La fin du XIXe siècle et le début du XXe ont été marqués par une volonté affichée des puissances européennes de l’époque de coloniser les pays du Maghreb. La France, déjà présente en Algérie, n’était pas le seul Etat lorgnant le royaume chérifien. D’autres pays européens, comme l’Allemagne, surveillaient de près les relations entre ses voisins européens et le pays situé en Nord d’Afrique, aux portes de l’Europe.
Dès 1902, la France paraphait une série d’accords bilatéraux avec ses voisins, d’abord avec l’Italie sur le Maroc et la Libye en 1902, puis avec le Royaume-Uni en 1904. Des accords désignés sous le nom d’«Entente cordiale». Les autorités françaises n’avaient plus que l’Allemagne à écarter avant l’étape «Protectorat» qu’elles réservaient pour le royaume.
Le coup de Tanger ou le premier clash France-Allemagne
Toutefois, les Allemands, isolés en Europe dès l’arrivée au pouvoir de Friedrich Wilhelm Viktor Albrecht -alias Guillaume II d’Allemagne-, n’allaient pas saluer toute emprise coloniale française sur le Maroc. Le 31 mars 1905, le kaiser Guillaume d’Allemagne débarque à l’improviste à Tanger à bord de son navire pour rencontrer en personne le sultan alaouite Moulay Abdelaziz. Il assure dans un discours l’appui de son pays au Maroc et annonce publiquement qu’il désapprouve les droits concédés à la France sur le royaume chérifien. Son déplacement et son discours marqueront ce qu’on appelle «la première crise de Tanger» entre Berlin et Paris et qui ne sera résolue qu’à travers la Conférence d’Algésiras, tenue en Espagne du 16 janvier au 7 avril 1906. Une rencontre, organisée sous l’égide des États-Unis avec la participation de 12 pays européens et au terme de laquelle l’Allemagne, la France et l’Espagne obtiennent provisoirement des droits sur les affaires marocaines.
Guillaume II traversant à cheval la ville de Tanger. / Ph. Marco-Philie Daniel
Une canonnière pour…protéger les entreprises allemandes
«En 1905, la France a testé la vigilance allemande en proposant presque ouvertement au sultan l’établissement d’un protectorat. Cela a conduit à une grave querelle qui ne s’est résolue que début 1906», écrit le mensuel français Alternative libertaire. Mais la crise n’a jamais été résolue même avec la Conférence d’Algésiras, puisque quelques années plus tard, l’Allemagne récidivera en décidant d’envoyer, le 1er juillet, son navire de guerre SMS Panther, dans la baie d’Agadir.
Le navire allemand devant la baie d’Agadir. / Ph. DR
Berlin profitera d’un déplacement d’une grande armée française au Maroc sollicitée par le sultan Moulay Abdelhafid, pour déplacer sa canonnière. Le prétexte n’est autre que l’appel à l’aide des entreprises allemandes de la vallée de Souss, présentes au Maroc.
«Les autorités estiment que l’ingérence des Français dans les affaires marocaines est contraire au principe de neutralité établi lors des accords d’Algésiras en 1906. En conséquence, l’Allemagne décide d’envoyer une canonnière, SMS Panther, dans la Baie d’Agadir le 1er juillet 1911», raconte la revue française En Envor. Cette source, citant des informations parues dans la presse de l’époque, affirme que des «troupes allemandes» devaient être envoyées au Maroc. «L’Europe entière [aurait même retenu] son souffle face à la menace d’une guerre qui pourrait s’étendre au continent».
«Londres met sa flotte en alerte. Madrid idem. Paris annule les grandes manœuvres militaires en cours pour que les troupes soient prêtes à marcher vers le Rhin, et mobilise les réservistes.»
Une version confirmée aussi par Histoire de Casablanca, qui raconte qu’«à la grande surprise de Guillaume II, le Premier ministre britannique Lloyd George affirme dès le 21 juillet sa solidarité avec Paris (…) Une guerre est sur le point d’éclater».
Le Maroc convoité. De g. à dr. : Alphonse XIII d’Espagne, Edouard VII d’Angleterre, Marianne de France, Guillaume II d’Allemagne, le sultan du Maroc. / Gravure de 1903 – Alternative Libertaire
Abandonner le Maroc pour le Gabon et le Cameroun
À partir de la mi-juillet, la SMS Panther est remplacée par le croiseur SMS Berlin puis par la canonnière SMS Eber, raconte Martin Thomas et Richard Toye, dans leur ouvrage «Arguing about Empire : Imperial Rhetoric in Britain and France, 1882-1956» (Editions Oxford University Press, 2017).
Le Kaiser Guillaume II, constatant son isolement international, et la France à la menace d’une guerre imminente préfèrent entamer des négociations qui dureront trois mois. Après moult tractations, la crise impérialiste se dissipera avec une entente coloniale entre Paris et Berlin. «Le cap fut de la sorte franchi sans grand heurt, sinon sans perte. La signature de l’accord franco-allemand relatif au Maroc, signature obtenue le 11 octobre (1911, ndlr), rasséréna le marché», raconte de son côté Alfred Colling, dans son ouvrage «La Prodigieuse histoire de la Bourse» (Editions Société d’Éditions Économiques et Financières, 1949).
Officialisé le 4 novembre 1911 à Berlin, l’accord annoncera que Berlin renonce à ses intérêts au Maroc en échange de l’abandon par Paris de 272 000 km2 de territoires en Afrique équatoriale, notamment au Gabon et au Cameroun, qui formeront le Cameroun allemand.
Le Cameroun allemand, avant et après le coup d’Agadir. / Ph. wikipedia
Quelques mois plus tard, la France réactivera ses plans pour le Maroc puisque la route lui était désormais libre. Le 30 mars 1912, soit quatre mois après son accord avec l’Allemagne, les autorités françaises convaincront Moulay Abdelaziz pour signer à Fès le «Traité pour l’organisation du protectorat français dans l’empire chérifien».