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Mustapha Zemmouri alias Estevanico, premier Marocain explorateur du continent américain


«Stéphane le Noir», «Esteban», «Esteban le Maure», «Stéphane le Maure», «Stéphane le Petit» ou encore Estevanico. Les pseudos de Mustapha Zemmouri, célèbre explorateur et interprète dès les premières années qui ont suivi l’exploration du continent américain, sont multiples. Pourtant, peu de gens savent que cet explorateur originaire d’Azemmour, ville voisine d’El Jadida, que les historiens qualifient de «maure», est né au Maroc. Son histoire a même fait l’objet d’une fiction publiée en 2014 par l’auteure et professeure d’origine marocaine Laila Lalami.

D’Azemmour au Portugal, l’Espagne puis le Nouveau monde

Probablement né en 1500 dans la ville d’Azemmour sur la côte ouest, Estevanico n’imaginait certainement pas l’étrange avenir que le destin lui réservait. En 1522, il est d’abord vendu comme esclave aux Portugais occupant la ville d’Azemmour. Il arrivera au Portugal avant d’être vendu une deuxième fois dès 1527 à Andrés Dorantes. Ce dernier était commandant d’une compagnie d’infanterie dans l’expédition formée par Pánfilo de Narváez, nouvellement nommé gouverneur de l’Espagne en Floride. Une nomination qui intervient suite à ses vingt ans passés en tant que conquérant du Mexique. La revue américaine History raconte que les conquérants de l’époque réunissaient des soldats de la fortune de plusieurs terres, sous le commandement des officiers espagnols.

Portrait robot d'Estevanico. / Ph. DRPortrait robot d’Estevanico. / Ph. DR

L’expédition, ayant quitté l’Espagne au début de l’année 1528, subit revers après revers. D’abord, un ouragan ayant détruit l’un des navires de Narváez et endommagé les autres, oblige l’équipage à faire escale à Cuba. Lorsqu’ils repartent en février 1528, les amis de Pánfilo de Narváez doivent faire face à d’autres orages encore plus violents avant d’atteindre la Floride vers la mi-avril. L’expédition jette finalement l’ancre au niveau de la côte ouest de la Floride, au nord de Tampa Bay. Narváez divise alors ses hommes en deux groupes, l’un composé de trois cents hommes et quarante chevaux pour explorer la terre, l’autre pour poursuivre l’expédition en mer. En septembre 1528, après des mois très durs sur le nouveau continent ayant entrainé la mort d’une centaine de personnes de son équipage, Andrés Dorantes décide de se diriger vers le Mexique. Ses hommes sont alors morts de soif, de famine ou de maladie. Il ne reste plus que lui, Mustapha Zemmouri, Castillo et Cabeza de Vaca, qui seront capturés par les locaux et mis en détention et en travaux forcés pendant six ans. Ce n’est qu’en septembre 1535 qu’ils réussiront à prendre la fuite.

Estevanico, le «grand guérisseur»

Peu de temps après, Estevanico et ses compagnons rencontrent des hommes souffrant de graves maux de tête. «Dès que [Castillo] a fait le signe de la croix sur eux» et a marmonné quelques prières, les Indiens déclarent que toutes les douleurs avaient disparu», écrit Cabeza de Vaca dans son rapport adressé au roi espagnol et cité par History. Le Marocain et ses trois amis deviendront alors de grands guérisseurs pour les Indiens. Une réputation qui les suivra dans les villages qu’ils visiteront dans leur chemin vers Culiacán, ville sur la côte ouest du Mexique, contrôlée par les Espagnols.

Andrés Dorantes, Mustapha Zemmouri, Castillo et Cabeza de Vaca après leur évasion. / Photo d’illustrationAndrés Dorantes, Mustapha Zemmouri, Castillo et Cabeza de Vaca après leur évasion. / Photo d’illustration

Toujours partant pour l’exploration du nouveau continent, Mustapha Zemmouri alias Estevanico sera nommé en 1539 traducteur, guide et interprète pour le prêtre franciscain Marcos de Niza qui menait une mission de reconnaissance de la mythique Cíbola (située dans l’actuel Etat du Texas), l’une des sept cités de l’or au cœur des légendes autour de l’Eldorado.

