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Quand les ouvriers de Jerada créaient la première plate-forme syndicale au Maroc

Quand les ouvriers de Jerada créaient la première plate-forme syndicale au Maroc


Nichée dans le nord-est du Maroc, la ville minière de Jerada a été, depuis au moins 1929, un pilier économique incontournable. Autour de sa mine de charbon, un tissu social dense s’est tissé au fil des décennies, la vie de la cité étant profondément ancrée dans l’activité minière. Le charbon extrait était intensément exploité et exporté vers d’autres régions.

Cependant, à la fin des années 1990, la chute des cours mondiaux du charbon a marqué le début du déclin économique de Jerada. La fermeture officielle du site industriel, seul moteur économique de la ville, dans le cadre d’un plan social controversé, a plongé des milliers de familles dans la précarité.

En dépit de l’arrêt officiel de l’activité minière il y a environ vingt ans, les ouvriers ont continué à travailler de manière informelle. La mine a poursuivi son activité clandestinement, sans respecter aucune norme, laissant peu d’alternatives à ceux qui ont choisi de rester à Jerada.

À une soixantaine de kilomètres au sud d'Oujda, la ville de Jerada s'est construite autour de la mine de charbon. / Ph. DR.À une soixantaine de kilomètres au sud d’Oujda, la ville de Jerada s’est construite autour de la mine de charbon. / DR

Lundi dernier, Jerada a enterré deux jeunes frères, victimes d’un accident survenu trois jours plus tôt au fond de la mine. Cet événement tragique a ravivé une tension sociale latente depuis une décennie, déclenchant une série de manifestations.

Depuis vendredi, les habitants de Jerada sont descendus dans la rue pour protester contre la situation désespérée dans laquelle ils se trouvent, dans une ville rongée par le chômage et le travail informel mal rémunéré. Ce mouvement rappelle le passé militant de cette cité minière, qui a vu naître l’un des premiers syndicats marocains.

Le bassin de Jerada

L’exploitation minière à Jerada a débuté en 1927. Selon le livre Coal Geology de Larry D. Thomas (2002), les régions où le minerai est présent sont décrites ainsi : «Le charbon noir de la période Carbonifère se trouve dans le nord-est du Maroc, à Jerada. Il a été identifié sous des sédiments plus récents à Ezzhiliga (province de Khémisset) ainsi qu’à Tindouf-Daraa.»

Le charbon a été découvert à Jerada après des recherches menées par des géologues d’une société belge, Ougrée-Marihaye. Selon le site Oujda City, ces recherches ont abouti en janvier 1927 : «J. Horry a été le premier géologue à signaler la présence de charbon dans le bassin de Jerada.»

Officiellement, l’exploitation des mines a commencé en 1934, explique Houssine Bernat, secrétaire général du bureau régional de l’Union marocaine des travailleurs (UMT) à Jerada. Dans un entretien avec Yabiladi, il raconte que dès la découverte du charbon, les ouvriers ont afflué pour travailler dans les mines. Les conditions difficiles ont poussé les travailleurs à s’organiser en syndicat.

Des mineurs de Jerada rejoignant leur chantier / Ph. DR.Des mineurs de Jerada rejoignant leur chantier / DR

Les mineurs et le syndicalisme

«Sous le Protectorat français, les conditions de travail dans la mine étaient difficiles et l’extraction se faisait avec des outils rudimentaires», explique Bernat. Il souligne que «en 1946, la ville a accueilli le premier congrès syndical organisé sous l’égide de la Confédération générale du travail (CGT), un syndicat français historique». Ce congrès a marqué un tournant dans l’histoire du syndicalisme au Maroc.

«Les ouvriers de Jerada ont inspiré tout le pays, et pour la première fois, des Marocains ont créé un syndicat. À partir du congrès de 1946, une vague de dirigeants a émergé dans la ville, comme Taïeb Ben Bouazza (1925 – 2015), originaire de Berkane, qui a cofondé l’Union des travailleurs marocains le 20 mars 1955.»

