Comme beaucoup d’enfants du Rif à la fin des années 1970 et 1980, Mohamed Bouzia a attendu impatiemment de rejoindre son père aux Pays-Bas. Modeste mais visionnaire, son a insisté pour retarder ce regroupement familial, le temps que son enfant acquiert les bases de la darija, de l’arabe et du français sur la terre natale, pour ensuite rejoindre l’Europe. «Au début, je ne comprenais pas cette décision», a confié le journaliste, dans son entretien à Yabiladi.
Plus tard, Mohamed Bouzia a appris à apprécier la sagesse de son père qui lui a appris à avoir les pieds sur terre, surtout lorsqu’il l’a rejoint à Haarlem à l’âge de 16 ans. Adolescent, il arrive au pays d’accueil avec un bagage éducatif important, un lien fort avec son pays d’origine et assez de confiance en lui-même, prêt à saisir les opportunités que l’Europe peut lui offrir. Mais comme dans nombre d’histoires de réussite, les débuts ont été difficiles.
Une fois aux Pays-Bas, Mohamed s’est consacré à l’apprentissage du néerlandais pendant un an, pour décider ensuite de la prochaine étape de son parcours universitaire. «Je me souviens d’une réunion avec deux professeurs à ce sujet. L’un m’a suggéré une formation professionnelle pour un diplôme dans un domaine artisanal, tandis que l’autre a insisté sur mes aptitudes suivre un cursus en marketing et communication», nous dit-il.
Et d’ajouter : «Je me souviens de leur long débat : ce professeur croyait en moi et voyait un potentiel que l’autre ne saisissait pas.» Finalement, Mohamed a choisi le management international. Durant ses études, il a eu la chance de passer une année d’échange obligatoire à l’étranger. «J’ai choisi la France parce que je parlais le français», explique-t-il.
Sa décision a également été motivée par la situation financière modeste de sa famille, la France étant plus abordable et à proximité des Pays-Bas. Mohamed rejoint l’Ecole supérieure d’Angers, où il se spécialise dans la gestion et le marketing des médias, avec un diplôme en médias et management à la clé.
Une émission radio par les Marocains et pour les Marocains d’Europe
De retour aux Pays-Bas, Mohamed a rejoint bénévolement une radio locale, ce qui lui a ouvert les portes d’une carrière précoce. «Un jour, alors que j’étais en visite dans mon école pour régler des formalités administratives, un réalisateur m’a approché pour me demander si je voulais passer une audition, dans le cadre d’un nouveau projet à la radio nationale», a-t-il raconté. Cette opportunité a été une aubaine, pour un jeune homme de 20 ans qui vient de terminer ses études.
«J’étais tellement content d’avoir passé l’audition. Mais sans nouvelles une semaine plus tard, j’ai décidé de partir en séjour dans le Rif. Une fois là-bas, j’ai reçu un appel me confirmant que j’était pris», se souvient-il. Le rêve devient réalité pour le jeune homme qui, ayant grandi dans le Rif, n’aurait jamais imaginé travailler dans une station de radio.
«Quand j’étais enfant, j’adorais la radio Medi1 et je rêvais de devenir journaliste radio», dit-il. Son projet, une émission de radio en darija et en tarifit, a rencontré un vif succès auprès de la communauté marocaine aux Pays-Bas et dans les pays voisins, dont la France, la Belgique et l’Allemagne. L’expérience a été enrichissante pour Mohamed lui-même.
«C’est là que j’ai appris le journalisme, amélioré mon arabe parlé et perfectionné mon arabe classique. J’étais le plus jeune de l’équipe et j’ai appris auprès des meilleurs», se souvient-il, plein de reconnaissance. Malgré son succès, le programme a été interrompu quatre ans plus tard, sur décision du gouvernement. «Les autorités voulaient que tous les contenus radiophoniques destinés à la diaspora marocaine soient en néerlandais pour favoriser une meilleure intégration», se souvient-il.
Mohamed a ensuite été transféré vers un autre programme axé sur la musique et le divertissement, un registre qui lui encore inconnu. «Je n’aimais, non pas parce que je n’aimais pas la musique, mais parce que ce n’était pas mon créneau. Au bout d’un an, j’ai décidé de changer de carrière», raconte-t-il. Le journaliste décide alors de se revenir à son domaine de formation et de se consacrer au marketing. Il travaille pour une entreprise de vente de machines lourdes et gère les marchés francophones et arabophones. Ce poste l’oblige à voyager constamment.
«J’étais toujours dans les aéroports, à passer d’un pays à l’autre», dit-il, ajoutant que cette situation est devenue difficile. Il revient rapidement à sa première passion. «Un directeur de la radio nationale néerlandaise m’a contacté pour me demander de l’aider à gérer une nouvelle station en phase de projet. Cette fois, elle était entièrement en néerlandais», raconte Mohamed.
Au bout de neuf ans de travail sans relâche en tant que rédacteur en chef, il décide de se lancer dans une nouvelle aventure. Après une longue carrière dans le journalisme, travaillant pour NPS, Radio Colourful, Radio Haarlem 105 et les programmes radiophoniques NIO, Mohamed se tourne vers l’enseignement et la réalisation de documentaires.
Une histoire de migration
Sa passion pour le récit l’a conduit à réaliser son premier documentaire, «Anaak» (2017), co-créé avec son ami Kacem Achahboun. Le film explore une question clé de l’histoire de la migration marocaine, en interaction avec l’Algérie. «Ce documentaire est structuré comme un voyage, un journal de bord des parcours migratoires marocain. Il explore la manière dont les nationaux se sont trouvés en Algérie et, finalement, en Europe», explique l’auteur.
Incapables d’exploiter pleinement la main-d’œuvre algérienne locale, les autorités de la colonisation française se sont tournées vers les travailleurs marocains, en particulier ceux des régions du Rif et du Souss. S’installer en Algérie n’a cependant pas été facile. Il a fallu surmonter des obstacles bureaucratiques, à commencer par l’autorisation tamponnées auprès des autorités locales.
Le système colonial français a non seulement employé ces travailleurs marocains en Algérie, mais il les a également fait venir en France. Certains sont retournés au Maroc, tandis que d’autres sont restés, formant une main-d’œuvre reliant les deux pays de la rive sud à l’Europe. Pour certains nationaux, obtenir un passeport au Maroc s’est avéré difficile. Le voisin de l’est est devenu un tremplin vers la suite du parcours migratoire.
«Cette histoire de migration a été le sujet de mon premier documentaire, réalisé sans aucun soutien institutionnel», a déclaré fièrement Mohamed. Révélateur de la passion de son réalisateur pour le cinéma, ce film propose des témoignages directs sur les réalités des mobilités dans leur contexte de l’époque.
Cette œuvre a suscité un vif intérêt et des débats passionnés, partout où elle a été projetée, au Maroc et à l’étranger. Suite à ce projet, Mohamed a travaillé sur d’autres documentaires, dont un consacré aux communautés juives de sa région natale.
Aujourd’hui journaliste indépendant, Mohamed Bouzia reste déterminé à raconter des histoires comme celles d’Anaak, honorant les sacrifices de ses parents et de ses grands-parents pour les générations futures. Un hommage aux pères comme le sien.