Depuis les années 1970, des milliers de Sahraouis vivent dans les camps de Tindouf, répartis en cinq secteurs. Otages de l’Algérie et du Polisario depuis, ils servent de moyen de pression et de négociation auprès de la communauté internationale, pour établir un sixième Etat de la région du Maghreb sur le territoire du Sahara occidental.
Alors que le Maroc les qualifie de «Sahraouis détenus dans les camps de la honte», l’Algérie avance qu’il seraient des «réfugiés fuyant l’oppression marocaine». Dans ce sens, elle utilise son soutien au Front Polisario, à qui elle a délégué la gestion des camps, pour des objectifs politiques de leadership régional.
La plupart des pays qui accueillent des réfugiés souhaitent que leur séjour soit temporaire et exercent des pressions sur la communauté internationale pour qu’elle les rapatrie et mette ainsi fin à leurs souffrances. Mais l’Algérie agit inversement, en trouvant les moyens de maintenir les Sahraouis dans les camps. Elle prête main forte aussi au Polisario pour contrôler les accès de la zone, de manière à ce qu’aucun éventuel départ définitif n’affaiblisse la position politique d’Alger et du mouvement séparatiste.
Sont-ils des réfugiés ?
Après la Seconde Guerre mondiale, les puissances internationales ont convenu de créer une organisation sous l’égide de l’ONU, garantissant la protection des réfugiés, leur retour volontaire, leur intégration ou leur réinstallation. Depuis, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) gère les opérations de recensement des populations concernées et protège leurs droits, notamment la libre circulation, l’éducation et l’emploi.
Nombre de pays, dont l’Algérie, sont signataires de la Convention relative au statut des réfugiés et du Protocole relatif au statut des réfugiés. Ces deux documents définissent le fonctionnement et les critères permettant de déterminer qui peut être qualifié de «réfugié». La Convention et le Protocole définissent les droits de ces personnes, notamment la liberté de conscience, la liberté de mouvement, le droit à l’éducation, à des documents de voyage et au travail, entre autres.
En tant que signataire de la Convention relative au statut des réfugiés et de son Protocole, l’Algérie est tenue de coopérer avec le HCR, notamment pour faciliter les opérations de recensement. L’article 2 du protocole dispose que les Etats parties s’engagent avec le HCR «ou toute autre institution des Nations unies qui lui succéderait, dans l’exercice de ses fonctions», à «faciliter notamment sa tâche de surveillance de l’application des dispositions du présent Protocole».
L’Algérie a cependant toujours opté pour la fuite en avant, en se soustrayant à ses responsabilités et en refusant de permettre au HCR de recenser la population du camp de Tindouf, faisant fi des multiples résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU qui l’exigeaient. La dernière en date, en octobre 2023, a appuyé la nécessité d’un recensement.
L’Algérie soutient que «la seule solution permanente pour mettre fin aux souffrances des Sahraouis» est leur «retour volontaire au Sahara occidental, sur la base d’une mise en œuvre intégrale du plan de paix de l’ONU, qui inclut un droit à l’autodétermination». Le voisin de l’Est soutient aussi que «ce plan intègre le recensement de la population et ne doit pas être confondu avec les processus habituels de recensement des réfugiés».
En violation du droit international, Alger délègue même la gestion des camps au Polisario, au lieu d’assumer ses responsabilités internationales en tant que pays hôte. Les dispositions onusiennes prévoient surtout que les réfugiés doivent être des civils, alors que le mouvement séparatiste entretient une milice, dite «armée de libération sahraouie».
Combien sont-ils ?
Faute de recensement de la population des camps de Tindouf à cause de l’Algérie, les Nations unies les estiment à 90 000. De quoi provoquer l’ire de l’Algérie et du Front Polisario, qui rejettent cette estimation et affirment que le nombre réel de résidents serait plus élevé.