Ce récit est confirmé par l’historien Maâti Mounjib, qui a témoigné auprès de Yabiladi du rôle crucial que l’activité syndicale de Jerada a joué dans le pays :

«Jerada est connue pour être l’un des premiers bastions syndicaux du Maroc, et Taïeb Ben Bouazza est un véritable père fondateur de l’UMT. C’est l’un des syndicalistes les plus renommés, qui a très tôt mobilisé les ouvriers de Jerada.»

Taïeb Ben Bouazza, décédé à Stockholm en 2015, a été élu premier secrétaire général de l’UMT. Cependant, des fraudes ont entaché le scrutin, et Mahjoub Ben Seddik, arrivé en deuxième position, s’est emparé du poste par la force.

Taïeb Ben Bouazza / Ph. DR.Taïeb Ben Bouazza / DR

Un déclin dramatique

À l’aube des années 2000, la ville qui avait donné naissance au plus ancien syndicat et offert des opportunités d’emploi à des milliers de travailleurs a connu un déclin sans précédent. «En 1998, le gouvernement a décidé de cesser l’extraction du charbon à Jerada», rappelle Houssine Bernat. Selon lui, cette décision a été un choc pour la population, qui ne vivait que de cette activité.

«À l’époque, les raisons officielles avancées pour la fermeture des mines étaient que l’extraction devenait plus coûteuse que l’importation», déclare Bernat, qui juge cette justification peu convaincante.

En 2001, les habitants de Jerada ont été interdits de toute activité minière. La ville, autrefois moteur de l’économie nationale, est désormais oubliée. Une situation que Bernat conteste fermement. «Aujourd’hui, les jeunes de Jerada sont contraints de travailler dans des mines clandestines pour survivre», dénonce-t-il à Yabiladi.

«En moyenne, deux à trois personnes meurent chaque année dans ces mines. Les ouvriers y travaillent dans des conditions rudimentaires, voire inhumaines, et cela dure depuis plus de quinze ans.»

Non loin des mines de charbon de Jerada, une usine électrique de charbon est désaffectée depuis plus de quinze ans / Ph. DR.Non loin des mines de charbon de Jerada, une usine électrique de charbon est désaffectée depuis plus de quinze ans / Ph. DR.

Ils creusent pour vivre

Les jeunes chômeurs de la ville vivent des difficultés considérables. Yabiladi a pu s’entretenir avec Mehdy Mariouch, un photo-reporter qui a récemment rencontré les mineurs de Jerada dans le cadre de son travail. «J’ai visité Jerada en 2014 pour un reportage. Pour moi, c’était une ville lointaine dont je ne savais rien», confie-t-il. Mehdy a photographié les mineurs, une expérience marquante et une leçon de vie qu’il partage aujourd’hui.

«Ce fut un choc pour moi, au premier abord. Je suis allé avec mon appareil photo et j’ai visité les mines. J’ai rencontré les mineurs, qui m’ont dit qu’ils étaient désespérés. Ils m’ont raconté que des journalistes et reporters internationaux étaient venus avant moi, mais que cela n’avait rien changé à leur situation.»

Mehdy explique à Yabiladi que les jeunes de Jerada «creusent pour vivre» : «Ils se rendent chaque jour aux mines, creusant parfois jusqu’à 70 mètres pour trouver des plaques d’anthracite.» Rencontrer ces ouvriers a profondément marqué le jeune photographe. En plus d’être frappé par les conditions de travail, il a été choqué par les maigres sommes que rapporte ce dur labeur.

«Ils peuvent gagner entre 70 et 100 dirhams par jour, ce qui est peu. J’ai photographié un mineur récitant le Coran après être remonté de la mine. Quand je lui ai demandé pourquoi, il a répondu que survivre à une extraction de charbon équivalait à une résurrection.»

Selon Mehdy Mariouch, certains jeunes de Jerada travaillent dans les mines, tandis que d’autres se rendent à l’ancienne usine de charbon désaffectée, où ils cherchent de la ferraille à vendre. Ayant longuement discuté avec la population locale, Mehdy est convaincu que ces mineurs ne sont pas prêts à quitter leur ville, un lieu autrefois prospère et symbole de l’action syndicale.





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