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«Migrer, c’est instinctif car c’est dans la nature humaine»

«Migrer, c’est instinctif car c’est dans la nature humaine»

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«Migrer, c’est instinctif car c’est dans la nature humaine». L’historien Pascal Blanchard a d’emblée posé les fondements du débat en rappelant une vérité anthropologique fondamentale. Loin d’être anodine, son assertion replace la migration dans son contexte historique long, rappelant que «l’Amérique s’est constituée par des immigrés» et que les réactions hostiles aux nouveaux arrivants, bien que «compréhensibles», sont «complètement inexactes» car «il y a toujours eu des oppositions». Durant ses dix minutes d’intervention, il a particulièrement insisté sur les paradoxes de notre époque. Alors que la mondialisation devrait faciliter les échanges, «c’est au moment où le monde devient un village qu’il devient difficile d’y circuler librement». Il relève ici une contradiction, qui trouve ses racines dans ce qu’il identifie comme «la peur du métissage», un phénomène qui traverse les siècles et trouve aujourd’hui de nouveaux modes d’expression, notamment par le biais des nouvelles technologies. 

Les trois chocs contemporains

Le spécialiste de l’histoire de l’immigration a identifié trois «chocs» qui structurent les débats actuels sur la migration. Le premier concerne les enjeux démographiques et économiques : «Voulez-vous avoir une retraite deux fois plus importante ?». Une question, apparemment prosaïque, qui pointe du doigt l’un des défis des sociétés occidentales vieillissantes. Le deuxième choc touche aux inégalités mondiales, où «la majorité des pays ne pourra pas rester riche» dans un contexte de redistribution des richesses à l’échelle planétaire. Le troisième choc, peut-être le plus imprévisible, concerne les «risques climatiques que nous ne maîtrisons pas». Pour l’historien, «le risque climatique est égal au risque de guerre» dans sa capacité à générer des mouvements de population massifs et imprévisibles.

L’instrumentalisation politique de la migration

La réflexion s’est poursuivie autour de la montée en puissance de la politisation des questions migratoires. Nous assistons à une «instrumentalisation toxique» qui «touche le débat sur la société» dans son ensemble, insiste Andrea Rea, professeur de sociologie en Belgique. Cette politisation se caractérise désormais par l’émergence de «la migration comme un enjeu diplomatique qui peut faire l’objet de chantage entre pays». Le phénomène dépasse largement les clivages traditionnels. Blanchard a rappelé avec pertinence que «Donald Trump n’a pas été élu que par des hommes blancs. Des femmes blanches ont aussi voté pour [lui], tout comme de nombreuses minorités». Il démontre à quel point les opinions sur la migration sont complexes, y compris au sein des communautés directement concernées.

Repenser fondamentalement l’approche des questions migratoires devient une urgence. Cela permettrait notamment de lutter contre la montée de l’extrême droite dans le monde. Pour ce faire, l’historien suggère de «déconstruire la xénophobie» par l’éducation. «Ce n’est pas un truc abstrait. C’est une culture», insiste-t-il. Pour lui, la «culture» de la xénophobie s’enracine dans «l’histoire coloniale» et «les stéréotypes ont toujours une histoire». Il explique que la jeunesse refuse aujourd’hui les justifications traditionnelles. Pour elle, la peur de l’Autre «ça ne peut plus durer». Et lui-même le rappelle très bien : «Ce que nous devons changer, ce n’est pas la mobilité des hommes, c’est la fixité de nos peurs». Ainsi, la nouvelle génération pourrait constituer un facteur de changement dans les années à venir.

La culture, une arme universelle

«Quand la culture ouvre les portes, écoute au lieu de juger et de rejeter, elle adoucit la migration». Ce témoignage de Kamal Redouani, documentariste qui a travaillé dans les zones de conflit syriennes, a apporté une dimension profondément humaine aux débats. À travers le partage de l’histoire de Marwa, jeune actrice issue d’Alep, contrainte à l’exil, il a rappelé comment «la culture donne la voix de la dignité à ces personnes». Son approche culturelle de la migration trouve un écho particulier dans le contexte marocain, où la diversité culturelle constitue un atout. La tenue même de ce forum, dans le cadre du festival, en est une belle illustration.

Par ailleurs, le documentariste a insisté sur l’importance de «donner la place» aux migrants, rappelant que derrière les statistiques se cachent des parcours humains. «On parle que de chiffres mais on oublie par où ils sont passés», regrette-t-il, se remémorant le témoignage d’un vieux monsieur croisé sur la route de l’exil. «J’ai laissé ma maison derrière moi, mais je n’ai pas laissé ma mémoire», lui avait confié l’homme. Une phrase qui résume à elle seule toute la force, la résilience et la dignité de ceux qui continuent d’avancer, sans certitude d’un lendemain.

Franchir les frontières par écran interposé

À l’heure où les frontières physiques s’estompent dû à l’omniprésence des réseaux numériques, une nouvelle interrogation se pose : comment penser la migration dans un monde ultra-connecté ? L’historien Yvan Gastaut a soulevé cette question en évoquant la «déterritorialisation» induite par l’hyperconnexion : «Est-ce que ce besoin d’ailleurs, on va le régler avec une déterritorialisation qui fait que, finalement, le poids de l’espace s’atténue ?». Une réflexion qui invite à repenser les mobilités de demain. Car si les plateformes numériques permettent de franchir symboliquement les barrières géographiques et facilitent l’accès à d’autres cultures, elles entraînent aussi un risque d’uniformisation et de standardisation. Le monde semble s’ouvrir, mais au prix d’une homogénéisation qui interroge autant qu’elle inquiète.





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