L’onde de choc regagne peu à peu les territoires. En Espagne, deux régions ont successivement annoncé leur retrait du Programme d’enseignement de la langue arabe et de la culture marocaine (PLACM), soutenu par le ministère espagnol de l’Education et la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger (MRE). Avec cette rentrée scolaires, les élèves à Madrid et à Murcie ne bénéficieront plus de cet apprentissage, qui fait pourtant l’objet d’un cadre étatique entre le Maroc et le royaume ibérique. A rebours d’une trentaine d’années de coopération bilatérale fructueuse en la matière, la décision a pris effet sous la pression du Parti populaire (PP) et de la formation d’extrême droite Vox au niveau local.
Ce revers a été rendu possible, puisque l’intégration ou non de certaines unités d’apprentissage font partie des prérogatives des régions en Espagne. C’est ce que souligne auprès de Yabiladi l’ex-député socialiste au Parlement catalan (PCS) et ex-député du Congrès espagnol (PSOE), Mohamed Chaïb Akhdim. Premier élu d’origine marocaine à avoir siégé dans l’Hémicycle du royaume ibérique, il préside actuellement la Fondation Ibn Battuta à Barcelone, où le PLACM fait toujours preuve d’efficacité.
«Notre organisation propose aussi des cours d’arabe, avec une professeure, mais il est primordial que cet apprentissage reste rattaché principalement à l’école publique et à l’enseignement conventionnel.»
Mohamed Chaïb Akhdim
Cette importance est également mise en avant par le sociologue, spécialiste en migration et journaliste espagnol Paulino Ros. Basé à Murcie, le chercheur consacre la majeure partie de son travail de proximité à cette région, connue pour accueillir une importante communauté marocaine de diverses générations. C’est particulièrement pour cette raison qu’il estime auprès de notre rédaction que «la décision du retrait du PLACM est extrêmement inquiétante, dangereuse et injuste».
Un cadre de partenariat à renforcer
Mohamed Chaïb Akhdim souligne que «beaucoup de déclarations dangereuses ont d’ailleurs été entendues au sein de l’extrême droite», dont des membres ont «associé le discours anti-migration marocaine au financement même du PLACM par le Maroc». Si les propos polémiques se sont enchaînés, l’ancien député souligne que la partie marocaine de ce partenariat «doit également se saisir de la question, afin d’éclairer sur le devenir de l’apprentissage dans le cadre de ce programme».
Auteur de l’étude «Les Marocains qui ont changé Torre Pacheco en 40 ans (1979-2019)», Paulino Ros indique de son côté qu’en Espagne, encore plus à Murcie, l’importance du PLACM «ne réside pas uniquement dans le fait qu’il constitue un outil pour les élèves qui apprennent la langue et la culture de l’un de leurs deux pays, dans un cadre éducatif conventionnel». «C’est aussi un moyen pour l’école de tisser les liens avec des milliers de familles résidentes, à travers les enfants. Il s’agit d’un outil pédagogique qui entretient une dynamique interactive entre l’environnement de l’apprentissage, l’apprenant et son environnement familial à lui, avec une dimension pédagogique de sociabilisation et d’intégration primordiale», explique-t-il.
En l’espèce, Mohamed Chaïb Akhdim estime qu’«il est plus que jamais temps de définir clairement si cet accord bilatéral doit continuer à constituer le cadre d’apprentissage linguistique et culturel public que nous voulons, ou si ce même programme sera relégué à la gestion des associations prêtes à l’adopter et à le mettre en œuvre tel qu’il est aujourd’hui». Dans ce contexte, Paulino Ros souligne le caractère fédérateur nécessaire à conserver à travers le PLACM.
Selon le chercheur, la communauté marocaine de Murcie n’a pas été la seule à être «choquée de voir une telle mesure d’annulation prendre effet», au sein d’un climat politique déjà délétère.
«Nous faisons partie du même tissu social ici, à Murcie. Les familles sont composées de natifs en Espagne, de natifs au Maroc et de binationaux. Depuis plusieurs mois, le sentiment général est que le PP et Vox font des attaques systématiques et quotidiennes contre les Marocain – et contre le gouvernement Sánchez – leur cheval de bataille.»
Paulino Ros
Murcie : 10% d’habitants d’origine marocaine, 0% de PLACM
Dans le même sens, Paulino Ros déclare que «l’incompréhension demeure encore plus quant aux raisons objectives de la pression du PP-Vox pour retirer le PLACM, lorsqu’on sait que depuis son entrée en vigueur, ce programme a toujours bien fonctionné et a fait ses preuves, au-delà de la composante communautaire en elle-même». «Les Marocains comme les Espagnols accordent une grande importance à cet outil, qui bénéficie de surcroît d’une large opinion favorable», affirme le sociologue et journaliste à Yabiladi.
«Murcie compte une population de 120 000 de citoyens qui portent la nationalité marocaine, soit près de 10% de la population régionale et dont la majorité écrasante et liée à la migration ouvrière. On ne peut pas dénigrer un programme de politique publique simplement pour amplifier les attaques contre une communauté», analyse Paulino Ros. Par ailleurs, il fustige «des manœuvres électoralistes au service de l’agenda de l’extrême droite, à l’approche des échéances à venir».
Selon le chercheur, «c’est ce que fait l’alliance PP-Vox au niveau territorial, en construisant un discours biaisé sur les spécificités culturelles et sur une idéologie non seulement hostile à la migration d’ordre général, mais qui rejette surtout la composante marocaine, composante sociétale conséquente dans des régions comme Murcie».
Le poids de l’extrême droite sur les régions
Paulino Ros estime par ailleurs que les alliances de droite profitent en partie de la nature même du système éducatif, «pour contrecarrer une vision politique inclusive globale et nationale». «Elles distillent leur discours toxique à dose quotidienne, à travers leurs relais médiatiques», décrit-il. Pour l’heure, des organisations de la société civile «se mobilisent contre les mesures que le PP-Vox font ou veulent faire passer au niveau local».
Malgré cela, le sociologue reste dubitatif sur les effets immédiats, si cette dynamique n’est pas renforcée et accompagnée de démarches politiques. «Les partis de gauche prennent également des initiatives au niveau local pour répondre aux initiatives de l’extrême droite, que ce soit le PSOE, Podemos ou diverses autres formations», nous déclare Paulino Ros.
Par le biais d’ONG et d’organisation syndicales, des avocats étudient quant à eux les suites juridiques possibles à donner à des mesures comme le retrait du PLACM, par rapport aux principes constitutionnels. «Mais il faut garder à l’esprit que le temps de la justice est long et qu’une éventuelle annulation pourrait prendre même deux ou trois ans», nuance le chercheur.