Sous le signe de la spiritualité, le mois de ramadan est aussi celui du retour aux sources, y compris dans certaines habitudes culinaires. Avant de devenir une période de faste et de gaspillage alimentaire nourri d’un certain consumérisme, cette saison a en effet été celle de l’harmonie entre le corps et l’esprit, à travers une philosophie qui s’illustre aussi bien dans les pratiques cultuelles que dans les assiettes. C’est la raison pour laquelle chez les aïeux, le menu traditionnellement sobre du ramadan a consisté en des ingrédients simples et nutritifs à la fois. Pour un jeûne sain, l’idée a été d’opter pour des combinaisons qui ne se contentent que de l’essentiel, en élaborant à partir de là des préparations rassasiantes.
En effet, les usages culinaires ancestraux renseignent sur la manière dont les mets se sont souvent adaptés à divers facteurs, comme les périodes de disettes, de longs voyages, de disponibilité ou non de certaines denrées, ainsi que du souci de répartition équitable du stock alimentaire entre les membres de la communauté. Plus largement, ces us ont été pétris aux influences civilisationnelles et régionales, qui montrent l’impact des évolutions historiques et politiques sur les traditions et les cuisines locales.
Dans la culture amazighe marocaine, cet esprit s’est longtemps incarné dans des plats simples aux allures festives, en temps d’abondance, ou plutôt basiques, en période de vaches maigres. C’est le cas notamment pour zemmita, une tradition nationale qui s’est conjuguée aux occasions pour laquelle elle se prépare, que ce soit un accouchement, un Nouvel an amazigh (Yennayer), ou le jeûne du ramadan. C’est tout autant valable pour un met aux bases similaires, mais à la préparation légèrement plus élaborée : sellou.
Si les références historiques n’établissent pas d’origines précises pour cette préparation, elles s’accordent sur son aspect communément admis chez les populations amazighes depuis des siècles, avec les mêmes procédés. Il s’agit de torréfier des céréales, de les réduire en farine, de les mélanger au miel et au ghee, ou en y ajoutant des fruits secs comme l’amande. Au fil des années, des ingrédients s’y sont greffés pour enrichir les déclinaisons d’un met qui a souvent été servi comme dessert, dans les cours almoravides (1040 – 1147).
Des traditions préservées au fil des siècles, selon la description de Charif Al-Idrisi
Père fondateur de la géographie moderne au XIIe siècle, Charif Al-Idrisi est l’auteur de l’une des rares traces écrites historiquement bien documentées, qui donne une description précise de «sellou», révélant un procédé intemporel. Dans son célèbre ouvrage «Livre de Roger» (Kitāb nuzhat al-mushtaq fi ikhtirāq al-āfāq, 1154) élaboré en Sicile à partir de ses nombreux voyages à travers le monde, le natif de Sebta a témoigné d’un met à l’appellation dérivée du terme amazigh «issli», notamment chez les Sanhaja.
Dans cet écrit fondateur, Charif Al-Idrisi fait référence au procédé de torréfaction des graines, d’extraction de la farine, du tamisage et de l’assemblage d’ingrédients secs, liés ensuite au miel et au ghee. Il en ressort que depuis plusieurs siècles, ces gestes ont été fidèlement perpétués et que malgré leur documentation limitée, les principes de la préparation de sellou ont été fidèlement préservés et transmis à travers les générations.
Le géographe médiéval évoque également ce met comme étant étonnamment nutritif et savoureux, dont «une poignée» accompagnée de lait caillé suffit pour rassasier les populations toute une journée. Il en a documenté des observations notamment dans les terres de Souss ou encore de Oued Noun, ce qui montre l’étendue géographique de cette tradition culinaire, ancrée chez les communautés sédentaires aussi bien que celles nomades.
Dans l’évolution des traditions culinaires et gastronomiques régionales, il est par ailleurs connu que le brassage entre les usages amazighs, andalous et arabo-orientaux a donné au patrimoine marocain toute sa richesse, avec l’introduction de composantes alimentaires nouvelles.
Avec l’extension de l’empire almoravide à Al-Andalus, puis l’installation des familles musulmanes et juives en Afrique du Nord avec la Reconquista (722–1492), c’est particulièrement au cours de cette période charnière que les préparations sucrées ou sucrées-salées ont été plus élaborées. Plus qu’un musicien et pillier de la musique andalouse, Ziryab a eu un grand rôle dans le développement de ces coutumes, qui ont donné au banquet traditionnel tout son raffinement et toute son élégance.
Ce contexte aura façonné également sellou, de sa version aux céréales et au miel à sa composition enrichie d’amandes, de sésame, d’anis, d’épices, parfois de gomme arabique, ou de nombreux autres éléments naturels aromatisants qui donnent les saveurs d’un véritable dessert traditionnel à ce met, outre son apport énergétique et nutritionnel.
Au vu de l’étendue géographique de beaucoup d’usages communs aux communautés de la région, des déclinaisons de sellou font partie également des traditions dans les pays voisins, comme l’Algérie, la Tunisie ou encore la Libye.