A la 74e session du Comité exécutif du HCR, e, 2023, l’Algérie a exhorté l’agence onusienne à ajuster les dispositions de l’aide pour refléter le «nombre réel» de «réfugiés sahraouis», qui «dépasse de loin le chiffre de 90 000 pris comme base de calcul de l’aide». Alger a appelé aussi à adopter «l’étude conjointe menée par le Programme alimentaire mondial, l’Unicef et le HCR», estimant le nombre de réfugiés sahraouis en Algérie à 173 600.
Dans ce sens, le gouvernement algérien a estimé leur nombre à 165 000. Malgré cela, les agences de l’ONU continuent de se tenir à 90 000, «jusqu’à ce que le processus d’enregistrement soit terminé», tout en reconnaissant que les résidents du camp dépendent principalement de l’aide humanitaire et ont peu de possibilités d’autosuffisance, compte tenu des activités génératrices de revenus limitées».
Les manœuvres algériennes de gonfler le chiffre de la population des camps remontent au début du conflit. Un document du Département d’Etat américain, publié le 16 décembre 1977, note que «le nombre de réfugiés du Sahara occidental est considérablement gonflé par le Polisario». Il ajoute qu’«un recensement espagnol de 1974 a déterminé 74 000 Sahraouis «autochtones» dans «tout le Sahara espagnol». Pour leur part, l’Algérie et le Polisario ont publiquement affirmé qu’il y avait «plus de 100 000 réfugiés du Sahara occidental». Le document conclut que «le refus obstiné de l’Algérie de permettre une évaluation précise du nombre et de l’origine les populations dans les camps autour de Tindouf rend ces affirmations suspectes».
Qui sont-ils et d’où viennent-ils ?
L’Algérie et le Front Polisario promeuvent l’idée que les habitants du camp de Tindouf auraient fui le Sahara occidental, par peur de la brutalité des soi-disant «forces d’occupation» marocaines, en quête de sécurité et de protection. Cependant, cette version est rejetée par d’autres organismes internationaux, qui confirment que les camps abritent des Sahraouis d’Algérie et de Mauritanie, aux côtés de ceux originaires du Sahara occidental.
Un document du département d’Etat américain daté du 16 décembre 1977 note qu’«un pourcentage important des Sahraouis regroupés dans les camps en Algérie ne sont pas originaires de l’ancien Sahara occidental». Selon la même source, «les camps de réfugiés de ce pays abritent également un nombre important (peut-être même une majorité) de Sahraouis arrivés d’autres régions (Algérie, Mauritanie, Mali, Maroc), soit pour fuir la sécheresse au Sahel, soit parce que les porte-parole algériens et du Polisario les ont incités à le faire».
Le document explique que «le caractère nomade des Sahraouis, qui ne connaissent traditionnellement pas des frontières nationales, fait que la population de la région fluctue considérablement, au gré des saisons et du climat. Au cours des deux dernières années, l’Algérie et le Polisario ont rassemblé un groupe de 30 000 à 80 000 Sahraouis, de manière à démontrer devant les observateurs étrangers leur désir de liberté et d’une «patrie sahraouie».
Plus loin, le document souligne que «les dirigeants du Polisario, dont au moins certains sont des dissidents de gauche de Mauritanie et du Maroc, sont des alliés idéologiques de l’Algérie». Pour garantir la loyauté à la cause séparatiste, le l’Algérie et le Polisario travaillent ensemble à «endoctriner» la population des camps, ajoute-t-on. Ces réfugiés, «regroupés dans 20 à 30 camps, suivent une formation politique et militaire visant à les préparer à retourner dans un Etat sahraoui indépendant».
En outre, de nombreux habitants des camps de Tindouf d’origine mauritanienne gardent des liens avec leur pays d’origine et souhaitent participer aux élections. En 2013, près de 6 000 d’entre eux ont été invités à participer aux élections législatives et municipales en Mauritanie.
Président de la Ligue sahraouie pour la démocratie et les droits de l’Homme, Hamada El Bihi a passé près de 40 ans dans les camps de Tindouf. Selon lui, «moins de 20% de la population des camps vient de Laâyoune, Smara ou Boujdour», tandis que le reste est constitué «de Touaregs et de citoyens des pays voisins comme la Mauritanie, le Mali, le Niger et le Tchad».