A travers l’histoire mecquoise, la Ka’ba fut la cible d’innombrables attaques, même avant l’avènement de l’islam et jusqu’aux années 1970. Parmi celles-ci, l’incursion de 930 fut des plus violentes. Cette année-là, les Qarmates (903 – 1077) prirent le contrôle des lieux et le dépouillèrent de son portail et de sa pierre noire. Les dissidents chiites ismaélites retinrent ce butin pendant plus d’une décennie.
Tout commença au moment où le califat abbasside (750 – 1258) traversait une mauvaise passe. Guidé par Hamdan Qarmat Ibn al-Ach’ath, le mouvement des Qarmates profita de cette période pour se renforcer et gagner du terrain. Après s’être brièvement rallié aux Fatimides (921 – 1171), il se confirma davantage dans le Moyen-orient et prit le contrôle du Bahreïn. Les Qarmates assirent leur influence également en Mésopotamie, à Damas et en Irak, pour enfin s’ériger en véritable entité étatique.
Une incursion des plus meurtrières
A l’approche du pèlerinage musulman en 930, les hommes d’Ibn al-Ach’ath décidèrent de mener l’offensive sur la Ka’ba. L’émir de La Mecque aurait tenté vainement d’empêcher la réalisation d’un tel projet, en proposant à son interlocuteur de prendre toutes ses richesses à lui. Il fut finalement éliminé, de même qu’une large partie de sa famille.
Afin de réussir leur manœuvre à la Ka’ba, les Qarmates conduisirent Abû Tâhir Sulaymân (906 – 944) à la tête de l’armée. Dans le lieu saint, il tua alors nombre de fidèles. Cet épisode fut longuement relaté dans l’ouvrage «Les événements de l’Islam» de Hazem Khaled, rappelant comment les Qarmates «ordonnaient que les morts soient mis dans le puit de Zamzam». D’autres encore furent enterrés sur le lieu du décès.
Selon la même source, «le dôme de la source fut également détruit et le portail du lieu mis à terre, avant que les tissus couvrant la Ka’ba ne soient partagés entre les guerriers». Après quoi, Abû Tâhir Sulaymân s’empara de la pierre noire, se demandant «où seraient donc les oiseaux qui nous jetteraient des braises», en allusion à un châtiment invoqué dans les récits islamiques sur de précédentes attaques visant la Ka’ba.
Une reproduction de La Mecque puis une restitution
L’armée s’occupa de ramener ce butin dans son bastion en direction d’Aljish, dans la région arabique de Qatif. C’est là-bas que fut érigé un bâtiment circulaire, appelé également Ka’ba. Abû Tâhir Sulaymân imposa à tous les fidèles des Qarmates d’effectuer le pèlerinage dans ce nouveau lieu. Au cœur de cette Ka’ba qarmate, il plaça la pierre noire pillée et inclut des repères-clés, dont les appellations furent calquées sur celles de La Mecque, à savoir Arafa ou encore Mîna.
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Dans «Safarnameh», ouvrage du philosophe ismaélien, poète et théologien perse Nasir e Khosraw (1004 – 1088), ce dernier relata en détails l’un de ses voyages dans cette cité qarmate. Il expliqua notamment que le vol de la pierre noire était du à une croyance selon laquelle l’objet avait le pouvoir d’aimanter les fidèles. Sauf que la pierre «resta pendant des années en leur possession, sans attirer plus de fidèles que cela», écrivit l’auteur.
En effet, plusieurs années après cette razzia spectaculaire, la civilisation qarmate connut son déclin. Selon l’auteur des «Mystères de la Ka’ba», Ahmed Helmi Mustapha, les activités de ses hommes se limitèrent à couper les routes et à organiser des razzias moins importantes, en espérant se garantir quelques revenus. En 941, cette situation de crise les mena pratiquement à «céder la pierre noire à l’émir abbasside de Baghdad pour le prix de 50 000 dinars». Elle fut ensuite exposée dans une mosquée de Koufa, le temps de son inspection.
Par un jour de l’Aïd entre 950 et 951, les pèlerins de La Mecque furent surpris de voir le dirigeant qarmate Abu Mansur Ahmad restituer la pierre à son endroit initial, puis la fixer à l’aide de gypse. Quant aux Abbassides, ils renforcèrent la structure de manière à éviter un nouveau pillage de la pierre, tandis que les composantes de La Mecque qarmate furent partiellement détruites. Une petite partie en resta accessible pour servir à faire visiter les lieux.