Population musulmane ayant choisi, après la chute d’Al-Andalus en 1492, de rester en Espagne, les Morisques du pays ibérique étaient installés dans plusieurs régions, comme Grenade ou encore Valence. Mais en 1609, ils sont contraints d’abandonner leurs terres et de quitter l’Espagne suite à un décret promulgué par le roi Philippe III.
Ces expulsions avaient touché entre 120 000 et 130 000 personnes sur une population d’environ 400 000. Des milliers de Morisques avaient été tués dans des affrontements précédant le refoulement, d’autres assassinés près des ports alors que leurs enfants avaient été enlevés. Certains devaient aussi se convertir au christianisme pour rester en Espagne.
Conséquence de l’accomplissement de la Reconquista, l’exode morisque n’était pas seulement à destination du Maroc qui avait accueilli à bras ouverts des milliers d’hommes, dont ceux qui fonderont la République de Salé. Certains Morisques avaient préféré s’établir en France. Mais deux ans après les édits d’expulsions de Philippe III, la France procèdera elle aussi, à l’expulsion de Morisques venus s’installer sur ses terres.
Les Morisques victimes d’une double expulsion
En effet, deux tournées avaient été accomplies par un membre de l’administration provinciale en France, entre janvier et mars 1611. Objectif : «Faire sortir de Provence plusieurs centaines de morisques expulsés d’Espagne qui s’y trouvaient réfugiés», révèle un article de la revue Cahiers de la Méditerranée, intitulé «Les tournées de François de Beaumont pour l’expulsion des morisques de Provence (janvier-mars 1611)» (mis en ligne en juin 2010).
Dans cet article, l’auteur Pierre Santoni raconte comment François de Beaumont, second consul d’Aix et l’un des procureurs du pays de Provence, était allé, pendant près de cinq semaines au total, à la rencontre des Morisques demeurés dans la province pour organiser leur embarquement et leur départ hors du royaume. «Ces deux tournées, restées quasiment ignorées, avaient été précédées de tournées préparatoires en décembre 1610», poursuit-il.
L’expulsion douloureuse de musulmans d’Espagne avait alors été poursuivie par une autre, française, précédée par une décision royale. Ainsi, le 15 avril 1610, dans une ordonnance adressée aux parlements régionaux, le roi Henri IV, qui avait pourtant émis des dispositions antérieures plus favorables, décide d’interdire «toute entrée de morisques en France». Il «ordonne alors que ceux qui s’y trouvent déjà soient rassemblés et conduits aux ports de mer les plus proches et sortent du royaume».
Mais la décision du roi n’est pas appliquée sur le champ. En revanche, l’exode des Morisques se poursuivra vers la France, parallèlement à la préparation de l’expulsion finale.
Illustration de l’expulsion des Morisques d’Espagne. / Ph. DR
Le 4 décembre, les procureurs de France se réunissent et désignent François de Beaumont pour assister le conseiller Antoine de Séguiran dans une tournée destinée d’abord à informer sur la décision royale et recenser les Morisques. L’occasion aussi d’émettre des «sanctions à l’encontre des patrons de barque» pour avoir ramené des Morisques se réfugier en France.
«Au total, 105 patrons sont condamnés à assurer chacun le transport de 15 à 100 Morisques, ou à verser au trésorier général du pays une somme fixée entre 30 et 300 livres. Quant à la ville de Toulon, elle devra faire transporter 279 Morisques qui s’y trouvent, dans le délai d’un mois, sous peine de 2 000 livres.»
Pierre Santoni
Un retour en France ou un déplacement en Afrique du Nord
Si la première tournée d’expulsion commencera le 26 janvier 1611 jusqu’au 3 février, la deuxième débutera le 19 février jusqu’au 14 mars. Au total, la France entreprendra deux embarquements, «l’un à La Ciotat (entre Marseille et Toulon, ndlr) et l’autre à Toulon». «Un embarquement supplémentaire à La Seyne», sur le terroir de Six-Fours-les-Plages était aussi prévu, mais le représentant de l’administration provinciale y renonce, le nombre de Morisques «expulsables» étant insuffisant.
Mais parallèlement à ces expulsions, l’auteur de «Les tournées de François de Beaumont pour l’expulsion des morisques de Provence (janvier-mars 1611)» reconnait que certains Morisques resteront en France, suite à des décisions émanant des autorités de leur autoriser provisoirement le séjour, parfois à durée indéterminée. «Les morisques qui ont échappé à l’expulsion de Provence ont su développer les moyens qui leur ont permis d’y demeurer, mais ils ne disent jamais rien de ce qu’ils désirent à la fin», poursuit-il.
Image d’illustration. / DR
«Mais pour les groupes restés solidaires, la profession de foi catholique devant l’évêque de Toulon ou de Marseille marquait moins le désir de s’intégrer à la chrétienté que de gagner du temps, en attendant de pouvoir retourner en Espagne.»
Pierre Santoni
Si ce dernier évoque surtout le cas de villageois catalans de Benissanet ou Miravet, ayant repeuplé subrepticement leurs localités au bout de quelques années, dans le cadre d’opérations clandestines de retour en Espagne, le professeur Ali Mountassir Kettani a indiqué, dans un article intitulé «Le début de l’arrivée des Morisques en France» que «la majorité de ces personnes étaient restées musulmanes».
«Certains quitteront la France pour se rendre en Tunisie avant d’annoncer leur foi musulmane», poursuit-il. Ali Mountassir Kettani revient aussi sur un cas, survenu en 1668, lorsque la France interdira à une famille morisque de se rendre en Afrique du Nord, «terre de l’islam». Même durant le XVIIIe siècle, «des Français d’origine morisque se dirigeront vers l’Afrique du Nord avant de révéler leur foi musulmane», conclut-il.