Au fil des siècles, les Amazighs du royaume ont raconté leur histoire, composées d’us et coutumes, de légendes et de mythes, en optant pour une forme d’expression orale. Les tentatives de retranscrire ces textes ont souvent fait face à plusieurs barrières, dont celle de la langue et de l’expansion de la culture arabophone écrite.
Pourtant, plusieurs grands poètes amazighs se sont distingués en rédigeant des textes en tamazight, immortalisant ainsi ce patrimoine culturel cher au Maroc. C’est le cas de Mohammed Awzal (ou Muhammad Aouazal), considéré comme le père de la poésie tachelhite, écrite avec des lettres arabes.
De Tizit à la Zaouïa Naciria de Tamegroute
Né vers 1090 de l’hégire (1680) dans le village de Tizit, à Ighrem (Souss-Massa), Mohamed Ben Ali Akbil Al Houzali alias Mohammed Awzal apprendra le coran dans son village, avant de commencer à se rendre dans les villages proches pour étudier les sciences, raconte Ahmed Salmi, en citant le récit de l’ouléma marocain Mohamed Mokhtar Soussi.
Originaire d’une petite tribu de l’Anti-Atlas, les Inda Ouzal, sa vie sera toutefois bouleversée par un fait, qui l’oblige à fuir son village natal pour se rendre dans la Zaouïa Naciria, confrérie religieuse soufie fondée dans la petite ville de Tamegroute, dans la vallée du Drâa. L’histoire précise que le poète soufi aurait tué un homme et quitté le village pour éviter la vengeance des proches de sa victime.
A Tamegroute, Mohammed Awzal se concentre sur les études islamiques, en s’imprégnant du Cheikh Ahmed Ben Mohamed Nacer Ed-Darii, et des grands oulémas qui fréquentaient la zaouïa à l’époque. C’est également à Tamegroute qu’il écrit ses premiers essais en tamazight en 1711. Intitulé «Al-Ḥawḍ» (le bassin), il détaille ainsi la loi islamique conformément à la tradition malekite, en se basant sur deux textes classiques de cette école.
A la recherche de la rédemption, le poète soufi retournera finalement dans son village. Les proches de sa victime finiront par lui pardonner. En contrepartie, il s’engage auprès de son village, fondant une «école Houzalia» vers 1111 de l’hégire et consacrant sa vie à enseigner les enfants de son village. «Grâce à son engagement et son dévouement, des étudiants de différents bords se rendront dans cette école pour des études scientifiques, d’autres le visiteront pour apprendre la religion et ses bases», poursuit-on.
Mais vers 1748, Mohammed Awzal est atteint de la peste, qui finit par le tuer la même année. Il est ainsi inhumé près de son école, laissant derrière lui une riche littérature en arabe et en tachelhit ; des œuvres qui seront même traduites plus tard en plusieurs langues.
Ainsi, dans «The Western Mediterranean and the World : 400 CE to the Present» (Editions John Wiley & Sons, 2017), Teofilo F. Ruiz le considère «parmi les écrivains berbères les plus importants». «Écrivant en tachelhit et en arabe, Mohammed Awzal a écrit des traités religieux poétiques, comme Al Hawd, et son Bahr Al Dumue (l’océan des larmes)».
Les deux comprenaient des descriptions apocalyptiques basées sur une interprétation fidèle de la loi islamique et de la religion dans les traditions malekites», assure-t-il.
La première page de l’ouvrage Al Hawd de Mohammed Awzal. / DR
Le père d’un mouvement littéraire du Tachelhit
De son côté, l’historien Rachid Agrour le décrit dans «L’établissement des Id Ma El Aïnin chez les montagnards de l’Anti-Atlas (Iboudraren) 1914-1934» (Renue Hespéris-Tamuda, 2012), comme «le plus important représentant d’un mouvement littéraire qui agita l’aire de la langue tachelhite à partir de la fin du XVIème siècle et qui dura un peu plus de deux siècles». «Des centaines d’ouvrages ont alors été composés avant que cette effervescence littéraire ne retombe assez brutalement», ajoute-t-il.
«Ces manuscrits en langue tachelhite sont essentiellement des œuvres d’édification, composées en vers pour faciliter leur mémorisation et leur récitation. Les ouvrages d’Awzal connaissent, encore aujourd’hui, un grand succès chez les Ait Sous.»
Rachid Agrour
La même source précise que «L’Océan des pleurs», rédigée en 1714, est une «œuvre de récapitulation des devoirs du musulman et des bienfaits que ce dernier pourra en attendre dans l’au-delà».
Aujourd’hui, des copies des ouvrages phares de Mohammed Awzal se trouvent dans la collection de l’Université de Leiden aux Pays-Bas. Ainsi, en plus d’Al Hawd et Bahr Al Dumue, il s’agit aussi de l’œuvre intitulée «Le Conseil», une «ode à la louange de Sidi Ahmed Ben Mohamed Ben Nacer, guide spirituel d’Awzal et grand maître de la Zaouïa Naciria», ajoute-t-on.
Une collection de deux ouvrages phares de Mohammed Awzal à la Médiathèque SHS de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme. / DR
La bibliothèque de la même université accueille aussi «la seule copie complète connue et écrite par un seul et même copiste du plus grand texte berbère existant : le commentaire d’Al-Hasan al-Tamuddizti (décédé en 1316/1899) sur l’ouvrage Al Hawd d’Awzal, contenant 600 pages grand format», précise-t-on. Il s’agit ainsi du plus grand texte en tamazight existant qui rend hommage à cette personnalité. Et de noter que «près d’un tiers de tous les manuscrits connus de tachelhit contiennent (des parties) des œuvres» de Mohammed Awzal.
Mohammed Awzal est aussi l’auteur de trois textes en arabe (Tanbih El Ikhouan, Targ Bi El Aassa et une collection de Fatwas) qui ne sont pas aussi célèbres que ses chefs-d’œuvre en tachelhit.