À Taznakht, village niché dans le sud du Maroc, le tissage de tapis demeure une pratique ancestrale, mêlant art et survie économique. Pourtant, cette tradition, transmise de mère en fille, peine à résister face à des défis économiques et sociaux croissants, rapporte l’AFP.
Ijja Benchri, 60 ans, a commencé à tisser à l’âge de 11 ans, inspirée par les femmes de sa communauté. Assise devant un métier à tisser traditionnel, elle raconte : «J’ai appris petit à petit, jusqu’à en faire ma vie.» Comme elle, de nombreuses femmes de cette région montagneuse perpétuent cet héritage, connu pour ses tapis colorés, emblématiques de la tribu des Aït Ouaouzguite.
Les tapis de Taznakht, fabriqués à partir de laine de mouton de qualité et de teintures naturelles, étaient autrefois prisés pour leur authenticité. Mais les teintures industrielles, moins coûteuses, ont largement remplacé les pigments traditionnels, modifiant le processus de fabrication. «La création d’un tapis peut prendre jusqu’à quatre semaines et reflète les émotions de la tisseuse», explique Safia Iminotras, responsable d’une coopérative locale.
Cependant, ces œuvres, souvent vendues pour quelques centaines de dirhams aux intermédiaires, se retrouvent à des prix jusqu’à dix fois supérieurs dans les bazars de Marrakech ou sur des plateformes en ligne, où elles peuvent atteindre 6 000 euros. Une situation dénoncée par les tisserandes, qui se sentent exploitées. «Les intermédiaires imposent leurs prix, et nous n’avons pas le choix», regrette Mme Benchri.
Face à ces inégalités, des initiatives émergent, comme l’ouverture d’un espace d’exposition à Taznakht, destiné à réduire le rôle des intermédiaires et à promouvoir la vente directe. Des formations en marketing digital y sont également proposées pour aider les tisseuses à accéder à de nouveaux marchés.
Malgré ces efforts, la transmission de cet art semble compromise. De nombreuses jeunes filles préfèrent se tourner vers des emplois plus lucratifs, tandis que la concurrence des tapis synthétiques menace la viabilité économique de la tradition. «Si ce patrimoine n’est pas valorisé, il risque de disparaître», alerte Safia Iminotras. Une perspective inquiétante pour cette activité qui, au-delà de sa dimension culturelle, constitue une source de revenu essentielle pour des centaines de familles marocaines.