Depuis 2021, le Maroc et l’Algérie sont au cœur d’une crise diplomatique. Cette dernière est vue comme une bombe à retardement qui, si elle n’est pas contenue par des médiateurs étrangers, pourrait mener à une guerre transfrontalière.
Dans un rapport publié le 29 novembre, intitulé «Managing Tensions between Algeria and Morocco», l’International Crisis Group (ICG), une organisation indépendante engagée dans la prévention et la résolution des conflits meurtriers, analyse la situation actuelle entre Rabat et Alger, soulignant les risques et les efforts pour prévenir l’escalade.
Il y a trois ans, l’Algérie a décidé de rompre les relations diplomatiques avec le Royaume du Maroc. Le déclencheur, selon Alger, a été la décision de Rabat de normaliser ses relations avec Israël en 2020 et les accords de coopération militaire qui ont suivi. «L’Algérie a vu les liens de plus en plus étroits entre Israël et le Maroc comme une menace pour sa sécurité nationale», explique le rapport.
Pression américaine
La reprise des relations avec Israël, en plus d’autres sources de friction entre les deux pays voisins, comme la question du Sahara occidental, aurait pu mener à une escalade armée, s’alarme l’ICG. Cependant, «la retenue mutuelle et la diplomatie américaine» ont jusqu’à présent empêché le pire scénario.
Le rapport révèle que des acteurs extérieurs, tels que l’administration Biden, ont joué un rôle majeur dans l’apaisement des tensions entre l’Algérie et le Maroc. «Depuis Washington, l’administration Biden a tenté d’empêcher un conflit direct en appuyant son engagement avec les trois parties – l’Algérie, le Maroc et le Polisario», indique-t-il.
Les gouvernements européens, quant à eux, ont «eu du mal avec leur diplomatie, pris au milieu d’un jeu à somme nulle entre Alger et Rabat». Alors que l’Espagne et la France ont essayé d’équilibrer leurs relations, elles se sont alignées sur le Maroc, soutenant sa souveraineté sur le Sahara et le plan d’autonomie.
Pendant ce temps, l’Union européenne a cherché à «protéger sa relation avec le Maroc des répercussions d’une bataille juridique de longue date sur le Sahara occidental à la Cour de justice de l’Union européenne», s’efforçant (avec un succès mitigé) de concilier cet effort avec une ouverture vers l’Algérie.
Les facteurs de risque sapant le statu quo
Cependant, une escalade entre les deux grands pays du Maghreb pourrait saper le fragile statu quo. Les auteurs du rapport identifient une série de facteurs de risque qui, sans l’intervention d’acteurs étrangers, pourraient mener à une confrontation militaire dans la région.
Un risque majeur repose sur la montée de l’impatience parmi les jeunes du Polisario. «Les jeunes militants sahraouis, de plus en plus insatisfaits de la guerre d’usure du Polisario, appellent à une escalade radicale», avertit le rapport. Cette pression devrait grandir à mesure que de jeunes responsables de niveau intermédiaire montent en grade et gagnent en influence dans la prise de décision.
Un autre risque est la course aux armements entre l’Algérie et le Maroc, qui engendre des «perceptions de menace accrues». Bien que le budget de l’armée algérienne reste supérieur à celui du Maroc, ce dernier a acquis des équipements avancés des États-Unis et d’Israël qui pourraient faire pencher l’avantage en sa faveur dans une guerre hypothétique, suggère le rapport.
Un troisième facteur de risque concerne les États-Unis, qui ont joué un rôle clé dans le maintien de la paix dans la région. La réélection de Donald Trump en tant que président des États-Unis pourrait accroître le risque de guerre. Selon l’ICG, la première mandature Trump «a attisé les tensions régionales – et probablement accru la perception de menace de l’Algérie – en reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental et en soutenant la normalisation des relations diplomatiques du Maroc avec Israël».
La désinformation en ligne et les discours de haine en Algérie et au Maroc sont également des facteurs de risque significatifs. «La propagation de récits dangereux parmi la population peut influencer les gouvernements à divers niveaux», suggère le rapport.
Les recommandations pour une désescalade
Le rapport ne se contente pas de faire un état des lieux et de lister les facteurs de risques. Il propose également des solutions pour maintenir le statu quo et potentiellement restaurer les liens entre les deux nations. Pour cela, les auteurs soulignent la nécessité d’une médiation extérieure. «L’équilibre en Afrique du Nord devrait être une priorité pour les partenaires des deux pays; les pays occidentaux sont historiquement les plus à même de faire pression dans cette direction», indique le rapport.
Les États-Unis et les pays européens devraient intervenir pour minimiser le risque de confrontation militaire directe en soulignant, dans les messages privés et publics, «le besoin primordial de protéger les civils au Sahara occidental et de sauvegarder les opérations de la MINURSO».
Pour répondre à la course aux armements, le rapport recommande que les acteurs extérieurs veillent à ce que leurs ventes d’équipements militaires «n’altèrent pas indûment l’équilibre des forces». Cela inclut les États-Unis faisant pression sur Israël et la Turquie pour ralentir le rythme de leurs ventes d’armes à Rabat, tandis que les pays du Golfe, comme l’Arabie saoudite, devraient exhorter Moscou à limiter ses ventes d’armes à l’Algérie pour éviter l’escalade.
Dans le même temps, les pays européens devraient viser un rôle plus «équilibré», en transmettant des messages apaisants au Maroc et à l’Algérie et en intervenant lorsque des incidents menacent le statu quo, ajoute le rapport.
Concernant la désinformation en ligne, Crisis Group appelle les géants des réseaux sociaux comme Facebook, Instagram et X à «intensifier la surveillance des publications suspectes concernant ces pays et être prêts à intervenir si le harcèlement, la désinformation et les discours de haine augmentent».
De plus, les États-Unis et les pays européens devraient aider à relancer les négociations parrainées par l’ONU sur le Sahara occidental. Les gouvernements européens devraient «pousser le Maroc et le Front Polisario à accepter la reprise des pourparlers et ouvrir la voie à de Mistura (l’envoyé personnel de l’ONU pour le Sahara) pour présenter un plan de dialogue réalisable».
Si ces recommandations sont mises en œuvre, le chemin pourrait être ouvert pour la reprise des relations entre l’Algérie et le Maroc. Le rapport envisage un avenir où les relations sont rétablies, les frontières rouvertes et les initiatives de coopération reprises.