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Marocchinate, l’autre face cachée de l’histoire des goumiers de la Seconde Guerre mondiale


En juillet 2018, la littérature du pays de la Botte a accueilli un nouvel ouvrage signé Emiliano Ciotti. Intitulé «Le Marocchinate, chronique d’un viol collectif», le livre (Editions Youcanprint, 2018) est un recueil de témoignages de familles italiennes, victimes présumées d’une série de viols, violences et pillages par les goumiers des Alliés.

Nous sommes au mois de novembre 1942. Après le débarquement des Alliés au Maroc, des goumiers marocains sont appelés à se joindre aux Britanniques et Américains. Quelque 85 000 Marocains prennent donc part à la guerre. Déjà en août 1914, soit en pleine Première Guerre mondiale, la France sommait ses résidents généraux de l’Afrique du Nord de lui fournir un plus grand nombre de soldats dans l’optique d’affronter l’Allemagne. Environ 40 000 soldats marocains serviront pendant la Première Guerre mondiale dont les deux tiers seront envoyés en France. Une expérience qui sera reproduite lors de la Seconde Guerre mondiale.

Des goumiers dans un camps militaire. / Ph. DRDes goumiers dans un camps militaire. / Ph. DR

Le débarquement des Alliés en Italie

De novembre 1943 à juillet 1944, sous les ordres du général Alphonse Juin, le Corps expéditionnaire français se composera, sur un effectif global de 125 000 hommes, de goumiers de la 2e division d’infanterie marocaine (2e DIM) et de la 4e division marocaine de montagne (4e DMM), en plus de tabors marocains. 

«Au cours de leurs combats lors des trois dernières années de la guerre, les goumiers récolteront l’attention, l’admiration et l’appréhension des ennemis et des amis», racontent Eric Storm et Ali Al Tuma dans «Colonial Soldiers in Europe, 1914-1945: « Aliens in Uniform » in Wartime Societies» (Editions Routledge, 2015). «Ils ont été parmi les premières unités à être envoyées en Tunisie où, malgré leur équipement obsolète, ils ont bien performé contre les troupes de l’ennemi.»

La performance des Marocains lors de la bataille de Bizerte (nord de la Tunisie), en mars et avril 1943, sera même très appréciée par le commandement suprême des Alliés, qui les considérera comme des «troupes de montagne expérimentées et de grands combattants». Mais les goumiers payeront très cher leur courage au combat. «Plus de 7 500 Goumiers marocains seront tués ou grièvement blessés au cours des campagnes de 1943-1945», rapportent Eric Storm et Ali Al Tuma.

Des goumiers dans un camp militaire. / Ph. DRDes goumiers dans un camp militaire. / Ph. DR

La distinction des goumiers a surtout été accompagnée par des «rapports généralisés de crimes de guerre», comme le note David G. Williams dans son livre «Jochen Peiper, Justice Denied» (Editions Lulu.com , 2015).

«Un nombre exceptionnel de Marocains ont été exécutés – plusieurs sans jugement – pour avoir prétendument assassiné, violé et pillé tout au long de leur chemin à travers la campagne italienne. Les autorités françaises ont cherché à désamorcer le problème en important un certain nombre de femmes berbères pour servir de ‘’suiveuses de camps’’ dans les zones arrières réservées exclusivement aux goumiers.»

Extrait du livre «Jochen Peiper, Justice Denied» de David G Williams

Au centre de l’Italie, le viol de femmes, d’hommes et d’enfants

Citant des «sources italiennes», David G. Williams indique que «plus de 7 000 personnes ont été violées par les goumiers». «Ces viols, plus tard connus en Italie sous le nom de Marocchinate, étaient contre les femmes, les enfants et les hommes, y compris certains prêtres !», poursuit-il en citant le maire d’Esperia (sud de Rome). Ce dernier aurait indiqué que dans sa ville, 700 femmes sur 2 500 habitants ont été violées et que certains en sont mortes. «Dans le nord du Latium et le sud de la Toscane, il semblerait que les Goumiers ont violé et occasionnellement tué des femmes et des jeunes hommes après le retrait des Allemands», poursuit l’écrivain.

Une version relayée par plusieurs sources. Dans «Histoire de l’armée française en Afrique : 1830-1962» (Editions A. Michel, 1994), Anthony Clayton raconte que «dans la région de Sessa Aurunca, la population a également souffert des viols collectifs perpétrés par les goumiers».

Une statut illustrant une femme comme un butin de guerre pour les goumiers. / Ph. DRUne statue illustrant une femme comme un butin de guerre pour les goumiers. / Ph. DR

Dans la région de Ciociarie (centre de l’Italie, actuelle région du Latium), «destruction de villages, vols et violences, mais surtout viols de masse», étaient pratiqués comme le rapporte le blog Piedsnoirs-aujourdhui dans un article intitulé «Marocchinate : Les goumiers violeurs en Italie».

