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Pierre Loti, une passion pour l’Afrique du Nord et l’Orient façonnée au Maroc

Pierre Loti, une passion pour l’Afrique du Nord et l’Orient façonnée au Maroc


Entre les XVIIIe et XXe siècles, le Maroc actuel a attiré nombre d’auteurs et de voyageurs. Ainsi l’aventurière britannique Emily Keene est-elle devenue chérifa d’Ouezzane, l’ethnologue française Odette du Puigaudeau a documenté la culture nomade au Maroc et Paul Bowles a fait de Tanger sa deuxième maison. Au XIXe siècle, c’est l’officier français Pierre Loti qui sera fasciné par la région, lui dont l’œuvre n’a pas tari d’éloges sur les cultures arabes et persanes, sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

Natif de Rochefort-sur-Mer (France), Louis Marie Julien Viaud (1850 – 1923) est plus connu par son pseudonyme littéraire. Musicien en herbe, Pierre Loti n’aurait jamais imaginé qu’il consacrerait la majeure partie de sa vie à l’armée navale. Doué pour le dessin et les arts, il sera admis à l’Ecole navale, du haut de ses 17 ans. Il enfile alors l’uniforme, en cette fin de XIXe siècle où la France s’engage militairement dans plusieurs colonies.

Pierre Loti reste surtout marqué par la mort de son frère aîné, Gustave, chirurgien-marin parti en mission dans l’île de Poulo-Condor (Indochine). Les embarquements du jeune officier donnent lieu à un premier voyage et à une promotion d’aspirant de première classe, à l’âge de 19 ans. Un an plus tard, il embarque vers l’île de Pâques, puis il part à la découverte de Tahiti.

Pierre LotiPierre Loti

Les missions de Pierre Loti consistent généralement à effectuer des croquis de dessins, pour illustrer les rapports du ministère français de la Marine. Afin d’avoir plus de ressources et soutenir sa famille endettée, il vend aussi ses dessins aux hebdomadaires «L’Illustration» et «Le Monde illustré».

Un officier voyageur tombé sous le charme du Maroc

Détaché de la vision colonialiste de son époque, malgré son uniforme, Pierre Loti n’a jamais été absorbé par l’esprit militaire lié à la nature de ses missions. De son enfance animée par sa passion pour l’art et l’écriture, il garde l’habitude de tenir un journal, sans pour autant assumer sa qualité d’écrivain. D’ailleurs, son premier ouvrage paru en 1879, «Azyadé», n’a pas porté son nom. Intitulé «Le mariage de Loti», le second sort en 1880, mentionnant comme signature «L’auteur d’Azyadé».

Ce n’est qu’en 1881 que l’écrivain adopte Loti comme pseudonyme littéraire, inspiré du nom que lui ont donné les dames de compagnie de la reine tahitienne Pomaré IV (1827 – 1877). La même année, «Roman d’un spahi» sera l’opus qui portera la signature de Pierre Loti, pour la première fois. Par ailleurs, l’une de ses missions le mène sur le terrain de la Guerre franco-chinoise (1881 – 1885). Promu au grade de lieutenant de vaisseau, relate la Prise de Hué (1883) sur les colonnes du journal Le Figaro.

Au fur et à mesure de ses missions, Pierre Loti devient un voyageur du monde. Il pose bagage en Turquie, au Japon, aux Indes, en Perse, à Jérusalem, en Algérie et au Maroc. Fasciné par l’environnement qui lui est nouveau en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, il dit avoir «l’âme à moitié arabe», se laissant imprégner par différents aspects culturels qui deviennent son mode de vie. Son livre «Au Maroc» (1890) documente richement son périple au royaume. Dans un second ouvrage intitulé «Fès» et extrait du premier, il relate sa réception à l’ambassade de France et sa rencontre avec le sultan Hassan Ier (1873 – 1894).

