C’est lors d’un congrès fondateur tenu le 26 décembre 1956 que l’UNEM naîtra officiellement après avoir absorbé plusieurs associations estudiantines. Elle n’est pas, en effet, la première organisation estudiantine à voir le jour au Maroc. Ainsi, l’ex-détenu politique Tarik Berahou raconte comment l’université marocaine a connu l’apparition de plusieurs organisations formées par des étudiants. Ce n’est qu’après la naissance d’associations comme celle des musulmans du Nord d’Afrique (1912), l’Association générale des étudiants de Rabat (1927) ou encore l’Union des étudiants du Maroc (1947) que plusieurs de ces organisations laisseront enfin la place à l’UNEM.
De la naissance au divorce avec l’Istiqlal
La décision est intervenue juste après l’indépendance du Maroc. Plusieurs syndicats et associations verront le jour. En août 1956, des associations estudiantines décideront de se dissoudre pour former une union, rapporte de son côté le chercheur marocain Abdelali Essaghiri. «La création est intervenue comme une nécessité historique pour encadrer les étudiants marocains en tant que frange de la société ayant joué des rôles primordiaux dans la lutte contre l’occupation», écrit-il en 2016.
Lors du premier congrès, Hassan II, alors prince héritier, sera même nommé en tant que président d’honneur de l’organisation. Celle-ci reste sous les girons du Parti de l’Istiqlal, le temps d’un deuxième congrès national, organisé en septembre 1957 à Fès. Mais dès le troisième congrès tenu le 23 juillet 1958 à Tétouan, la guerre des courants au sein du parti d’Allal El Fassi s’exporte au sein de l’organisation estudiantine. Les amis d’Abderrahim Bouabid, Abdellah Ibrahim et de Mehdi Ben Barka finiront par remporter la bataille menée au sein de l’UNEM. L’organisation annoncera, dès son quatrième congrès du 27 août 1959, son soutien au courant progressiste au sein du Parti de l’Istiqlal. Naturellement, l’organisation est du côté de l’Union nationale des forces populaires (UNFP) créée le 6 novembre 1959 suite à une scission avec le parti d’Allal El Fassi.
L’UNEM, tout comme l’UNFP, vire dans les rangs de l’opposition dès la dissolution du gouvernement d’Abdellah Ibrahim. Lors d’un cinquième congrès, le 16 juillet 1960 à Casablanca, le discours des dirigeants changera aussi. Ils ne se contenteront plus de critiquer la bureaucratie mais le système politique, la répression contre les figures du mouvement national. Le communiqué final souligne aussi les problèmes liés à la démocratie et insiste sur le départ des militaires français du Maroc.
L’UNEM devient officiellement le bras syndical de l’UNFP
C’est lors d’un sixième congrès, tenue à Azrou du 20 au 24 juillet 1961, que le divorce est officiellement annoncé entre le régime et l’UNEM. Le syndicat estudiantin met l’accent sur son caractère progressiste et communautaire. Il annonce la mise en place d’une nouvelle fédération en Europe de l’Est et de coopératives en tant qu’infrastructures indispensables pour se connecter aux bases estudiantines et sa détermination à se battre aux côtés des masses travailleuses. Le congrès publie aussi un livre blanc où il attribue la responsabilité de tout ce qui se passe dans le pays à la gouvernance individuelle, un clin d’œil au régime de Hassan II, intronisé à peine le 3 mars 1961.
Une position entérinée dès le 7ème congrès de juillet 1962 qui appellera publiquement au boycott du référendum de décembre 1962. Le congrès décidera aussi de mettre en place un journal, «L’Etudiant marocain» en langues arabe et française. L’année sera aussi marquée par l’apparition de l’Union générale des étudiants du Maroc (UGEM), une tentative du parti de l’Istiqlal de reprendre le contrôle du monde estudiantin qui sera voué à l’échec.
Conscient du danger potentiel de l’union, Hassan II décrète alors en juin 1963, un Dahir interdisant à l’UNEM d’encadrer des élèves. Le régime lance aussi des arrestations qui toucheront des militants de l’UNEM. En août 1963, lors d’un 8ème congrès tenu à Casablanca, le syndicat estudiantin se positionne carrément dans l’opposition au régime et adresse ses flèches au régime. Ses militants appellent même explicitement au renversement du régime. «Il est clair que l’existence du système constitue elle-même un obstacle à la réalisation des aspirations des masses populaires et à une entrave à toute possibilité de progrès», indique le communiqué final du congrès. «L’abolition du système est une condition sine qua non pour que le pays sorte de la crise ouverte ou constante dans laquelle il patauge depuis l’indépendance», poursuit-il.
Le 9ème congrès, tenu du 4 au 7 septembre à Rabat, appellera à la libération des détenus politiques et des militants progressistes. En octobre 1964, le gouvernement Bahnini saisit même la justice contre l’UNEM mais celle-ci sort gagnante. Et dès mars 1965, un faux pas de Youssef Belabbès, alors ministre de l’Education nationale, provoque l’ire des étudiants marocains, qui sortent massivement dans les rues, le 23 mars. Des manifestations réprimées par balles de l’armée à Casablanca. Trois mois après la révolte des élèves, l’état d’exception est instaurée pour la première fois dans l’histoire du Maroc, en juin 1965. Le 10ème congrès du puissant syndicat estudiantin a alors lieu en octobre 1965 à Rabat.
Du service militaire à l’apparition du courant marxiste-léniniste
Mais à la veille du 11ème congrès, tenu en juillet 1966, Hassan II semble avoir trouvé un moyen pour mettre fin à la dissidence estudiantine. Il instaure, le 9 juin 1966 et pour la première fois, le service militaire obligatoire. Un dahir qui devait obliger les figures de proue de l’UNEM à effectuer leur service militaire. En effet, dans son ouvrage «Annuaire de l’Afrique du Nord : Chronique sociale et culturelle» (Centre national de la recherche scientifique, 1981), l’historien André Adam a rapporté que ce texte «a été utilisé par le gouvernement pour justifier le refus des demandes de sursis du président et des membres du comité exécutif de l’Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM)». C’est par le biais de ce même texte qu’ils seront incorporés pour dix-huit mois. «La suppression du sursis accordé aux étudiants est utilisée, en guise de punition, contre les cadres dirigeants du 10e congrès de l’UNEM, envoyés au SMO (Service militaire obligatoire, ndlr) en février 1967 et contre ceux qui ont organisé leur soutien à l’étranger, en occupant l’ambassade du Maroc à Paris», affirme-t-il.
Le 12ème congrès, devant avoir lieu en 1968, est alors interdit par les autorités puis reporté. Il sera même précédé par plusieurs événements. Tarik Berahou rapporte que le président élu lors du 11ème congrès, Fetthallah Oualalou ainsi qu’un autre membre du comité exécutif de l’organisation, seront «kidnappés» et envoyés à Tarfaya le 14 avril 1967. Le 12ème congrès aura finalement lieu à Rabat en juillet 1968.
Mais dès 1969, lors du 13ème congrès, les étudiants gauchistes, en particulier ceux du mouvement Ila Al Amame, commencent à gagner du terrain face aux étudiants socialistes. L’UNEM venait d’aborder une troisième phase de son existence.