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Les Toledano, émissaires juifs de Moulay Ismail


En mai 1688, Joseph Toledano, un Marocain de confession juive, présente ses lettres de créances aux Etats généraux des Pays-Bas en tant qu’ambassadeur officiel de l’empire chérifien. Il devient alors ambassadeur du sultan alaouite Moulay Ismail dans ce pays. Depuis, plusieurs personnes de cette même famille occuperont des postes d’envoyés spéciaux par la cour du sultan de l’empire chérifien. Une success story qui se poursuivra au-delà des années 1717. L’histoire retient que durant les premières décennies du règne de Moulay Ismail, les juifs marocains se distingueront, occupant ainsi des postes de ministres, de conseillers du sultan et d’émissaires.

Les influents Maimran, Toledano et Benattar de l’ère de Moulay Ismail

Avant son couronnement à Meknès, 14 avril 1672, Moulay Ismail occupait le poste de délégué de son frère, le sultan Moulay Rachid, à Fès. Les juifs de l’époque étaient majoritairement des commerçants. Parmi eux, un certain Yossef Joseph Maimran à qui Moulay Ismail doit en quelque sorte son accession au trône alaouite. A en croire cette version de l’histoire relayée par le blog Moreshet-morocco, Yossef (ou Joseph) Maimran serait le premier à informer Ismail, alors gouverneur, de la mort de son frère à Marrakech. Il lui prête même «l’argent nécessaire pour devancer tous les autres prétendants au trône», poursuit-on de même source.

Une illustration des ambassadeurs du Maroc avant le protectorat. / Ph. ZamaneUne illustration des ambassadeurs du Maroc avant le protectorat. / Ph. Zamane

Il sera donc nommé à la cour du sultan et même après son décès, des années plus tard, et en guise de reconnaissance, Moulay Ismail appelle son fils, Abraham Maimran pour occuper le poste d’homme fort de la cour du sultan et son conseiller le plus écouté en matière de politique étrangère, créé auparavant pour son père.

«Sûr de sa force et de son pouvoir, Moulay Ismail aspira a ouvrir son pays, dont le commerce était alors limité à la seule Hollande, plus largement à toute l’Europe. Méfiant envers les élites musulmanes frondeuses de Fès, il s’appuya pour réaliser ses ambitions mercantiles sur les trois grandes familles juives : Toledano, Maimran et Benattar.»

Les deux premières, partageant non seulement le pouvoir mais également des liens familiaux, s’occuperont de la gestion des dossiers de la politique étrangère de Moulay Ismail. Des relations focalisées d’abord sur les Pays-Bas, avec lesquels le royaume chérifien avait déjà conclu un traité. Ainsi, «les talents réunis de deux familles (Toledano et Maimran, ndlr) font merveille, et à la bonne heure Moulay Ismail accepte de reconduire le traité de paix et de commerce de 1684», commente l’historien Joseph Tolédano dans son livre «Le temps du Mellah : une histoire des juifs au Maroc racontée à travers les annales de la communauté de Meknès» (Edition Ramtol, 1982).

Une initiative d’ouverture des négociations qui venait des États généraux des Pays-Bas. «Au début de l’année 1682, Isacq Bueno de Misquitta apporta au sultan (Moulay Ismail, ndlr) une lettre et divers cadeaux de la part des Pays-Bas lui accordant la promesse de conclure un traité pour 600 quintaux de poudre et une belle voiture», raconte l’historien Haim Zeev Hirschberg dans «A history of the Jews in North Africa : From the Ottoman conquests to the present time» (Editions Brill, 1981).

Portrait de Moulay Ismail. / DRPortrait de Moulay Ismail. / DR

Un premier Toledano aux Etats généraux des Pays-Bas

A Meknès, Moulay Ismail désigne comme négociateur Joseph Maimran puis dépêche aux Pays-Bas un certain Joseph Toledano, fils d’un autre juif membre la cour du sultan : Daniel Toledano. Sa mission ? «Convaincre les autorités néerlandaises de ratifier une deuxième partie du traité, notamment les articles 7 et 9», raconte Haim Zeev Hirschberg.

«Joseph Toledano a été choisi en raison de la position influente de Joseph Mairman. Sa mission auprès des États généraux sera couronnée de succès. Dans les dernières étapes des négociations, il sera rejoint par Jacob Sasportas, qui sera lui chargé de clarifier certains points.»

Extrait du livre «A history of the Jews in North Africa : From the Ottoman conquests to the present time»

Le traité sera ratifié en mai 1683, grâce notamment à la contribution d’Abraham Maimran ayant rédigé les correspondances concernant le traité. Après la signature du traité aux Pays-Bas, les dons promis ont été envoyés dès octobre 1683.