Les deux ouvrages livrent un récit précis de l’émerveillement de l’officier-voyageur, qui décrit villes et régions, à commencer par la cité septentrionale. «Des côtes sud de l’Espagne, d’Algésiras, de Gibraltar, on aperçoit là-bas, sur l’autre rive de la mer, Tanger la Blanche. Elle est tout près de notre Europe, cette première ville marocaine, posée comme en vedette sur la pointe la plus nord de l’Afrique ; en trois ou quatre heures, des paquebots y conduisent, et une grande quantité de touristes y viennent chaque hiver», écrit-il dans «Au Maroc».

Vue du large, la ville de Tanger «semble presque riante» aux yeux de Pierre Loti, qui en retient les «villas alentour bâties à l’européenne dans des jardins», contrastant avec des bâtisses «restée bien plus musulmane d’aspect» que les villes d’Algérie, outre les «murs d’une neigeuse blancheur, sa haute casbah crénelée, et ses minarets plaqués de vieilles faïences». Se différenciant là également de ses contemporains, l’auteur veille à s’imposer une distance par rapport au territoire auquel il n’appartient pas.

Dans son livre, il note ainsi qu’il n’y aurait pas de «considérations sur la politique du Maroc, son avenir, et sur les moyens qu’il y aurait de l’entraîner dans le mouvement moderne». «D’abord, cela ne m’intéresse ni ne me regarde, et puis, surtout, le peu que j’en pense est directement au rebours du sens commun», affirme Pierre Loti.

«Les détails intimes que des circonstances particulières m’ont révélés, sur le gouvernement, les harems et la cour, je me suis même bien gardé de les donner (tout en les approuvant dans mon for intérieur), par crainte qu’il n’y eût là matière à clabauderies pour quelques imbéciles. Si, par hasard, les Marocains qui m’ont reçu avaient la curiosité de me lire, j’espère qu’au moins ils apprécieraient ma discrète réserve.»

Pierre Loti

Une réception à Fès

Pierre Loti reste ainsi prudent, en se gardant de tout voyeurisme. «Et encore, dans ces pures descriptions auxquelles j’ai voulu me borner, suis-je très suspect de partialité pour ce pays d’Islam, moi qui, par je ne sais quel phénomène d’atavisme lointain ou de préexistence, me suis toujours senti l’âme à moitié arabe : le son des petites flûtes d’Afrique, des tam-tams et des castagnettes de fer, réveille en moi comme des souvenirs insondables, me charme davantage que les plus savantes harmonies», écrit-il.

Au Maroc, l’auteur se souvient de n’avoir «rencontré que des gens hospitaliers, – peut-être un peu impénétrables, mais souriants et courtois – même dans le peuple, dans les foules». «Chaque fois que j’ai tâché de dire à mon tour des choses gracieuses, on m’a remercié par ce joli geste arabe, qui consiste à mettre une main sur le cœur et à s’incliner, avec un sourire découvrant des dents très blanches», décrit-il.

Dans ses carnets de voyage au Maroc, Pierre Loti relate notamment son départ de Tanger vers Fès, en passant par Ksar El Kébir, à dos de mules et de chevaux fournis par Hassan Ier. Il décrit également le chemin vers la cité spirituelle, pour une réception et une rencontre avec sultan. Sur son chemin, il se souvient de rivières et de «sentiers de chèvres, tracés à la longue par le passage des caravanes».

L’auteur prend conscience de son attachement affectif à la région, appréciant de la voir encore prémunie du style de vie américain ou européen, «Mon bien-être s’augmente encore à sentir très loin de moi ce voisin de Huysmans [écrivain français et critique d’art, féru de voyage et de sleeping-car, ndlr], – lequel est, du reste, un type peint de main de maître du monsieur âgé contemporain, important voyageur d’express», écrit-il. Il va jusqu’à encenser le sultan :

«Dans ma joie de songer que cette sorte de personnage ne circule pas encore au Maroc, j’éprouve un premier mouvement de reconnaissance envers le sultan de Fez pour ne point vouloir de sleeping dans son empire, et pour y laisser les sentiers sauvages où l’on passe à cheval en fendant le vent…»

Pierre Loti

Au terme du voyage à dos de cheval et de mulet jusqu’à Fès, Pierre Loti a une reconnaissance grandissante à l’égard de Hassan Ier. Il finit par lui vouer une admiration teintée de respect. «Je lui sais gré d’être beau ; de ne vouloir ni parlement ni presse, ni chemins de fer ni routes ; de monter des chevaux superbes ; de m’avoir donné un long fusil garni d’argent et un grand sabre damasquiné d’or. J’admire son haut et tranquille dédain des agitations contemporaines», écrit-il.

