En 2022, la France a accueilli 331 000 immigrés. Dans les métiers dits de tension, comme les aides à domicile, les ouvriers du BTP ou les agents de propreté, cette main-d’œuvre reste surreprésentée. Les travailleurs étrangers sont désormais représentés aussi dans d’autres métiers qualifiés, comme en témoigne le secteur de la médecine, où un cinquième des praticiens dans l’Hexagone est diplômé ailleurs. Rendu public ce lundi 12 mai, un rapport du think tank Terra Nova analyse cette tendance, à la lumière du vieillissement de la population, de la baisse de la natalité, ainsi que du ratio actif/inactif.
Dans son document, l’instance a par ailleurs souligné l’importance de «l’acceptabilité» de l’immigration, ainsi que la perception de l’immigration par les Français. Faisant référence à une enquête du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, elle considère que 73% des répondants «surestiment la part des immigrés dans la population», établie à 10,7% par l’Insee, mais perçue généralement comme «supérieure à 25%». A ce titre, les avis favorables optent plutôt pour une immigration «choisie», adaptée aux besoins économiques.
Le rapport de Terra Nova éclaire justement sur des prévisions révélatrices. Il estime que d’ici 2070, «seul le maintien d’un solde migratoire élevé pourra garantir une augmentation de la population active». «En étendant au-delà de 2040 les dynamiques démographiques à l’œuvre dans les scénarios précédemment développés, les projections de population active montrent une baisse générale à l’horizon 2070», indiquent les auteurs. La première hypothèse souligne ainsi qu’une entre le taux de fécondité de 1,8 et un solde migratoire nul persistant «aurait pour conséquence une dynamique démographique très négative».
«La population totale atteindrait 60,3 millions en 2070 contre 66,9 millions en 2040. La population de plus de 15 ans s’établirait à 53,2 millions, tandis que les plus de 64 ans seraient 20,7 millions», prévoit le think tank.
Combiner natalité et réponse aux demandes du marché du travail
Cette dynamique conduira inévitablement à «une baisse de la population active, qui n’atteindrait pas plus de 28 millions de personnes en 2070, contre 30,3 millions en 2040», affectant aussi le ratio de soutien démographique établi à 1,23 en 2020. Selon Terra Nova, celui-ci est susceptible de passer à 1,13 en 2040 et à 1,05 en 2070. «Avec ce scénario, en 2070, un inactif serait financé par un actif ou pour le dire autrement, un actif devrait faire vivre deux personnes : lui-même et un inactif», fait savoir la source.
Source : Terra Nova
Comme deuxième hypothèse «si la projection basée sur les données issues du scénario précédent conduit à une baisse de la population active à horizon 2070, ce serait également le cas pour celui reposant sur une hypothèse de solde migratoire bas (20 000 par an) et de taux de fécondité à 1,8». Ainsi, la population totale passerait de près de 68 millions en 2040 à 64 millions en 2070. Celle de plus de 15 ans chuterait de 57,5 millions en 2040 à 54,9 millions en 2070. Parallèlement, «la population de plus de 64 ans augmenterait légèrement (20 millions en 2070 contre 19 millions en 2040), tandis que la population active chuterait de 30,3 millions en 2040 à 27,7 millions en 2070». Par conséquent, «le ratio de soutien démographique se dégraderait encore plus rapidement que dans le scénario précédent».
Dans une troisième hypothèse indiquant une fécondité de 1,6 enfant par femme, avec le même solde migratoire de 20 000 par an, «les projections de population active se dégraderaient encore plus, pour atteindre 26,1 millions en 2070». Le rapport souligne des estimations, selon lesquelles «un différentiel de 0,2 point de fécondité pourrait conduire à un manque à gagner de près de 2,6 millions de personnes actives à horizon 2070». «Le ratio de soutien démographique serait également en baisse : il s’établirait à 0,99 contre 1.02 dans le scénario précédent. Dans ce cas, les inactifs seraient plus nombreux que les actifs…», avertit le rapport.
Dans une quatrième hypothèse, un solde migratoire de 120 000 personnes par an et une fécondité de 1,8 enfant par femme permettrait de pérenniser une population active qui s’établirait à 31,9 millions en 2070, contre 31,6 millions en 2040. «L’écart par rapport au scénario où le solde migratoire est nul et la fécondité de 1,8 serait de près de 3,8 millions de personnes actives supplémentaires. Le ratio de soutien démographique se dégraderait néanmoins pour s’établir à 1,09. Dans ce scénario, 33% de la population de plus de 15 ans aura plus de 64 ans», souligne-t-on encore.
A titre comparatif, «ce taux s’élève à 35% dans le scénario de solde migratoire bas avec fécondité de 1,8». Pour augmenter donc la population active d’ici 2070 et «contenir la dégradation du ratio de soutien démographique, avoir un solde migratoire élevé est nécessaire», insiste la même source.
Une tendance qui concerne les autres pays de l’UE
En considérant un taux de fécondité élevé à 2 et un solde migratoire élevé, un cinquième scénario indique par ailleurs que «la population active augmenterait, portée par la croissance de la population totale en France». Dans le détail, «le nombre d’actifs passerait de 31,7 millions à 33,6 millions entre 2045 et 2070. Dans le même temps, le ratio de soutien démographique serait constant sur la période 2050-2070 et s’établirait autour de 1,12».
C’est de là que le think tank a souligné l’objectif de 310 000 nouveaux immigrés par an pour stabiliser la population et maintenir le modèle social à horizon 2040 et 2050, considérant qu’«aucun des scénarios exposés jusqu’ici ne permet d’empêcher la dégradation du ratio de soutien démographique à long terme». Le rapport affirme ainsi que «l’immigration est nécessaire pour combler la baisse tendancielle de la population active et du ratio de soutien démographique», comme c’est le cas en Italie, en Allemagne ou en Espagne.
Source : Terra Nova
Jusque-là, le besoin d’immigration supplémentaire avant la réforme des retraites de 2023 a été d’au moins 120 000 personnes par an, afin de répondre à la baisse de la population active et du ratio de soutien démographique, sans pour autant empêcher une dégradation. Avec la tendance actuelle et les projections à venir, le think tank souligne le de «515 380 personnes actives entre 2025 et 2040 pour stabiliser le ratio de soutien».
Pour autant, cette tendance n’est pas propre à la France. Les auteurs rappellent que «beaucoup de pays européens vont connaître, voire connaissent déjà, des situations analogues». Sur les 27 pays de l’Union européennes, 21 ont déjà un solde naturel négatif et 6 à 7 pays perdent de la population, à l’image de la Hongrie, de la Grèce, de la Bulgarie, de la Pologne, de la Slovaquie et de l’Italie. Sur l’ensemble, 15 de ces Etats «ne doivent leur croissance démographique qu’à l’immigration», dans un espace où le taux d’emploi a atteint 74,6% et le taux de chômage 6,2% en 2022.
Au sein de l’UE, 38 professions sont par ailleurs «en forte demande de main-d’œuvre, notamment dans les secteurs santé, hôtellerie, construction et services, technologies de l’information et de la sécurité, ainsi que dans le champ des STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques)», avec des besoins d’immigration de travail identifiés.