«Le Maure semble avoir considéré cela comme une excellente opportunité. Son voyage à travers les montagnes de Sonora était une consécration triomphale. Les Indiens, ravis de voir un des grands guérisseurs parmi eux, se pressaient en lui offrant des cadeaux. Il marchait fièrement parmi les villageois, en parlant avec eux dans leurs propres langues, en posant leurs mains sur leurs malades et en recevant leurs hommages.»

Estevanico, le «tueur»

Le prêtre franciscain était agacé de se retrouver relégué à un rôle secondaire. Lorsque l’expédition atteint le désert au-delà des montagnes, il suggère à Estevanico d’avancer avec quelques hommes et de renvoyer régulièrement sa progression. Estevanico poursuit ensuite son chemin. Après un mois, le Maure atteint les murs d’une ville que ses disciples juraient être Cíbola, bien que Hawikuh, l’une des sept villes n’était qu’un simple village entouré d’un mur de boue, situé sur une petite colline, au-dessus d’une rivière sèche. Le Marocain enverra ensuite un représentant pour informer les Indiens qu’il est le «serviteur» du grand roi blanc d’Espagne. Mais les Cibolans n’étaient guère impressionnés. Ils pensaient qu’il n’était pas «raisonnable de prétendre être l’émissaire des Blancs lorsqu’on est Noir». Estevanico est même soupçonné d’être un espion.

L'itinéraire de Mustapha Zemmouri du Cuba vers la ville de Cíbola. / Ph. DRL’itinéraire de Mustapha Zemmouri du Cuba vers la ville de Cíbola. / Ph. DR

Selon la version racontée par History, certains des hommes accompagnant le Marocain avait rapporté aux Cibolans qu’à «un moment donné, Estevanico avait tué une femme et sa réputation de grand guérisseur empêchait ses proches de se venger». Les Cibolans décident donc d’emprisonner Estevanico avant de décider de son sort. A ce moment, les versions divergent. Certaines rapportent même que le Maure aurait tenté de s’évader avant d’être abattu par les flèches des Indiens. «La ville légendaire» n’est conquise qu’en 1540, mais personne n’a su ce qui est réellement arrivé à Estevanico ou l’emplacement de sa dépouille après sa mort.

Son histoire a toutefois pu résister notamment grâce aux récits de Cabeza de Vaca, comme étant le premier Marocain, d’abord musulman puis baptisé chrétien dès son arrivée en Espagne, ayant mis les pieds en Amérique du Nord.

«Le conte du Maure» ou l’ouvrage de Laila Lalami rendant hommage à Estevanico

Dans «Le conte du Maure» (The Moor’s Account), roman finaliste du prix Pulitzer et qui lui a valu un American Book Award, Laila Lalami relate le récit de l’expédition désastreuse de la vie réelle de Pánfilo de Narváez, indique le Financial Time.

Partant de la mention de «Estevanico, un Noir arabe d’Azamor», l’auteure et professeure universitaire crée un portrait vif de l’invasion du Nouveau Monde et du rôle des esclaves noirs dans la conquête. Elle n’a pas manqué de critiquer les versions officielles qui ont «supprimé le rôle de l’africain, de l’arabe et du musulman dans la construction du Nouveau Monde».

Des versions qui ont également «omis les tortures et les viols qu’ils (les conquérants espagnols, ndlr) avaient commis et les femmes indiennes qu’ils avaient épousées et laissées». «Dans sa forme abrégée et désinfectée, la chronique de l’expédition de Narváez est adaptée à la cour royale, aux cardinaux et aux inquisiteurs, aux gouverneurs et aux fonctionnaires», estime l’auteure.





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