En 1757, Moulay Mohammed Ben Abdellah, dit ultérieurement Mohammed III, monte sur le trône pour succéder à son père. Pour accompagner les ambitions du nouveau sultan alaouite et ses projets de transformer les ports de l’empire chérifien en une plateforme de commerces et d’échanges, il fallait trouver un puissant conseiller capable à la fois de parler aux Marocains et aux étrangers.
Il nomme ainsi Samuel Sumbal, un juif ayant effectué ses études de français à Marseille, et Naguid de la communauté juive marocaine, au poste de conseiller. Il était alors un interprète, fin connaisseur des relations extérieures et disposait déjà de la confiance de la communauté juive marocaine à l’époque du sultan Moulay Abdellah. Il parlait surtout couramment l’arabe, le français et l’espagnol.
D’abord conseiller, Samuel Sumbal saura confirmer la confiance de Mohammed III en lui, ce qui lui permet de devenir ministre des Affaires étrangères du sultan alaouite et sa main droite pour les commerces et l’économie, rapporte The Commentary Magazine dans un article paru en 1950.
Une contribution remarquable à l’édification de Mogador
Dans son ouvrage intitulé «The Sultan’s Jew : Morocco and the Sephardi World» (Editions Stanford University Press, 2002), Daniel J. Schroeter souligne, citant une histoire racontée par la communauté juive d’Essaouira, comment le puissant conseiller de Moulay Mohammed Ben Abdellah s’était occupé de choisir, en 1766, les représentants de dix des familles juives les plus importantes du Maroc pour devenir le cœur battant du commerce dans la nouvelle ville Mogador.
«Le sultan avait accordé des privilèges spéciaux à ces marchands juifs. Que ce soit Sumbal ou non qui ait choisi des familles de marchands juifs spécifiques pour habiter la nouvelle ville est incertain, mais ses liens officiels avec Essaouira sont confirmés par les preuves», précise l’historien. Il se base, en autres, sur une lettre écrite par le consul de France à Rabat, Louis Chénier depuis Marrakech en 1768, où il affirmait que Sumbal rassemblait des marchands d’Essaouira et d’Agadir.
Le sultan Moulay Mohammed Ben Abdellah. / DR
C’est grâce au travail de Samuel Sumbal que la ville deviendra un port cosmopolite. «Essaouira était rapidement devenu le port maritime marocain le plus actif. Des marchands européens, musulmans et juifs y ont construit des maisons, attirés par les promesses d’assouplissement des droits de douane», précise Daniel J. Schroeter.
Et pendant de nombreuses années, Samuel Sumbal était aussi la figure prééminente des relations étrangères devant les tribunaux de Moulay Abdellah et Sidi Mohammed Ben Abdellah. D’ailleurs, ce dernier ne manquera pas de le dépêcher au Danemark pour empêcher une crise diplomatique avec ce pays après qu’un membre de la famille Buzaglo ait été impliqué dans un fiasco ayant conduit le sultan à emprisonner le représentant du gouvernement danois au Maroc et de condamner à mort des commerçants juifs responsables de cette affaire, comme le rapporte Cecil Roth dans «The Amazing Clan of Buzaglo».
Une version relayée aussi par Yaacob Dweck dans «Dissident Rabbi : The Life of Jacob Sasportas» (Editions Princeton University Press, 2019), qui affirme que «Samuel Sumbal était un diplomate juif envoyé par le sultan marocain au roi du Danemark Frederick V». «Sur le chemin de Copenhague, Sumbal s’était arrêté à Altona-Hamburg-Wandsbek où il avait rencontré Eibeschutz et Buzaglo. Deux des frères de ce dernier étaient emprisonnés à l’époque par le sultan marocain et il aurait demandé que Sumbal plaide leur cause devant la cour danoise», explique-t-il. Si la mission diplomatique de Sumbal sera couronnée de succès, celle d’intervenir pour les Buzaglo restera un mystère.
La ville d’Essaouira. / DR
Une vie difficile et une fin tragique
Mais si Samuel Sumbal avait tout à la portée de main, il aurait commis certaines erreurs. Daniel J. Schroeter raconte en effet que le puissant conseiller juif aurait «également tenté de gagner la faveur des puissances étrangères et a reçu de leur argent en échange de services». «Cela lui a permis d’acheter des propriétés considérable. Des individus auraient été contraints de lui vendre des biens par peur, donnant lieu à des poursuites devant les tribunaux rabbiniques, dans un cas trente ans après la vente d’une maison et après le décès des deux parties», explique l’auteur.
L’histoire raconte aussi que Samuel Sumbal, de peur de la colère de Moulay Mohammed Ben Abdellah, aurait transféré ses biens à Genova, en Italie en 1780, puis aurait tenté de fuir le pays. «Georg Host, agent de la Danish African Company, avait raconté qu’ayant été condamné à une amende de plusieurs milliers de piastres par le sultan, il est parti pour la Guinée avec un « cercueil bien rempli » d’argent, déguisé comme un musulman».
Des juifs marocains. / DR
Le conseiller juif du sultan aurait été trahi par des musulmans qui voulaient lui voler ses effets personnels. Il était ainsi amené à Essaouira enchaîné et conduit par la suite à Marrakech. Il y purgera une peine de quatre mois avant d’être transféré à Salé. Ce n’est qu’après avoir payé une amende de six mille piastres qu’il sera gracié par le sultan et autorisé à réintégrer le poste de premier secrétaire.
Mais peu de temps après cet indicent, Samuel Sumbal perdra la vie empoisonné. Il décède ainsi à Tanger, en 1782. Georg Host décrit aussi la tristesse du sultan suite à cette disparition. «La mort de Samuel Sumbal le plongeait fréquemment dans un état de désarroi ; il lui manquait beaucoup et ne trouva personne qui pourrait s’occuper de ses affaires avec la même diligence et l’intelligence de ce juif», conclut-il.