Le samedi 6 octobre 1973, correspondant au 10 du Ramadan 1393, marque une date historique. Ce jour-là, l’intervention des soldats arabes, dont les Marocains, a ébranlé le mythe de l’invincibilité de l’armée israélienne, qui avait jusque-là triomphé des armées arabes en 1948, 1956 et 1967.
Durant la guerre des Six Jours, du 5 au 10 juin 1967, les armées arabes avaient subi une cuisante défaite, entraînant la perte du Sinaï, de Gaza, du Golan, de la Cisjordanie et d’Al Qods au profit d’Israël. En réponse, les armées syrienne et égyptienne ont entamé des préparatifs pour une nouvelle confrontation, déterminées à récupérer les territoires perdus face à un État hébreu soutenu par les États-Unis.
Du 29 août au 3 septembre 1967, le sommet de la Ligue arabe s’est tenu à Khartoum, capitale soudanaise. La résolution adoptée, connue sous le nom de « Résolution de Khartoum », a réaffirmé trois « non » : «non à la paix avec Israël, non à la reconnaissance d’Israël, non à toute négociation avec Israël». Les signataires incluaient l’Égypte, la Syrie, la Jordanie, le Liban, l’Irak, le Maroc, l’Algérie, le Koweït et le Soudan.
En avril 1973, six mois avant le déclenchement de la guerre, l’Irak a envoyé une vingtaine d’avions britanniques Hawker Hunter en Égypte, accompagnés de leurs pilotes. Le président égyptien Anouar el-Sadate a alors sollicité le soutien des pays arabes, dont le Maroc.
Hassan II face à Israël
Dans son ouvrage «Mémoires de la guerre d’Octobre», le général Saad el-Din Mohamed el-Husseiny el-Shazly, chef d’état-major des forces armées égyptiennes de 1971 à 1973, évoque ces préparatifs. Il relate ses déplacements et rencontres avec les dirigeants arabes.
Considéré comme l’architecte de la guerre d’Octobre, el-Shazly raconte sa rencontre avec le roi Hassan II du Maroc, le 9 février 1972 à Rabat, en présence du général Mohamed Oufkir et du chef du protocole royal.
«Le roi a écouté mes propos, puis a réagi : ‘Les forces armées marocaines sont à votre disposition, et tout le Maroc sera fier de voir nos troupes combattre pour la cause arabe.’ J’ai répondu : ‘Majesté, j’aimerais inspecter vos unités pour évaluer leur entraînement et leurs capacités.’ Le roi m’a assuré que je pourrais visiter ‘n’importe quelle unité’ dès le lendemain matin. ‘Après vos visites, revenez me voir et dites-moi vos besoins. Prenez aussi le temps de visiter notre pays’, a-t-il ajouté.»
Saad el-Din Mohamed el-Husseiny el-Shazly
Vingt jours avant le début de la guerre, el-Shazly est retourné au Maroc. «J’ai quitté l’Algérie pour le Maroc le 17 septembre, arrivant à Casablanca où l’ambassadeur d’Égypte m’attendait. Nous avons rejoint Rabat, accueillis par le colonel Ahmed Dlimi. Je lui ai confié que je venais pour une mission secrète et urgente, souhaitant éviter toute médiatisation», écrit-il.
El-Shazly a informé le roi de la décision d’entrer en guerre, sans préciser la date. «Je lui ai demandé s’il pouvait envoyer des troupes supplémentaires pour soutenir le front égyptien. Il a répondu : ‘Frère el-Shazly, c’est la meilleure nouvelle de ma vie. Nous participerons à la bataille avec plus de forces que celles promises. Nous avons déjà envoyé une brigade de chars en Syrie et sommes prêts à envoyer une brigade d’infanterie sur le front égyptien.’»
El-Shazly a suggéré que la brigade soit prête à partir le 1er octobre. Le roi a demandé plus de temps pour réorganiser les troupes et leur accorder des congés pour le Ramadan, ce à quoi el-Shazly a acquiescé pour ne pas révéler la date exacte du début des hostilités.
Le début de la guerre
Sur le front syrien, le quotidien égyptien Al-Ahram rapporte que le Maroc avait déployé une brigade d’infanterie, surnommée «Expédition marocaine», dans le Golan. Cette brigade comprenait 52 avions de combat, dont 40 F5 et 12 MiG, ainsi que 30 chars.
Le 6 octobre 1973, soit le 10 du mois de Ramadan, les armées arabes ont surpris Israël en lançant la guerre. Les forces égyptiennes ont traversé le canal de Suez, détruit les fortifications israéliennes et avancé de 20 km dans le Sinaï. Simultanément, les forces syriennes et arabes ont progressé dans le Golan, atteignant la mer de Galilée.
Le 12 octobre, six jours après le début des combats, la Première ministre israélienne Golda Meir a sollicité l’aide des États-Unis, qui ont mis en place un pont aérien massif pour fournir des armes à Israël. Alors que les combats s’intensifiaient, le secrétaire d’État américain Henry Kissinger a souligné la nécessité d’«éviter un désastre».
À l’approche de la fin de la guerre, le 26 octobre, l’armée israélienne a repris l’avantage. Sur le front égyptien, elle a percé à Defreswar, traversé le canal et encerclé la troisième armée égyptienne et la ville de Suez. Toutefois, elle n’a pas réussi à enregistrer de victoire stratégique majeure. Sur le front syrien, Israël a repoussé les forces arabes du Golan.
Le rôle des soldats marocains
Selon Al-Ahram, 6 000 soldats marocains ont été déployés en Syrie, équipés de chars, d’artillerie et de véhicules blindés. Le bataillon marocain, bien entraîné, comprenait des soldats d’élite issus de l’ancienne caserne d’Errachidia et de «l’école de Casablanca» à Meknès. Sous le commandement du général Abdeslam Sefrioui, il a joué un rôle crucial dans la libération de portions du plateau du Golan, notamment la montagne stratégique du Cheikh.
Malgré leur bravoure, les soldats marocains ont subi de lourdes pertes face aux bombardements israéliens. L’intervention de Saddam Hussein, ordonnant à l’armée de l’air irakienne de sécuriser le bataillon marocain, a évité un désastre total.
Un soldat jordanien, Abu Riyad, a témoigné que les forces marocaines, surnommées «Brigade du bouclier», ont été placées en première ligne et n’ont pas été informées du retrait des forces syriennes, se retrouvant ainsi piégées.
Après la guerre, les médias syriens ont célébré les soldats marocains comme des héros, dans un effort pour apaiser les tensions entre les deux pays.
Les forces marocaines, reconnues pour leur bravoure, ont atteint le sommet stratégique du mont Cheikh, mais ont été prises pour cible par l’aviation israélienne, sans couverture aérienne syrienne. De nombreux soldats marocains sont tombés en martyrs, avec un bilan de 170 morts en Syrie. À Damas, une place porte le nom de «Al-Tajrida Al-Maghriba» en leur honneur.