Alors que le royaume chérifien connaissait l’une de ses périodes de gloire, Moulay Ismail a été, dès le début de son règne ayant débuté vers le 14 avril 1672, un roi aimant la négociation. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ce sultan alaouite aurait dépêché une dizaine d’ambassadeurs et d’envoyés aux différentes puissances européennes.
Mais Moulay Ismail avait une relation particulière avec la Grande Bretagne. Dès 1681, il dépêche son premier ambassadeur, Mohamed Ben Hadou Al Attar, originaire de Safi, au roi Charles II d’Angleterre. Plusieurs personnalités marocaines de l’époque ismailienne succéderont à cet ambassadeur, comme Abdellah Benaïcha, les Toledano ou encore Abdelkader Perez, l’amiral de Salé, d’origine morisque.
Un remplaçant de Abdelkader Perez
Après avoir dépêché ce dernier, Moulay Ismail choisit, en août 1725, Mohamed Ben Ali Abgali pour le présenter auprès du roi George I, en remplacement au morisque qui occupera à nouveau ce poste sous Mohammed II. «Le 22 août, Mohammed Ben Ali Abgali, ambassadeur de l’Empereur du Maroc en Angleterre arriva à Londres», rapporte Thomas Salmon dans le «Nouvel abrégé chronologique de l’histoire d’Angleterre» (Editions Rollin Fils, Volume 2, 1751). Même si on connait peu de choses sur la mission que lui avait confié Moulay Ismail tout comme sur sa personne, l’ambassadeur ne rencontrera le roi Charles I que six mois après, soit en janvier 1726 à en croire «The Political state of Great Britain, volume 31».
«Le 25 janvier, son Excellence Mohammed Ben Ali Abgali, ambassadeur de l’Empereur du Maroc, a sa première audience privée avec Sa Majesté (Charles I, ndlr). Le jour suivant, il rencontre leurs altesses les princes et le 28 janvier, les petites princesses.»
The Political state of Great Britain, volume 31
Moulay Ismail Ben Chérif. / Illustration
Un portrait signé par le peintre de la cour royale
Mohammed Ben Ali Abgali marquera lui aussi les esprits des Londoniens tout comme ses prédécesseurs. Ce qui lui vaudra un portrait, signé Enoch Seeman (1694-1744), le peintre de la cour royale d’Angleterre.
Sur le site de la société de ventes aux enchères Gros & Delettrez, l’une des deux versions du tableau est accompagnée d’une brève description du portrait et du personnage, citant le Journal de Cottrell. «[Mohammed Ben Ali] Abgali y est décrit comme étant un homme d’esprit, très honnête et sobre ; il était accompagné d’un Mufti, un secrétaire et en tout d’à peu près vingt serviteurs».
Une deuxième version du portrait de Mohammed Ben Ali Abgali. / Ph. Gros & Delettrez
Le Journal donne même la liste de la famille et de la suite de l’ambassadeur de Moulay Ismail, dont ses accompagnateurs, ses serviteurs et ses interprètes. La même source précise aussi que «le cuisinier d’Abagli décéda durant le séjour d’une inflammation des poumons».
«Le portrait de son excellence Mohamed Ben Ali Abagli reflète bien l’art de Seeman que l’on trouve dans les portraits royaux. La souplesse des contours et la lumière adoucie créent une atmosphère mélancolique. On retrouve également le caractère du personnage empreint de noblesse et d’intelligence que décrit les mémoires de Cottrell.»
Extrait de la description du tableau par Gros & Delettrez
Une participation à la vie culturelle du Royaume-Uni
Durant son séjour, l’ambassadeur de Moulay Ismail profitera pour visiter la British Royal Society (BRS). En 2011, la version arabophone d’Acharq Al Awsat a publié un article sur une exposition au sein de la Société royale de Londres (British Royal Society) pour l’amélioration des connaissances naturelles. Rim Turkmani, doctorante et chercheuse d’origine syrienne, rapportait au média avoir trouvé dans les archives de la BRS «des lettres de Mohammed Ben Ali Abgali adressées à d’autres membres de la Société royale avant de devenir ambassadeur mais aussi après cela». Citant des comptes-rendus des réunions de la BRS, la chercheuse rapporte que l’ambassadeur avait visité le siège de la société royale et «a été témoin de certaines expériences scientifiques en son sein».
Pour sa part, John McTague, Stephen Bernard et Rebecca Bullard rapportent dans «The Plays and Poems of Nicholas Rowe, Volume I» (Editions Taylor et Francis, 2016), qu’en mars 1726, Mohammed Ben Ali Abgali prendra part à l’une des lectures de Nicholas Rowe». Il prendra aussi part à une autre performance artistique, le 25 avril de la même année, à en croire The College Language Association Journal (volume 31, 1987). Il s’agit plus précisément, selon l’ouvrage «Foreign Theatrical Compagnies in Great Britain» (Edition Society for Theatre Research, 1955) d’une pièce théâtrale dans le genre de «Commedia dell’ arte».
Illustration de la «Commedia dell’ arte». / DR
L’ambassadeur Mohammed Ben Ali Abgali quittera le Royaume-Uni en 1727. Selon «The Policital State of Great Britain, volume 33», l’envoyé de Moulay Ismail s’entretient avec le roi d’Angleterre, le 14 février 1727, avant de rencontrer, le même jour et le lendemain, les princes et les princesses. Il disparaitra, lui aussi, des livres d’histoire dès la fin de sa mission.