«Le nombre de viols varie entre 3 000 et 3 500 pour les femmes, mais des hommes ayant aussi été violés. Le nombre de morts étant, lui, estimé à 800 environ. Cette histoire débute en Sicile. C’est à Mariangela Profeta Fiore [où les] premiers kidnappings de jeunes femmes italiennes par des Marocains qui ‘’les considéraient comme leur butin de guerre et les emmenaient en ricanant et en les traitant de tous les noms, comme des prostituées’’ ont commencé.»

Version relayée par le blog Piedsnoirs-aujourd’hui 

«Syphilis», «orphelins» et «suicides»

La même source rapporte d’autres événements tragique, à Capizza, entre Nicosia et Troina et surtout «vers la Ligne Gustav» et «vers la Toscane», où les goumiers «se déchaînèrent». «Selon un témoignage recueilli par le professeur Bruno D’Epiro, on raconte que le curé d’Esperia chercha en vain à sauver trois femmes des violences des soldats : il fut attaché, sodomisé toute la nuit et mourut des suites de ces violences», rapporte-t-elle. Il s’agirait du curé Don Alberto Terrilli.

Dans un long article publié en 2017 et intitulé «La vérité cachée des « Marocains », pillage et viol des troupes françaises dans la moitié de l’Italie», le média italien La Stampa a retracé cette face cachée de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale. Il rapporte que ces événements ont été signalés dans plusieurs municipalités de l’actuelle région de Latium. «Des milliers de femmes étaient infectées par la syphilis, la blennorrhagie (chaude-pisse, infection sexuellement transmissible, ndlr) et d’autres maladies vénériennes». «Elle infectaient souvent leurs maris légitimes», enchaîne le média italien.

«Des milliers de femmes seraient tombées enceintes : le seul orphelinat de Veroli (région Latium) a accueilli après la guerre environ 400 enfants nés de ces unions forcées. Beaucoup de femmes ont été expulsées de leurs communautés à cause des préjugés de l’époque, répudiées, certaines avaient fini par se suicider ou par émigrer vers d’autres régions.»

La Stampa

Une mère célibataire à Ciociarie. / Ph. La StampaUne mère célibataire à Ciociarie. / Ph. La StampaUne mère célibataire à Ciociarie. / Ph. La Stampa

Des «Français blancs» tout aussi coupables

Citant des documents des Archives de l’État central, La Stampa affirme que contrairement aux versions qui accusent seulement les goumiers, «même les Français blancs en seraient coupables». «Considérant que les Français européens constituaient 40% de l’ensemble du CEF, la responsabilité des violences aurait été limitée aux seuls goumiers marocains», précise le média. Mais celui-ci cite une déclaration attribuée au général Juin, encourageant les soldats à tout se permettre pour vaincre l’ennemi :

«Soldats ! Cette fois, ce n’est pas seulement la liberté de vos terres que je vous offre si vous gagnez cette bataille.Derrière les lignes de l’ennemi, il y a des femmes, des maisons et l’un des meilleurs vins du monde.Tout cela sera à vous si vous gagnez. Vous devrez tuer les Allemands jusqu’au dernier homme à n’importe quel prix.»

Déclaration attribuée au général Juin

Un timbre émis par la République française célébrant la distinction des goumiers. / Ph. DRUn timbre émis par la République française célébrant la distinction des goumiers. / Ph. DR

Le média n’impute pas la responsabilité aux goumiers, mais à leur commandement français. «Le commandant en chef de la France Libre, Charles De Gaulle, [se trouvait] avec son ministre de la guerre André Diethelm à Polleca près du baron de Rosselli. Il y a des photographies incontestables et même un discours qu’il a donné sur place à cette époque. Les violences s’étaient donc produites sous ses yeux», conclut La Stampa.  

Des sources rapportent, de leur côté, que le pape Pie XII avait sollicité le général de Gaulle pour qu’il prît des mesures face à cette situation. «La réponse qu’il reçut du général montrait à la fois sa compassion et son irritation». Jusqu’à 1945, la justice française aurait entamé 160 procédures judiciaires à l’encontre de 360 individus. En 1950, l’Union des Femmes Italiennes, organisation communiste féminine, avait tenté d’obtenir des indemnités pour les Italiennes et Italiens victimes de ces violences, en vain.

«Le 26 novembre 2004, des excuses officielles du président d’une association d’anciens combattants marocains, Ahmed Benrahhalate, ont été présentées au Monte Cassino», rapporte un reportage d’une chaîne italienne. Lui-même fils d’un goumier, Benrahhalate avait estimé avoir «un devoir moral de présenter [des] excuses aux Italiens pour les crimes des troupes marocaines».





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