L’Espagne commémore chaque 18 juillet une douloureuse date de son histoire. En effet, elle marque le début de la Guerre Civile dans le pays ibérique, mais qui a débuté la veille au Maroc, dans les territoires sous protectorat espagnol. Ce jour-là, Francisco Franco qui deviendra chef des opérations du coup d’Etat en Afrique, se trouve aux Iles Canaries et se dirige vers Tétouan.
Franco a alors commencé à déplacer l’armée de l’Afrique vers la péninsule. Cette armée était composée de près de 34 000 hommes, dont des Marocains. Lors de son allocution, il se demandera même s’il«est possible qu’un jour de plus soit autorisé au spectacle honteux que nous donnons au monde ?».«Est-ce que nous pouvons abandonner l’Espagne aux ennemis de la patrie, avec un acte lâche et perfide, la livrer sans lutte et sans résistance ?», enchaîne-t-il. Servi par un contexte international favorable et par une inactivité des régimes républicains et monarchistes, Franco s’autoproclama président du gouvernement après trois ans de guerre sanglante.
Mais fuir sa patrie, comme il l’a dit un fameux 17 juillet, a été la seule échappatoire pour beaucoup d’Espagnols. Nombreux sont ceux qui s’exileront en Argentine, à Cuba, en France ou encore au Maroc.
Le Maroc, un eldorado pour les Espagnols
Cependant, le 18 juillet n’est pas réellement la date qui marque le début des flux migratoires entrepris par les Espagnols vers le Maroc. Il est possible de remonter jusqu’en 1492, lorsqu’un grand nombre d’arabo-andalous et de judéo-andalous, chassés d’Espagne et du Portugal, transitent par Tanger et décident de s’y installer.
Pourtant, cette voie n’atteindra son pic qu’après la fin de la bataille de Tétouan en 1860. Selon l’historien Juan Bautista Vilar, «après la signature du Traité hispano-marocaine de 1861, de nombreux paysans et artisans cherchaient refuge et travail dans les villes côtières au Maroc».
A cette époque, l’immigration espagnole au Maroc prend plus d’ampleur, grâce aux campagnes de propagande. C’est ainsi que durant la fin du XIXè siècle, ce flux migratoire a sensiblement augmenté. Durant les années 1891-1892, on avait recensé au Maroc près de 6 000 Espagnols repartis entre Tanger, Casablanca, Larache, Mogador ou encore Rabat.
Grâce à ce traité privilégié signé à Tétouan, l’Espagne poursuivra son expansion et affirmera son leadership au royaume. Les Espagnols considèreront le Maroc tel un eldorado, où du travail et des avantages sociaux les attendent sur place.
Ainsi, cette immigration ne fera que poursuivre sa croissance durant le XXè siècle. Entre 1900 et 1904, le mouvement dans les deux directions a fluctué au moment où les chiffres officiels parlaient de 1 000 à 1 500 migrants annuels. Commerçants, businessmen ou encore artistes continueront de fuir l’Espagne à la recherche de meilleures conditions de vie au Maroc.
Une vie simple est un business prospère
Alors qu’en Algérie, il y avait une certaine prédominance pour le secteur primaire, les Espagnols qui se sont installés au Maroc étaient des commerçants, des enseignants ou encore des hommes d’affaires qui dirigeaient leurs propres entreprises ou représentaient des entreprises métropolitaines.
Mais leurs modes de vie n’avaient rien de luxueux, bien au contraire. Alors que les Français s’installaient dans les quartiers bourgeois de Casablanca et Rabat, les Espagnols, eux, étaient souvent décrits comme étant des gens simples qui préféraient les ruelles étroites des veilles médinas.
Avec la proclamation du Protectorat espagnol en 1912, l’immigration au Maroc devient même un phénomène de mode. Quelques années après, la population espagnole au Maroc qui ne dépassait guère 8 000 personnes en 1916, avait atteint 16 000 en 1923, selon les statistiques françaises de l’époque.
Mais la Guerre Civile en Espagne obligera de nombreux ressortissants espagnols à quitter le pays. Si la guerre avait appauvri d’avantage la population, la période d’après-guerre sera encore plus rude. Au Maroc, la situation économique est plus radieuse. Tanger et Casablanca en pleine essor, attireront ainsi de nombreux migrants espagnols fuyant le régime dictatorial de Franco.
A l’époque, il y avait plus de 150 000 Espagnols, 80 000 dans les régions sous protectorat espagnol et 50 000 dans la zone du protectorat français. La ville internationale de Tanger abritait, à elle seule, 20 000 Espagnols.
Quand le Maroc réussira à déloger les occupants espagnol et français, clamant enfin son indépendance, il comptait pas moins de 11,6 millions d’habitants, dont 1,3% d’origine espagnole. Soit une proportion équivalente à celle au début des années 2000… pour les Marocains résidant en Espagne.
Des va-et-vient sans fin
Durant cette période post-indépendance, deux événements joueront un rôle crucial pour l’immigration espagnole au Maroc. D’un côté, Francisco Franco, gravement malade, mourra le 20 octobre 1975, et quelques jours plus tard, soit le 6 novembre 1975, la Marche verte sera lancée par le roi Hassan II. Ainsi, les Espagnols se sentiront menacés au Maroc et grâce à l’arrivée de la démocratie, l’amélioration économique et l’entrée de l’Espagne dans la Communauté économique européenne, les enfants d’immigrés se tourneront vers leurs pays d’origine.
D’ailleurs, en 1980, il n’y avait plus que 10 000 Espagnols vivant au Maroc. Six ans plus tard, ce même chiffre baissera à 8 500 Espagnols installés principalement à Tanger, Casablanca et Tétouan. Une baisse qui se poursuivra par la suite.
Cependant, ce phénomène migratoire reprendra suite à la crise financière mondiale de 2007-2008, menant ainsi plusieurs Espagnols à s’installer au Maroc. A l’époque, selon Hein de Haas de l’Institut des migrations internationales à l’Université d’Oxford, le phénomène inversé de l’immigration entre le Maroc et l’Espagne est lié aux cycles économiques.
Malgré le fait que le Maroc subissait également les conséquences de cette crise planétaire, sa situation n’était pas comparable à celle du voisin du nord. Cette tendance se poursuivra jusqu’en 2012, lorsque l’immigration des Espagnols vers le Maroc a augmenté de 32% entre 2008 et 2012.