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Quand le Maroc a failli se transformer en royaume des Taïfas [4/5]


Avant l’avènement des Alaouites vers 1631, le Maroc sous les Saadiens était divisé en plusieurs zones d’influences. Des Etats contrôlés notamment par deux puissantes zaouias berbères : celle de Dila, au centre, et celle des Illighs au sud. Quelque part dans l’ouest, la République de Salé était arrivée à son apogée, au moment où les sultans saadiens ne contrôlaient que Marrakech et une partie du Nord, vers Tanger. Tétouan était alors gouvernée par la puissante famille des Naqsis, alors que les Alaouites contrôlaient tout le Tafilalet.

Aux origines des Alaouites installés dans cette région, une légende racontée par Gaulis dans «Le Tafilalet, l’Afrique française» (1928) et citée par l’historien Paul Doury dans «Un échec occulté de Lyautey, l’affaire du Tafilalet : Maroc oriental, 1917-1919» (Editions Harmattan, 2008). Elle raconte qu’au 14e siècle, l’oasis de Sijilmassa, en proie aux querelles intestines, traversait une période particulièrement difficile. «Les palmiers dépérissaient, ils ne produisaient pratiquement plus de dattes», poursuit la légende selon laquelle «une délégation de notables du Tafilalet» partira dans ce contexte difficile pour le pèlerinage à La Mecque.

«Revenue en 1374, elle aurait ramené avec elle, d’Arabie, un chérif du nom de Moulay Hassan qui avait la réputation d’un homme juste et pieux et qui accepta de s’installer chez eux. Sous son influence, la situation s’améliora. Il fut appelé par la suite Hassan El Dakhil, qui signifie « l’envoyé ou le premier arrivant ».»

Paul Doury

Il s’agit d’El Hassan Ben Qassem Ben Mohammed, originaire de Yanbu, ville d’Arabie saoudite située sur la mer Rouge et descendant de Hassan Ibn Ali Ibn Abi Talib et Fatima Zahra, respectivement cousin et fille du Prophète Mohammed. Selon le numéro 273 de la revue mensuelle «Daaouat Al Haq» éditée par le ministère des Habous et des Affaires islamiques, qui rapporte une version différente de la légende, El Hassan Ben Qassem aurait été envoyé par son père à la demande des habitants de Sijelmassa.

Illustration de Ksour de Tafilalet. / Ph. DRIllustration de Ksour de Tafilalet. / Ph. DR

Arrivé en 1265 à Tafilalet, Hassan El Dakhil décède en 1277. Depuis, les Chorafas de Sijelmassa ont marqué la population locale par leurs savoirs, leurs connaissances et leurs vertus dans une province qui contrôlait l’ensemble du trafic saharien et les routes caravanières.

Les Chorafas saisis suite à la menace des Zaouias

Pendant la première moitié du 17e siècle, le Maroc vit une période difficile, aggravée par le décès du légendaire sultan saadien Ahmed Al Mansour. La dynastie au pouvoir est divisée sur fond de courses au pouvoir entre ses fils. Sur le plan religieux, cette période est surtout marquée par la naissance de plusieurs zaouias qui étaient toutes des stations religieuses pour réciter le Coran et certains hadiths, comme le raconte Mohamed Hajji dans «La Zaouia de Dila et ses rôles religieux, scientifiques et politiques» (Editions Ennajah, 1988). Des Zaouias apparues pour la première fois en tant que centres destinés à accueillir et à nourrir les Marocains nécessiteux, sous l’ère du sultan almohade Yaacoub Al Mansour.

Alors que la Zaouia de Dila contrôlait le centre et la côte atlantique allant de Salé à Safi, au moment où celle d’Illigh refermait son emprise sur le sud de l’empire et notamment le Souss, Tafilalet gardait son mode de fonctionnement loin des expansions des deux zaouias. Mais ces dernières, avec le contrôle de plus de territoires, et le soutien d’encore plus de tribus avaient surtout le même objectif : «s’étendre vers le Tafilalet pour contrôler l’une des routes caravanières et se procurer ainsi des ressources importantes», comme le rapportent Narjess Ghachem-Benkirane, Philippe Saharoff dans «Marrakech, demeures et jardins secrets» (Editions Acr, 1990).

