Hier, dimanche, le régime socialiste arabe du Parti Baas, qui gouvernait la Syrie depuis 1963, est tombé avec l’entrée de l’opposition armée dans la capitale, Damas, et la fuite de l’ancien président Bachar al-Assad avec sa famille en Russie.
Le Parti Baas arabe socialiste est arrivé au pouvoir en Syrie par un coup d’État en 1963. Mais Hafez al-Assad, le père de Bachar al-Assad, prend le pouvoir lors d’un coup d’État interne au parti en 1970. Il devient président de la Syrie en 1971, jusqu’à sa mort en 2000.
Sur toute cette période, les relations avec le Maroc se sont caractérisées par une certaine froideur, voire même une hostilité. Les dirigeants de la Syrie (Hafez et Bachar al-Assad) n’ont que rarement été en bons termes avec le défunt roi Hassan II et le roi Mohammed VI.
L’hostilité était idéologique. Le Parti Baas était connu pour son allergie envers les monarchies arabes, s’appuyant sur son idéologie nationaliste arabe et socialiste, à l’instar de l’Irak, l’Egypte, la Libye ou l’Algérie.
Le défunt Abdel Halim Khaddam, ancien vice-président de Hafez al-Assad et son ministre des Affaires étrangères pendant de nombreuses années, a déclaré dans plusieurs médias que les relations entre la Syrie et le Maroc ont connu un gel dans les années 1960, notamment face à l’influence baasiste et nassériste.
Khaddam a admis le soutien de la Syrie à l’opposition marocaine «à travers un noyau du Parti Baas travaillant secrètement». Il a également confirmé le soutien d’Assad aux étudiants marocains affiliés aux courants de gauche, leur accordant des bourses dans les universités de Damas.
Amélioration des relations
Malgré l’hostilité syrienne envers le Maroc, le régime de Hassan II avait promis à Khaddam, qui a visité le Maroc en mars 1972, d’envoyer des soldats en Syrie si elle engageait une guerre contre Israël.
Khaddam a expliqué que bien que le Maroc connaissait des tensions politiques et essayait de gérer la phase post-coup d’État militaire, Hassan II s’était engagé à tendre la main à Damas. «L’image que nous avions du roi Hassan II était effrayante, d’un roi qui réprime et tue, mais après m’être assis avec lui, je l’ai trouvé un homme moderne et profond, montrant une forte émotion envers la Syrie et désireux de la soutenir.»
Ce soutien a beaucoup marqué Khaddam qui garde de cette rencontre un souvenir ému : «Je ne pouvais pas mesurer ma joie en entendant ses paroles, c’est comme si j’avais décroché une étoile du ciel. Hassan II allait envoyer des forces pour soutenir la Syrie, alors que nous le combattions jour et nuit.»
Lors de la réunion, Hassan II a déclaré que le Maroc avait reçu des coups d’Assad, mais le Royaume guérirait de ses blessures. Car la cause arabe est au-dessus de toutes les considérations, soulignant que le Royaume est le pays le plus éloigné de la Syrie géographiquement, mais le plus proche ethniquement et émotionnellement, car le lien alaouite unit les deux peuples.
Le Maroc a été le premier pays à envoyer ses forces en Syrie, avec des soldats marocains arrivant à Damas plusieurs mois avant le début de la guerre, placés sous le commandement de l’armée syrienne.
Le 22 février 1972, Hassan II a prononcé un discours passioné aux Marocains, disant : «Mon cher peuple, nous avons décidé, comme je vous l’ai dit, d’envoyer dès le début du mois de mars des centaines et des centaines de membres de nos forces armées et des dizaines et des dizaines de nos équipements de guerre à travers l’Algérie et son port vers la Syrie soeur. Nous souhaitions prononcer ce discours en nous adressant à tous les membres de notre peuple pour qu’ils se portent volontaires, sachant que dans chaque maison, peu importe ce que dit l’orateur ou écrit l’écrivain ou ment le menteur, le sentiment des Marocains est un sentiment unifié envers les causes arabes.»
Le 6 octobre 1973, la guerre a éclaté, et les soldats marocains ont combattu vaillamment. Mais l’armée syrienne qui devaient assurer un soutien aérien a fait défaut, laissant les avions de guerre israéliens les décimer.
Retour de la tension
Après cette parenthèse, les relations se dégradent à nouveau. La Syrie devient le deuxième État arabe à reconnaître la «République arabe sahraouie démocratique (RASD) en avril 1980.
En juillet 1986, les relations se sont davantage détériorées après que Hassan II a reçu l’ancien Premier ministre israélien Shimon Peres à Ifrane. Les leaders syrien et libyen ont formé un front contre Hassan II, publiant une déclaration contre sa rencontre avec le responsable israélien.
Le roi Hassan II a répondu que le Maroc n’aurait pas prêté attention aux déclarations émotionnelles de Hafez al-Assad et du colonel Kadhafi si elles avaient été prononcées verbalement dans un moment d’émotion contre le Maroc, mais ils avaient rédigé une déclaration, indiquant «la présence de mauvaises intentions et un désir d’escalade contre le Maroc».
A la fin des années 1980, la situation s’est améliorée entre Hafez al-Assad et le roi Hassan II, et l’ancien président syrien faisait partie des dirigeants arabes présents au sommet arabe de 1989 accueilli par le Maroc.
En octobre 1992, Hassan II a visité la Syrie, mais Hafez al-Assad fait une entorse au protocole prévu, envoyant son ministre des Affaires étrangères recevoir le roi à l’aéroport. Agacé, le souverain marocain préfera débuter sa visite en se rendant au cimetière des martyrs dans les environs de Damas pour rendre hommage aux âmes des martyrs marocains morts pendant la guerre du Golan en défendant les terres syriennes abandonnées par les forces armées de Hafez al-Assad.
Le Printemps arabe… Retour à la case départ
Malgré cet accro, les relations ont continué à évoluer positivement entre les deux pays, jusqu’en mars 2011, et la révolte des Syriens. Cette volonté populaire de renverser le régime de Bachar al-Assad, s’inscrivait dans la dynamique régionale avec le Printemps arabe. Le Maroc décide de soutenir le peuple syrien contre son président prêt à tout pour rester au pouvoir.
Ainsi en décembre 2012, le Maroc organise la « Conférence des amis du peuple syrien » en soutien à l’opposition syrienne, culminant avec la reconnaissance de la « Coalition des forces de la révolution et de l’opposition syrienne » comme «seul représentant légitime du peuple syrien et comme un parapluie organisationnel unissant les factions de l’opposition syrienne».
Le Maroc s’est également engagé à travers ses représentants aux Nations Unies dans plusieurs joutes verbales avec des diplomates syriens, dans divers organes de l’ONU.
Le Maroc faisait également partie des pays arabes qui se sont opposés au retour du régime de Bachar al-Assad à la Ligue arabe après que son adhésion ait été gelée en 2011, présentant plusieurs conditions y compris la fin du soutien de Damas au Front Polisario et la reconnaissance de l’intégrité territoriale du Maroc.
Ces longues décennies d’inimitié auront vu leur épilogue ce dimanche. En quelques jours, l’opposition syrienne a mené une offensive militaire depuis le nord du pays, atteignant Damas, et à renverser le régime de la famille Assad qui avait gouverné le pays pendant plus de cinq décennies.