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«Présence française», le groupe terroriste visant la résistance nationale


Comme tout pays qui a subi l’injustice et l’oppression du colonisateur, ainsi que la répression postcoloniale, le Maroc a lui aussi disposé de ses organisations secrètes. Des groupuscules destinés tantôt à lutter contre le protectorat français et espagnol, tantôt à mener la vie dure à feu le roi Hassan II. Ce qui est étonnant, c’est surtout l’existence d’organisations composées d’Européens qui ont opéré au Maroc pour mener des opérations contre la résistance nationale, à l’instar de «Présence française».

De 1912 à 1956, l’histoire de la lutte nationale contre la colonisation a été marquée par plusieurs étapes. L’ère pré-indépendance reste sans doute la plus féroce et la plus meurtrière, écrite par une France déterminée à se maintenir au pouvoir au Maroc et, parallèlement, par une résistance aspirant à la liberté. Avec la montée des tensions entre Marocains et forces coloniales dès 1950, la résistance nationale décide de franchir une étape cruciale ; celle de la lutte armée.

La bombe de Mers Sultan et la fin du mythe de la coexistence entre Marocains et Européens

Cette nouvelle étape est surtout marquée par un point de non-retour : l’exil du sultan Mohammed Ben Youssef et de la famille royale, le 20 août 1953. Un événement suivi par plusieurs opérations signées par la résistance nationale : la tentative d’assassinat de Ben Arafa par le martyr Allal Ben Abdellah le 11 septembre 1953, la bombe du marché central de Casablanca le 24 décembre 1953, la tentative d’assassinat du puissant Thami El-Glaoui le 20 février 1954 ou encore la bombe de Mers sultan le 14 juillet 1954. Une année surtout marquée par la hausse des opérations menées contre les figures du protectorat.

Émeutes entre Marocains et forces de l'ordre le 16 juillet à quartier Mers Sultan. / Ph. Rue des Archives/ Granger, NYCÉmeutes entre Marocains et forces de l’ordre le 16 juillet au quartier Mers Sultan. / Ph. Rue des Archives – Granger, NYC

Le 14 juillet 1955, Moulay Driss, Si Bouchta, El Haj Hassan Amzough, Jilali Fikri et d’autres résistants peu célèbres déposent une bombe devant le café Mers Sultan avant de quitter le lieu. Résultat : six Européens sont tués et une trentaine sont blessés. La peur laissera ensuite place aux émeutes entre Marocains d’une part ; forces de l’ordre et Européens d’autre part. Dans son ouvrage «Le Maroc face aux impérialismes : 1415-1956» (Éditions J. A., 1978), l’historien Charles-André Julien raconte que l’attentat a entraîné de sanglantes représailles dans l’ensemble du royaume chérifien. À Casablanca, «un groupe formé par des Français du quartier Maarif s’est spontanément formé avant de sillonner les rues, brandissant des slogans anti-Maroc, détruisant les façades des boutiques et jetant des cailloux sur des Marocains. Ils ont même tenté de forcer l’entrée du siège de Maroc Presse», rapporte-t-il.

Une colère européenne alimentée par la presse du groupe Mas

Mais la formation «spontanée» de ce groupe reste discutable puisque des faits historiques révèlent que ce que l’historien présente comme le noyau du groupe «Présence française», n’en est pas un. En réalité, cette organisation secrète est née bien avant juillet 1955. La bombe de Mers Sultan révèlera surtout que la coexistence entre Européens et Marocains, tant vantée par le Protectorat, est bien fragile.

Avant de revenir sur la naissance de cette organisation secrète, il faut d’abord évoquer certains aspects ayant contribué à son développement. Si le groupe est passé publiquement à l’acte le jour de l’explosion de la bombe de Mers Sultan, la doctrine est nourrie depuis plusieurs mois par la presse destinée aux Français établis au Maroc, surtout celle appartenant au groupe de presse Mas, du nom de son patron, Pierre Mas. Un holding né en 1919 avant de procéder à l’acquisition et à la création de plusieurs journaux comme «Le Petit marocain», «l’Echo du Maroc» ou «la Vigie marocaine». Le groupe Mas jouera un rôle déterminant dans l’enrôlement et l’endoctrinement des Français présents dans le royaume chérifien pour le compte du groupe «Présence française», indique-t-on dans le septième volume des «Mémoires du patrimoine marocain» (Editions Nord Organisation, 1986).