Au milieu de l’année 1684, Haïm Toledano, frère de Joseph, et le consul des Pays-Bas au Maroc, Heppendorp ramènent le traité à Meknès pour obtenir la ratification finale de Moulay Ismail, poursuit Haim Zeev Hirschberg. Ils seront reçus en audience le 16 août 1684.

Le 12 mars 1685, Joseph Toledano fait ses adieux aux États généraux des Pays-Bas, «mais il est resté un peu plus longtemps dans le pays, probablement pour aider à rédiger un accord pour le rachat des captifs ; les pirates de Salé avaient en effet saisi 8 navires hollandais, le nombre de captifs néerlandais avait donc considérablement augmenté».

Le Mallah, quartier juif, de la ville de Fès. / Photo d'illustrationLe Mallah, quartier juif, de la ville de Fès. / Photo d’illustration

Les perspectives commerciales entre les deux pays s’améliorent et le binôme Heppendorp et Haïm Toledano, chapeauté par Joseph Toledano, réussit sa mission de pousser les Hollandais à fournir au Maroc des fusils et des munitions.

«Au début de 1688, les États généraux envisagèrent la nomination d’un consul à Salé pour succéder à Heppendorp, qui avait l’intention de démissionner, mais qui continua à exercer ses fonctions. En mai de la même année, Joseph Toledano présenta ses lettres de créances aux États généraux en tant qu’ambassadeur du royaume chérifien.»

Extrait du livre «A history of the Jews in North Africa: From the Ottoman conquests to the present time»

Haïm, Moïse et d’autres Toledano en tant qu’émissaires

Au début des années 1690 par contre, la tension montera entre les deux pays. «La cause probable était l’interruption de la fourniture d’armes et de munitions par les Hollandais», rapporte l’historien. Haïm Toledano est alors dépêché aux Pays-Bas, où son frère Joseph était ambassadeur, afin de «sonder les intentions des Etats généraux quant aux munitions et offrir du nitrate de potassium en retour».

En 1692, «il a été convenu avec Haïm de prolonger le traité de 1684. En signe de bonne volonté, Ismail libère quelques captifs hollandais pris sur un navire français».

Dans son livre «Salé et ses corsaires, 1666-1727» (Editions Publication Univ Rouen Havre, 2008), l’historienne Leïla Maziane rapporte, quant à elle, qu’en 1692, Haïm sera chargé aussi, par Moulay Ismail, d’occuper le poste d’envoyé spécial de l’empire chérifien en Angleterre. «Parlant couramment l’espagnol, Haïm Toledano jouit d’une influence et d’un prestige exceptionnels», note-t-elle.

Des juifs marocains. / Photo d'illustrationDes juifs marocains. / Photo d’illustration

Le rôle des Toledano ne s’arrêtera pas à ce niveau. En 1698, «Moïse Toledano arrive aux Pays-Bas ; il avait été envoyé pour convaincre les Etats-généraux de l’honnêteté des intentions de [Moulay] Ismail envers leur pays», raconte Haim Zeev Hirschberg. «Beaucoup des résolutions des États généraux dans les années 1699 et 1700 concernent les affaires de Moïse Toledano et d’Abraham Mairman avec les Pays-Bas et leurs réclamations financières ; ils sont conservés dans un encombrant dossier intitulé « Documents des négociations avec l’ambassadeur du Maroc, 1699″», précise l’historien.

«Moïse Toledano a été reçu en audience par les Etats-généraux en juillet 1699, et sur sa proposition, une commission spéciale a été nommée pour enquêter sur la justice des revendications. Tandis que les délibérations de la commission étaient en cours, Toledano s’occupa de la fabrication des fusils. En fin de compte, sa demande sera acceptée.»

Extrait du livre «A history of the Jews in North Africa : From the Ottoman conquests to the present time»

L’historien Nabil Matar rapporte, de son côté, qu’en 1717, Moulay Ismail dépêche un autre Toledano en Espagne. Le sultan alaouite sera ensuite «choqué de découvrir que l’ambassadeur juif et sa suite n’étaient pas autorisés à débarquer et à faire des affaires» en Espagne, raconte l’écrivain dans son ouvrage «L’Europe à travers les yeux arabes, 1578-1727» (Éditions Columbia University Press, 2009). «Il ignorait que, si les Juifs étaient libres de vivre et de travailler en Afrique du Nord, ils n’étaient même pas autorisés à accoster en Espagne», alors terre chrétienne, conclut-il.





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