Moulay Ali Cherif (d), Moulay M'Hammed et Moulay Rachid. / Ph. DRMoulay Ali Cherif (d), Moulay M’Hammed et Moulay Rachid. / Ph. DR

Les habitants du Tafilalet font alors appel vers 1629 à Moulay Ali Cherif, de la lignée de Hassan El Dakhil, en le proclamant émir du Tafilalet. Une annonce qui sera à l’origine d’une guerre intestine au sein même du Sijelmassa, comme le rapporte M’Hamed Ahda dans un article intitulé «Zawiyas de Dila et Semlali : tendances autonomistes au Tafilalt». Au moment où «Tabouasamt fait appel aux Dilaites», les Chorfas alaouites choisiront plutôt de s’allier à Bou Hassoun Semlali, chef de la Zaouia d’Illigh. Une alliance fragile qui ne manquera pas d’éclater quelques années plus tard.

En 1634, les Dilaites interviendront militairement contre les Alaouites, tout comme la Zaouia d’Illigh qui, selon M’Hamed Ahda, affrontera les Chorafas à deux reprises. «En 1638, il (Abou Hassoun, ndlr) vainc Moulay Ali Cherif, qu’il met en prison». Les Chorafas sont alors appelés à élire son fils, Moulay M’Hammed, en 1640 en tant qu’émir pour continuer le travail de son père. D’autres sources indiquent que Moulay Ali Cherif, âgé, aurait plutôt abdiqué au profit de son fils aîné.

Des guerres intestines à l’unification du Maroc

Ne faisant pas l’unanimité parmi sa famille, Moulay M’Hammed est plutôt préoccupé par la menace ottomane venue de l’Est et ce, dès son arrivée au pouvoir. Ainsi, il «s’empare d’Oujda [et] se lance ensuite vers la conquête des tribus plus à l’Est», raconte Abdellatif Attafi dans «Regard des écrivains d’expression française sur l’histoire de la conquête du Maroc de 1492 à l’après 1912» (Editions Publibook, 2018).

Mais Moulay M’Hammed perdra face aux Bou Hassoun Semlali encore une fois en 1640. Ne parvenant guère à repousser les menaces contre Tafilalet et Sijelmassa, les Alaouites essuieront une autre défaite face aux Dilaïtes en 1646 à Sijelmassa, tentent d’occuper Fès mais sont repousser.

Moulay Ali Cherif est mort à Sijelmassa en 1659, ce qui pousse la population à exprimer à nouveau son allégeance à Moulay M’Hammed. Mais c’est durant cette même année que les rivalités entre l’émir de Tafilalet et Moulay Rachid sont de plus en plus flagrantes. Les Chorafas sont alors divisés. Profitant du déclin des Dilaïtes et de la Zaouia d’Illigh, leur guerre intestine ne prendra fin qu’en 1664 lors d’une bataille des clans qui se soldera par l’assassinat de Moulay M’Hammed près d’Angad par les troupes de Moulay Rachid.

Le mausolée de Moulay Ali Cherif à Rissani. / Ph. DRLe mausolée de Moulay Ali Cherif à Rissani. / Ph. DR

Les Alaouites sont à nouveau unifiés autour d’un seul sultan qui ne tarde pas à lancer une grande opération pour l’unification du Maroc. Il s’empare ainsi de Fès en 1666 pour se proclamer premier sultan alaouite du Maroc, rapporte Paul Doury. Deux ans plus tard, la zaouia de Dila perdra tout pouvoir politique à l’issue de la bataille de Btan Romman, opposant alaouites et dilaïtes qui essuieront un échec mémorable. En 1669 et après avoir conquis Marrakech et mis fin aux Chebanats qui étaient sur le point de s’emparer de la ville, Moulay Rachid se dirige vers Tazeroualt pour annihiler l’influence de la Maison d’Illigh. Trois ans plus tard, il décède à Marrakech, laissant à son frère Moulay Ismail un empire chérifien unifié. 





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