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Moshé Ben Attar, un ambassadeur sans ambassade


En 1721, le royaume chérifien et la Grande-Bretagne signent un traité pour la paix et parviennent à se mettre d’accord sur l’un des dossiers les plus épineux : les captifs musulmans et britanniques. Derrière ce succès diplomatique, la ratification du traité ayant traîné depuis plusieurs années, un certain Moshé Ben Attar.

Moshé Ben Shem Tob Ben Attar était originaire de Salé, où sa famille était connue pour son apprentissage rabbinique et son sens aigu pour les affaires. Son père a passé la dernière partie de sa vie à Meknès où il est décédé en 1701. Une ville où son fils s’installera, plusieurs années plus tard, après un séjour à Taroudant.

Le futur diplomate sous Moulay Ismail servira d’abord auprès de l’un des fils les plus cruels de Moulay Ismail : Moulay Zidan. Selon le récit rapporté par Haim Zeev Hirschberg dans son livre «A History of the Jews in North Africa : From the Ottoman conquests to the present time» (Editions Brill, 1981), Moshé n’était pas un simple servant du gouverneur de Taroudant. Il était aussi Nagid local, titre accordé aux responsables de la communauté juive. Il était «constamment réprimandé, torturé et mutilé lourdement» par Moulay Zidan. Fils de Lalla Aicha Moubaraka, également connue sous le nom de Zaydana, ce dernier sera tué par son propre père Moulay Ismail.

Après la mort du prince-gouverneur, «Moshé est allé voir sa mère, Zaydana qui lui a donné beaucoup d’argent à gérer», raconte Haim Zeev Hirschberg. Il lui rendait régulièrement visite et lui apportait des cadeaux».

Moulay Ismail et Moshé, des rapports tumultueux

Alors qu’elle avait une très grande influence envers Moulay Ismaïl, Zaydana recommendera Moshé, serviteur loyal qui «lui apportait des pierres précieuses et des perles». Le juif deviendra par la suite «un homme important auprès du roi et de tous les grands dignitaires».

Au cours de la deuxième décennie du 18ème siècle, Moshé Ben Attar déménage à Meknès pour commencer à faire affaire dans les bijoux dont une quantité était envoyée à la cour de Moulay Ismail. «Il s’est même engagé dans le commerce avec les pays européens et le rachat des captifs et était probablement un homme riche», poursuit l’auteur de «A History of the Jews in North Africa».

Des juifs marocains. / Ph. DRDes juifs marocains. / Ph. DR

De son côté, James Brown, auteur de «Crossing The Strait: Morocco, Gibraltar and Great Britain in the 18th and 19th Centuries» (Editions Brill, 2012) rapporte que Moshé Ben Attar a été «trésorier de Moulay Ismail» avant de devenir son conseiller. Une version contesté par Haim Zeev Hirschberg qui cite certains faits historiques, comme le fait que Moulay Ismail avait retiré à son «serviteur» de grosses sommes d’argent.

«En 1717, il fut dénoncé au roi Moulay Ismail qui lui imposa une lourde amende, de cinquante talents (unité de mesure, ndlr) d’argent. Moshé et son partenaire Reuben Ben Quiqui vendront tout ce qu’ils avaient pour payer cette amende.»

Haim Zeev Hirschberg

Mais grâce à sa proximité avec Moulay Ismail, il réussira à négocier des paiements en différé et le sultan «était ainsi devenu apaisé».

Un plénipotentiaire du sultan alaouite

En 1723, Abraham Mairman, l’homme fort de la cour de Moulay Ismail, décède. Un an plus tard, Moshé Ben Attar, son beau-fils, devint un «personnage important auprès du roi qui le nommera Nagid». Mais en 1724, il ordonnera à ce que Moshé soit brûlé. «Après avoir été conduit nu à l’endroit de l’incendie, le roi le gracie mais lui inflige une (deuxième) amende de vingt talents d’argent, comme le confirme David Bensoussan dans «Il était une fois le Maroc : Témoignages du passé judo-marocain» (Editions iUniverse, 2012).

En plus de ses relations tumultueuses avec Moulay Ismail, la rivalité entre familles juives n’arrangeait pas les choses. Au moment où ses relations avec les Toledano étaient bonnes, le courant ne passait pas entre Abraham Mairman et Ben Attar. Selon Haim Zeev Hirschberg, chacun des deux tentait «de supplanter l’autre par un don en argent ou un cadeau de valeur à Moulay Ismail, qui pourtant fera la paix entre eux». Moshé Ben Attar finira même par épouser la fille de Mairman.

Moulay Ismail faisait, malgré tout, confiance à Moshé. C’est la raison pour laquelle le salétin deviendra «l’un des plénipotentiaires» du sultan alaouite. «Il lui confiait l’une des tâches difficiles : la conduite des pourparlers de paix avec la Grande-Bretagne. C’est lui qui avait mené les négociations pour ce traité avec George I d’Angleterre en 1721», poursuit l’auteur.

Alors que Moulay Ismail savait que l’Europe n’était pas si tolérante à l’égard des Juifs, son nouveau diplomate mènera sa mission tantôt depuis Ceuta, tantôt depuis le Maroc. «Une longue lettre datée du 13 novembre 1718, écrite par Moshé à partir de Ceuta au représentant de la Grande-Bretagne, corrige un compte rendu déformé diffusé par ce dernier afin d’expliquer l’échec de sa mission à Meknès», raconte Haim Zeev Hirschberg. 

Portrait de Moulay Ismail. / Ph. DRPortrait de Moulay Ismail. / Ph. DR

Un négociateur de Moulay Ismail avec les Britanniques

Après avoir reçu un ordre de Moulay Ismail pour rencontrer l’émissaire de la Grande-Bretagne, pour lui fournir tous les produits nécessaires et accélérer les pourparlers de paix, Moshé Ben Attar promet, dans une deuxième lettre, de résoudre ce problème. «Il mentionne d’ailleurs que treize capitaines captifs ont passé près de deux ans (dans le royaume) afin de leur permettre de rentrer chez eux et fait allusion à des échanges de lettres entre lui-même et le capitaine Parker et l’amiral Byng», qui représentaient la partie anglaise. «Moshé promet aussi que, ne pouvant rester à Ceuta, il dépêchera son ami Isaac Nietto auprès de l’amiral».

Grâce à ses talents de diplomate et à l’aide active de Reuben Ben Quiqui, Moshé Ben Attar et après plusieurs années d’efforts va réussir à conclure le traité de paix entre le royaume chérifien et la Grande-Bretagne en 1721. Une ratification grâce à son amitié avec Charles Stewart, représentant de George I. Une liste des cadeaux de tissu et d’argent distribués par les Britanniques après la conclusion du traité, citée par Haim Zeev Hirschberg, mentionnerait aussi les noms de Moshé Ben Attar, Abraham Ben Attar, probablement frère de Moshé, Abraham Mairman et Reuben Ben Quiqui.

Une autre lettre, rédigée en espagnol, datée de mars 1722 à Tétouan et signée en hébreu et en caractères latins porte aussi le nom de Moshé Ben Attar. Elle serait la preuve que le plénipotentiaire de Moulay Ismail a maintenu ses relations avec Stewart et l’amiral Byng et a réussi aussi à traiter le rachat d’environ 300 captifs britanniques au Maroc.

Mais en tant que juif, même ayant eu accès à la Cour du sultan alaouite, Moshé Ben Attar n’a pas été «exemptés des réglementations discriminatoires» de l’époque. Interdit de monter à cheval, il se déplaçait, selon l’historien, «à dos de mule». 





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