«Comme lui, je pense que la foi des anciens jours, qui fait encore des martyrs et des prophètes, est bonne à garder et douce aux hommes à l’heure de la mort. A quoi bon se donner tant de peine pour tout changer, pour comprendre et embrasser tant de choses nouvelles, puisqu’il faut mourir, puisque forcément un jour il faut râler quelque part, au soleil ou à l’ombre, à une heure que Dieu seul connaît ?»

Pierre Loti

Une reconnaissance en France

Après son voyage au Maroc, Pierre Loti s’est dirigé vers l’Algérie, en 1891. Cette année-là, il est par ailleurs élu par l’Académie française, pour occuper la place vacante du romancier et dramaturge Octave Feuillet (1821 – 1890), décédé. Au cœur de cette prestigieuse institution, le marin et désormais auteur reconnu a pris séance le 7 avril 1892, donnant un long discours en hommage à Feuillet, sans oublier l’hospitalité qui l’a marqué en Afrique du Nord et en terre d’islam.

Dans cette allocution, il est revenu par ailleurs sur ses débuts anonymes dans la littérature : «Au lendemain de l’apparition de ces œuvres de début, remplies de maladresses et d’inexpérience, je passais à Paris, entre deux longs voyages. Déjà très étonné, et un peu charmé aussi, d’apprendre qu’on m’avait lu, j’éprouvai une vraie surprise joyeuse quand, chez mon éditeur, on me remit une carte d’Octave Feuillet me disant sa curiosité de me connaître et me priant d’aller le voir.»

Cette année-là, deux autres opus s’ajoutent à la bibliographie de Pierre Loti : «Le livre de la pitié et de la mort» et «Fantôme d’Orient». Parallèlement, il continue à servir à l’armée navale. L’année 1889 marquera sa promotion au grade de capitaine de frégate. Il devient capitaine de vaisseau à partir de 1906. Après 42 ans de service, il est admis à la retraite, le 14 janvier 1910.

Si Pierre Loti a rendu son uniforme, il est resté attaché à ses périples, animé par l’ambition de se consacrer davantage à ses premières passions que sont l’écriture et le voyage. Mais la trêve sera courte, puisqu’il retrouvera son uniforme dès 1914, pour s’engager bénévolement au début de la Première guerre mondiale (1914 – 1918).

Après une mission auprès de l’armée italienne, Pierre Loti se démobilise en 1918, pour des raisons de santé. Il continue encore à publier des livres, dont «Quelques aspects du vertige mondial», «Court intermède de charme au milieu de l’horreur» et «Les massacres d’Arménie». De son vivant, sa dernière publication date de 1921. L’année d’après, l’écrivain reçoit les insignes de la grand-croix de la Légion d’Honneur.

Pierre Loti meurt le 10 juin 1923 dans à Hendaye et des funérailles nationales lui sont consacrées. Ses œuvres posthumes ont été rassemblées et publiées par son fils, Samuel Viaud. «Un jeune officier pauvre» sera le premier journal intime à être édité après la mort de son auteur, pour sortir en 1923. En 1925, «Journal Intime 1878 – 1881» est publié. Le troisième et dernier, «Journal Intime 1882 – 1885», paraît en 1929.

La maison de Pierre LotiLa maison de Pierre Loti

Depuis, l’œuvre de Pierre Loti a été immortalisée, après que son ancienne demeure à Rochefort a été convertie en un espace de musée et d’exposition. Le lieu incarne un concentré des passions et des fascinations de l’auteur pour l’Orient et l’Afrique du Nord, livrant tout sur les influences de la côte sud de la Méditerranée sur l’ancien marin.

Après de longues années de fermeture, le lieu rouvre ses portes au public en juin 2025, laissant aux visiteurs la joie de découvrir les objets apportés par Pierre Loti de ses voyages.





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