Comme de nombreux pays islamiques, le Maroc a connu, à la fin du XIVe siècle, un recul de la pensée scientifique rationnelle. Ainsi, les mythes et les légendes se sont répandus. Oulémas et Chioukhs ont ainsi occupé une grande place dans la société.
Au cours des siècles ayant suivi cette période, de nombreuses catastrophes naturelles et épidémies ont frappé le Maroc, alors puissant de son Makhzen. Ceci a poussé certains à conditionner ces catastrophes par la désobéissance des dirigeants des ordres de Dieu, tandis que d’autres ont criéà la propagation des péchés parmi la population.
Compte tenu de l’incapacité du royaume chérifien à surmonter des épidémies, telles que la peste ou la variole, et l’intensité des catastrophes naturelles causées par les inondations ou des sécheresses, les Marocains ont eu recours aux interprétations religieuses. Ils ont tenté de trouver le salut, via des rituels hérités, dont certains sont préislamiques.
Les sultans face aux catastrophes et épidémies
Selon le livre «Histoire des épidémies et des famines au Maroc» de Mohamed Al-Amin Al Bazzaz, les Marocains ont nié que ces phénomènes soient naturels, avançant qu’ils relevaient de la «prescience». Ainsi, «la sécheresse touchant la saison agricole, les criquets pèlerins ou la faim généralisée étaient, dans l’imaginaire collectif, une punition du ciel pour des péchés inconnus».
Cette interprétation indique que les catastrophes seraient étroitement liées aux actions des gens, telle une punition pour déviation de la voie musulmane. Alors que les Marocains ont collé l’accusation de péchés aux dirigeants, les sultans ont pointé du doigt le peuple.
Le livre de Mohamed Al-Amin Al Bazzaz rapporte comment que le sultan Moulay Slimane (1792-1822) a associé dans un décret annulant des Moussems, «la propagation du mal» et «les calamités». Dans son texte, il estime que lorsque les pêchés d’un peuple se multiplient, la colère ne tarde pas. Il cite «la cessation de la miséricorde de Dieu, la propagation de maladie, le déficit pluviométrique et la rareté de l’eau», expliquant que «les mauvaises manières avec Dieu» ouvrent les portes de l’enfer.
Selon le même ouvrage, le neveu de Moulay Slimane, Moulay Abderrahmane (1822-1859) emboitera le pas à son oncle. Dans l’une de ses lettres, le sultan alaouite a estimé qu’«avec ces terribles incidents et les hérésies odieuses, il n’est pas surprenant que la pluie ne soit tombée, que les prix augmentent et que l’ennemi infidèle s’empare de nombreuses parties» du pays.
Une lettre, cette fois de Moulay Hassan Ier (1873-1894) au commandant Mohammad ibn Ham al-Tasmani, datant du 9 juin 1883, indique que «Dieu n’envoie la famine sur un peuple qu’à cause de sa rébellion».
Quand le peuple accusait ses sultans
D’un autre côté, la population a accusé les sultans de corruption et de déviation. Dans «Al Ightibat bi Tarajim Aalam Arribat», Mohamed Ben Mostafa Boujendra rapporte que certains pensaient que l’instauration de taxes illégales sur le peuple était l’une des raisons de la propagation des épidémies. L’écrivain cite même l’annulation des droits d’accise par Moulay Hassan Ier. Il raconte que «le jour où le sultan a prononcé son discours annulant cette taxe, la pluie est tombée». «Une forte pluie envoyée par Dieu à ses serviteurs contre l’impureté de l’accise après que les gens aient grandement souffert de la sécheresse», ajoute-t-il. En outre, les Marocains faisaient tomber leurs Amghars (chefs de tribaux) si la tribu souffrait de malheurs pendant.
L’intervention européenne dans le pays au milieu du XIXe siècle avait ancré ces idées dans l’imaginaire commun, les Marocains accusant leurs dirigeants d’être à l’origine des épidémies et des catastrophes ayant frappé le pays «en raison de leurs relations avec les Chrétiens». Dans ce sens, Mohammad Ben Jaafar Al-Kattani (1857-1927) avait même appelé à «rompre toutes les relations avec les Chrétiens et à les tenir responsables des calamités qui ont affligé le pays».
Un autre exemple dans l’accusation portée contre les sultans : la promesse d’allégeance du peuple de Fès à Moulay Abdellah Ben Ismail, qui indique que «Dieu a fait de l’injustice la mort des récontes, du bétail et du pays».
Face à ces catastrophes, les Marocains ont cru qu’une fin de crise aurait lieu avec la satisfaction du Seigneur en colère. C’est ainsi qu’ils se sont rassemblés dans les mosquées, les sanctuaires et les mausolées pour demander pardon et implorer la miséricorde divine.
L’ouvrage «Histoire des épidémies et des famines au Maroc» cite le vice-consul de France à Rabat, qui raconte que lors de la sécheresse de 1850, le juge de la ville est sorti tous les jours, pieds nus et Coran sur la tête, pour diriger les hommes, en suppliant les saints de la ville d’intercéder auprès du Tout-Puissant.