Entre bouillies épaisses, préparations végétales et semoules à base de graines anciennes, Yennayer est incontestablement une célébration de l’abondance de la terre, en signe de gratitude pour la récolte annuelle qu’elle donne. Dans ce sens, le Nouvel An amazigh se distingue par la préparation de nombreux mets, qui font la part belle aux produits du terroir. Il s’agit principalement des graines et des denrées cultivées à travers les siècles, précieusement conservées dans des greniers collectifs comme igoudar.
Toujours sujet de débat entre historiens, le calendrier amazigh trouve une origine quasiment unanime de sa date de référence dans l’intronisation du pharaon Sheshonq Ier, 950 ans avant Jésus-Christ. Célébration rendue officielle au Maroc, qui fête Yennayer le 14 janvier de chaque année du calendrier grégorien, ce Nouvel An constitue une occasion pour partager largement les mets ancestraux issus des récoltes que symbolise ce rendez-vous à travers les siècles.
Lorsque certaines communautés optent ainsi pour tagoula comme plat central de leur dîner festif, d’autres préfèrent un couscous à base d’orge ou de maïs, souvent accompagné de légumes de saison et très rarement de viande. Mais la panoplie reste encore large, notamment pour les amateurs d’ourkimen, une spécificité des tablées de l’Anti-Atlas.
A Tafraout notamment, ourkimen est un plat familial à base de poignées de légumineuses variées, trempées dans de l’eau avant leur cuisson : lentilles, fèves, pois chiches, pois cassés, haricots blancs… C’est même de ce principe que le nom du met est inspiré, dérivé du terme amazigh «irkm», qui fait référence à la méthode traditionnelle de trempage. Le tout est accompagné d’oignons, de graines d’orge, mais aussi de feuilles de navets, de cumin et de cannelle, selon les disponibilités, sans oublier l’incontournable huile d’olive.
En fonction de l’usage local, certaines variantes peuvent inclure également des tomates, du gingembre et du curcuma, ou d’autres légumes séchés, si les stocks alimentaires le permettent. Le principe reste le même, comme pour nombre de préparations amazighes qui gardent des bases communes, mais qui peuvent être élaborées ou adaptés aux saisons agricoles, qu’elles soient maigres ou abondantes.
Une base de préparation commune au pourtour méditerranéen
Le secret de la réussite d’ourkimen est également le même que celui de nombreuses préparations du terroir ancestral : une cuisson lente, à feu doux, idéalement sur feu de bois, qui permet d’obtenir une soupe épaisse et bien consistante. Pour une préparation plus onctueuse, on peut y ajouter une poignée de semoule de maïs ou d’orge.
Si la récolte annuelle est assez abondante pour permettre le stockage de viandes séchées, ourkimen peut être accompagné aussi de pieds de chèvre, ce qui donne au plat des saveurs proches du plus communément admis «kouraîne». Au-delà du Maroc, la tradition des plats à base de pieds de chèvre, de veau ou de bœuf est d’ailleurs partagée largement en Afrique du Nord et en Méditerranée.
Dans le Grand Sud-Est français, l’Auvergne-Rhône-Alpes fait partie des chefs-lieux de cette tradition. A Saint-Etienne, celle-ci daterait plus récemment du XIXe siècle. Dans cette région longtemps connue pour son industrie textile et métallurgique, les pieds de veau sont servis surtout en célébration de la Sainte-Barbe, qui marque le début des festivités de Noël. Erigé au rang de spécialité locale, ce met est mijoté avec des légumes, des épices et une sauce vinaigrée.
En France, la version la plus connue reste le pied de cochon, l’un des emblèmes culinaires de Sainte-Menehould dans le Grand-Est. Selon les régions et les pays, plusieurs autres variantes existent. Certains récits les relient notamment à des usages culinaires yiddishs en Europe, ou sépharades en Afrique du Nord, lesquels trouvent leurs origines dans des préparations anciennes de plusieurs siècles, sinon de plusieurs millénaires.