’écrivain au Maroc, puis en France.
De l’écriture journalistique aux polars
Dans le journalisme, Soufiane Chakkouche rejoint la rédaction de Le Matin, où il apprend le b.a.-ba du métier. «Quand j’ai rejoint ce support, je n’étais pas journaliste. J’ai été pris pour écrire dans l’économie et je dois beaucoup à l’équipe avec qui j’ai eu le plaisir de travailler. J’ai été accompagné dès le premier jour et j’ai une grande reconnaissance à l’égard de l’ensemble de mes anciens collègues», souligne-t-il.
Deux ans plus tard, l’auteur continue sur sa lancée pour multiplier les collaborations avec d’autres publications périodiques, dont Les Eco, TelQuel, EcoNews, Industries du Maroc, Marrakech Mag, ou encore 2M. Il rejoint ensuite l’ILCS en tant qu’enseignant d’écriture journalistique.
Soufiane Chakkouche aura ensuite «une chance incroyable pour revenir à la fiction». «Guillaume Jobin, alors co-fondateur de Casa Express éditions, m’a proposé de développer le personnage de l’inspecteur Dalil qu’il a apprécié, à partir de ma première nouvelle, pour en faire un roman», se souvient l’auteur, qui n’hésite pas à accepter l’offre. En 2013, son ouvrage «L’inspecteur Dalil à Casablanca» sort en librairie.
Inédit dans son genre, le polar mettant en avant un inspecteur marocain dans le contexte de son pays se vend comme des petits-pains, jusqu’aux kiosques de journaux. En 2019, l’auteur édite «L’inspecteur Dalil à Paris» (éd. Jigal) en France, finaliste du Grand prix de littérature policière, puis «L’inspecteur Dalil à Beyrouth», en 2022.
A chaque fois, Soufiane Chakkouche tient à s’imprégner de l’environnement où il met en action son personnage, à travers des voyages qu’il effectue lui-même et qu’il considère comme partie intégrante de son processus créatif. Mais le succès incontestable de sa trilogie et l’engouement médiatique au Maroc, puis en France, ne l’empêchent pas de garder les pieds sur terre. Sa vocation est d’écrire des livres, sans se restreindre à un genre précis.
Sortir de la case d’auteur de romans policiers
C’est ainsi que parallèlement à sa série mettant en avant l’inspecteur Dalil, Soufiane Chakkouche se lance dans le manuscrit de ce qui deviendra son quatrième roman, «Zahra» (éd. David), paru en 2022. C’est d’ailleurs cet ouvrage qui le poussera à migrer au Canada, à la recherche d’un éditeur qui accepterait de le publier.
«J’ai écrit ce roman car je ne voulais pas être mis dans une case, en m’assignant le rôle d’écrivain de polar. Je n’aime pas les frontières et pour moi, l’écriture est faite pour ne pas connaître de limites que certains lui posent. Je n’ai pas voulu d’une étiquette qui ne me correspond pas, car j’aspire toujours à écrire autre chose que les ouvrages que j’ai sortis jusque-là.»
Soufiane Chakkouche
Résolument au-delà de l’enquête policière, ce roman s’inscrit davantage dans le traitement des questions sociales par le prisme de la littérature au Maroc, notamment la question du travail des filles mineures dans les maisons, objet d’un large débat législatif entre 2015 et 2016. L’opus relate ainsi l’histoire de Oumaya, une «petite bonne» enceinte des suites d’un viol par son employeur, et qui donnera naissance à Zahra.
Alors que la petite mère est renvoyée à son village, la fille sera élevée comme une jeune bourgeoise, avant que le destin ne la rattrape.
Mention spéciale du jury du prix littéraire canadien Champlain pour le roman Zahra, 2022
«J’ai voulu faire un livre pour le lectorat marocain, qui a été le plus nombreux à me suivre jusque-là. L’idée a été pour moi de partager avec eux une œuvre qui aborde une problématique de notre société. Malheureusement, tous les éditeurs marocains ont refusé de publier cet ouvrage, que j’ai proposé en première version vers 2016-2017. Je n’ai jamais eu d’explications.»
Soufiane Chakkouche
Décidé à faire éditer ce roman, il nous confie avoir «émigré pour un livre», afin d’«aller voir ailleurs s’il peut trouver sa place chez un éditeur». «J’ai eu plusieurs propositions pour continuer mes projets littéraires en France, mais en 2018 déjà, j’ai commencé à voir qu’en termes de valeurs universelles, le pays n’était plus ce qu’il était. J’ai donc opté pour le Canada», nous dit Soufiane Chakkouche. «Mon parcours est jalonné de bonnes rencontres, finalement», s’exclame-t-il.
Arrivé en Ontario, dans un environnement anglophone, l’auteur travaille d’abord en tant que journaliste chez TFO à Toronto. Il couvre l’actualité politique et parlementaire de Queen’s Park. Par ailleurs, il propose «Zahra» à un éditeur, qui l’accepte tout de suite. A la même année de sa parution, le livre reçoit la mention spéciale du jury du prix Champlain, puis il est finaliste du prix du Salon du livre de Toronto et premier auteur marocain parmi les finalistes de Trillium.
L’opus jouit d’un large succès, jusqu’à mener l’écrivain à animer des ateliers dans les écoles. Désormais, Soufiane Chakkouche s’attèle à un cinquième roman, outre un recueil de poésie. Prenant goût à l’exercice et fort d’une formation en écriture scénaristique, il est également associé à deux projets de films, dont l’un au Maroc.