L’Espagne a commémoré la semaine dernière l’anniversaire de la guerre meurtrière du siècle passé, connue sous le nom de Guerre civile espagnole. Durant trois ans, les Nationalistes, partisans du coup d’Etat de juillet 1936, se sont battus contre les Républicains, partisans de la Seconde République espagnole. Au Maroc, c’est surtout l’occasion de se rappeler des «Regulares», connus aussi en Espagne sous le nom de «Moros» depuis la guerre du Rif. Ces soldats marocains rifains ayant combattu aux côtés du Général Francisco Franco. Recrutés à Chefchaouen, Al Hoceima, Tétouan, Nador, leur nombre varient entre 62 000 et 80 000 Marocains alors que plusieurs sont toujours inhumés en terre espagnole.
Guerre du Rif, prélude d’un enrôlement miliaire
Nous sommes en 1921. Abdelkrim Al Khattabi, figure emblématique de la lutte contre le protectorat espagnol au nord du Maroc, vient d’écraser l’armée coloniale à la bataille d’Anoual. Ce sont près de 14 000 soldats espagnols qui trouvent la mort et un millier à être capturés et emprisonnés. Une victoire triomphale de troupes classiques qui ont réussi à vaincre une armée européenne qui les dépasse en nombre et en arsenal militaire. C’est alors qu’Abdelkrim annonce la «République du Rif» dès février 1923, raconte le professeur d’histoire-géographie Mehdi Benchabane dans son livre «L’Émir Abdelkader face à la conquête française de l’Algérie (1832-1847)» (Editions Edilivre, 2014).
Toutefois, la France, déjà présente en Algérie et fraîchement installée comme force coloniale au Maroc, voit en cette annonce une réelle menace. C’est alors que le résident général Hubert Lyautey décide, en 1924, d’aider l’Espagne dans sa guerre contre les insurgés au Rif. La combinaison des armées de deux forces coloniales entrainera la défaite du leader rifain et ses troupes. L’Espagne met la main sur le Rif dans sa totalité et bombarde, notamment avec le fameux gaz moutarde, plusieurs régions pour en finir pour de bon avec toute résistance.
Ce que l’histoire oublie de mentionner, c’est que le coup fatal à la République du Rif permettra à Franco de devenir général, haut-commissaire au Maroc dès 1934 puis chef d’Etat-major de l’armée en 1935. A quelques mois du déclenchement de la guerre civile en Espagne, il est même nommé gouverneur militaire des Îles Canaries en avril 1936. Un poste qu’il quittera le 17 juillet en direction du Rif, sous contrôle espagnol, pour participer au putsch et prendre le commandement des troupes. D’ailleurs, il transitera par Casablanca où il laisse sa femme et sa fille. Il annonce donc le coup d’Etat aux troupes espagnoles stationnées au Maroc. Les premiers soldats rifains vont toucher le sol espagnol dès juillet 1936. Le 20 juillet 1936, l’échec du coup d’État plongera l’Espagne, coupée en deux, dans une violente guerre qui durera trois ans.
Des troupes «marocaines» défilent à Madrid devant Franco, vainqueur de la guerre civile espagnole en mai 1939. / Ph. Berliner Verlag – Dpa-Zentralbild
Les «Moros», une «arme psychologique» contre les Républicains
En manque d’hommes et de moyens pour sa conquête du pouvoir, le général Franco part dans le Rif, occupé par l’Espagne, pour enrôler les jeunes hommes rifains. En juin dernier, France TV Info a consacré un article aux soldats venus du Rif pour combattre dans les rangs de Franco. «Des hommes encadrés par des officiers espagnols qui vont être envoyés sur le sol espagnol dès juillet 1936, grâce notamment aux moyens aériens fournis par Hitler et Mussolini». Pour le média français, «les historiens sont d’accord pour affirmer que Franco n’aurait jamais réussi à instaurer sa dictature s’il n’avait pas reçu un coup de main précieux des ‘Moros’, pour écraser les ‘rouges’ et autres républicains». France TV Info cite ensuite le témoignage de Mhamed Lachkar, le petit-fils d’un de ces hommes.
«Les troupes marocaines ont non seulement été utilisées comme chair à canon, mais aussi comme une arme psychologique contre les Espagnols qui refusaient de faire allégeance à l’armée de Franco. Chaque ‘caïd’ de l’administration coloniale (dans le Rif, ndlr), en charge d’une tribu, a pour mission obligatoire de recruter le maximum de fiers à bras. Dès les premières semaines, des milliers de Marocains vont être recrutés sur place : 15 000 rien qu’en octobre 1936 et 35 000 dès mars 1937.»
Dans son œuvre «Los Moros que trajo Franco» (Editions Barcelona RBA, 2006), citée par Eric Storm et Ali Al Tuma dans leur livre «Colonial Soldiers in Europe, 1914-1945 : ‘Aliens in Uniform’ in Wartime Societies» (Editions Routledge, 2015), Maria Rosa de Madariaga explique comment ces dizaines de milliers de soldats marocains ont servi aux côtés des nationalistes de Francisco Franco. Elle évoque notamment la misère et la pauvreté dans le Rif au lendemain de la guerre entre insurgés et forces espagnoles. «Les motifs d’enrôlement étaient avant tout économiques : gagner un salaire et échapper à la misère. Néanmoins, il y avait parfois des signes de réticence ou même de résistance au recrutement», écrit-elle.
Afin d’encourager ces soldats, «une série de services et d’installations ont été mis en place spécifiquement pour ces Marocains : des cimetières et des locaux pour leur divertissement et distraction». Maria Rosa de Madariaga cite même des «danseuses apportées du Maroc» ou encore des «maisons closes avec des femmes marocaines». Franco a même choisi une garde maure «cérémonieusement habillée et qui était chargée de sa propre sécurité et d’une variété de devoirs honoraires».
Un cimetière à Madrid abritant les corps des soldats maures de Franco. / Ph. El Independiente
Mais Franco leur aurait vendu du rêve
Franco leur aurait même promis : «Vous retournerez dans vos villages avec des chaussons en or !», poursuit pour sa part France TV Info.
Durant la guerre, les Marocains ont été «le fer de lance de l’armée nationaliste» et «symbole des exactions commises par l’armée de Franco contre les Républicains». France TV Info cite à cet égard leur présence «immortalisée dans la chanson symbole de la guerre civile, Ay Carmela», mais aussi dans «quelques cimetières [abritant] anonymement les corps des quelque 20 000 maures de Franco tombés en terre espagnole».
Le média revient notamment sur le fait que Franco aurait vendu du rêve à ces soldats marocains. «A la fin de la guerre civile, les soldats venus du Maroc ont dû regagner leur région avec une pension de ‘5 euros par mois’», rapporte le média français, citant Driss Delback, le réalisateur espagnol derrière «Los Perdedores», le film sur ces combattants.
Ce n’est qu’en 1965 qu’une loi en Espagne a donné une réalité à leur existence : «L’Espagne ne peut pas oublier la performance exceptionnelle (du personnel marocain) dans les campagnes d’Afrique et de la guerre de libération. Par conséquent, il a été étudié la façon de résoudre définitivement la situation de ces employés, maintenant citoyen d’un pays ami», énonce le texte qui instaure une sorte d’indemnisation pour ces combattants. Une indemnisation restée dérisoire et limitée.