La Une de Maroc Presse du 18 juillet 1954. / Ph. «Mémoires du patrimoine marocain»La Une de Maroc Presse du 18 juillet 1954. / Ph. «Mémoires du patrimoine marocain»

L’organisation secrète est née pour contrer le travail de la résistance nationale et se venger de leurs leaders et des libéraux qui soutiennent l’indépendance du Maroc chérifien. Le groupe est alors dirigé par le docteur Georges Causse qui préside l’association «Présence française», ONG portant le même nom que l’organisation secrète.

«Présence française», une secte et un groupe armé financé par plusieurs grandes personnalités

«Présence française» procède, dès le jour de la bombe de Mers Sultan, à une large opération de recrutement à travers un dépliant appelant les Français à les aider «dès aujourd’hui» à se maintenir au Maroc.

Des révélations permettront de découvrir par la suite que l’organisation secrète a été financée par les grandes figures du Protectorat et ses disciples et comptait parmi ses membres des policiers, des hommes d’affaires et des agents travaillant pour les renseignements français, comme le rapporte Charles-André Julien.

«Les libéraux et les grands fonctionnaires qui parlaient avec beaucoup de prudence dans leurs réunions privées ne doutaient pas du fait que le groupe central de terrorisme, faisant partie de « Présence française », était financé par des aides récoltées auprès des grandes figures, de Philippe Boniface à Thami El-Glaoui.»

Charles-André Julien rapporte aussi que la secte profitera de la bonne réputation de Georges Causse dans les quartiers Maarif et Roches-Noires auprès des Européens pour renforcer les rangs de l’organisation. Des assassinats et des opérations sont alors menés contre des Marocains mais aussi des Français. «L’assurance d’échapper aux poursuites [judiciaires] (du fait que des policiers de renom faisaient partie de l’organisation, ndlr) a fait de la poursuite des hommes une mission à la fois excitante et sans danger. Les terroristes se proposaient même pour assassiner des personnalités, notamment françaises, dont le libéralisme tendait vers la trahison, ou encore pour faire peur aux modernistes qui disaient avoir peur de voir Casablanca se transformer en Chicago», écrit l’historien dans son livre. Un récit repris en arabe par les «Mémoires du patrimoine marocain».

Plusieurs opérations contre les Français libéraux

Parmi les opérations les plus célèbres qu’on attribue à «Présence française», les cinquante opérations, douze assassinats et 38 blessés révélés en novembre 1954. Une affaire dite de «Bougeol», dont les membres seront arrêtés le 20 juin 1955. Une bombe ayant explosé sur la Place de France à Casablanca le 20 mars 1955 serait également attribuée à la même organisation, tout comme l’assassinat par balles de Jacques Lemaigre Dubreuil, patron de l’entreprise Lesieur, dans la soirée du 11 juin 1955 à Casablanca. La «Lettre de Coordination de l’Ambassade de France au Maroc» rapporte en 2006 que ce dernier serait l’un des Français ayant «précipité la fin du régime français de Protectorat au Maroc».

«En décembre 1962, des aveux de Louis Damiani mettent en cause directement les policiers Luigi et Melero, ainsi que Congos, tout quatre anciens hommes de main de Présence Française, groupe dirigé par le docteur Georges Causse. Ils bénéficient de non-lieux au cours du mois de juillet 1965, bien qu’ils aient été impliqués dans une tentative d’assassinat sur Mendès-France (Pierre Mendès-France était président du Conseil des ministres français de juin 1954 à février 1955, ndlr), lors de sa venue pour la messe d’enterrement de Lemaigre Dubreuil», poursuit cette source.

Des membres présumés de «Présence française». / Ph. «Mémoires du patrimoine marocain» Des membres présumés de «Présence française». / Ph. «Mémoires du patrimoine marocain»

Bien que «Présence française» réussira à porter un coup dur à la résistance nationale, en visant ses membres les plus actifs et les événements marquants de l’histoire du Maroc lors de cette courte période, une autre forme de résistance au nord du Maroc se préparait à petit feu. Le 2 octobre 1955, l’Armée de libération nationale (ALN) reprendra le relai de plusieurs organisations secrètes contre le protectorat, en lançant sa toute première opération contre l’armée française à Aknoul, Tizi Ouasli et Boured. Les groupes de l’Armée de libération livreront des attaques coordonnées contre les postes des forces coloniales. Les résistants infligeront aux forces d’occupation françaises de lourdes pertes sur les plans humain et matériel, notamment à Jbel Lakraâ, Bouskour, Tizi et Daren. «Présence française», tout comme le protectorat, sait que la dernière étape est désormais franchie et que quelques pas seulement séparent le Maroc de son indépendance.





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