Le mouvement GenZ 212, qui a organisé des manifestations au Maroc pour réclamer de meilleurs services de santé, une éducation de qualité et la fin de la corruption, a présenté ses revendications jeudi, dans un manifeste en ligne.
Publié après six jours de manifestations dans plusieurs villes, le document énumère huit demandes principales. Parmi celles-ci figurent le renvoi du gouvernement et de son chef, la dissolution des partis politiques accusés de corruption, la libération des prisonniers d’opinion et l’organisation d’une «session nationale de reddition de comptes» du gouvernement actuel, présidée par le Roi.
Adressé directement au Roi, le texte exprime ce que le mouvement qualifie de profonde «crise de confiance» envers les institutions, notamment le gouvernement et les partis politiques.
Renvoi ou démission ?
Ces demandes sont-elles réalisables et, plus important encore, constitutionnelles ? Abderrahim El Allam, professeur de sciences politiques à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech, a expliqué à Yabiladi que si certaines revendications de GenZ 212 sont légitimes, d’autres pourraient aller à l’encontre de l’esprit démocratique.
«Les revendications de GenZ 212 ont un esprit militant ; certaines sont raisonnables et attendues, comme la lutte contre la corruption et la libération des détenus. Cependant, d’autres nécessitent clarification et vérification.»
Abderrahim El Allam
El Allam a particulièrement critiqué la demande de renvoi du gouvernement et de son chef. «Ces jeunes manifestants devraient savoir que le chef du gouvernement ne peut pas être renvoyé», a-t-il souligné, ajoutant que «si cette demande était satisfaite, cela constituerait une violation de la Constitution».
Selon lui, la Constitution dispose que le Roi «a le droit de renvoyer tous les ministres, mais il n’existe aucun article qui lui accorde le pouvoir de renvoyer le chef du gouvernement». Il a précisé que le renvoi ne pouvait être formulé que comme une démission, comme ce fut le cas avec le gouvernement d’Abbas El Fassi en 2011, suite à l’émergence du mouvement du 20 février.
Partis et corruption : Dissolution ou responsabilité ?
Une autre demande qu’El Allam a qualifiée d’«irraisonnable et antidémocratique» est la dissolution des partis politiques liés à la corruption. «Le seul organe qui peut dissoudre un parti politique est le pouvoir judiciaire, et non le ministère de l’Intérieur ou toute autre autorité», a-t-il noté. «Il est impossible de dire qu’un parti entier est corrompu, seuls des individus au sein des partis peuvent l’être.»
Pour lui, les généralisations sont dangereuses : «Ils ne peuvent pas généraliser à propos des partis politiques, tout comme nous ne devrions pas généraliser que tous les manifestants de GenZ sont des émeutiers. Une telle demande n’a jamais été entendue dans l’histoire de l’activisme au Maroc.»
Concernant l’appel à une session de reddition de comptes du gouvernement présidée par le Roi, El Allam a été clair : «Le Roi n’est pas une autorité judiciaire.»
Pour El Allam, le manifeste illustre à la fois la passion et les lacunes du mouvement de jeunesse. «Ces revendications sont jeunes, pleines d’activisme, mais manquent de forme juridique et d’examen. Sinon, elles risquent de se contredire, demandant la démocratie tout en sapant le pouvoir judiciaire, exigeant la liberté d’expression tout en appelant à la dissolution des partis politiques, ce qui favorise le populisme et la tyrannie», a-t-il souligné.
Une crise de confiance dans les institutions
Il a également jugé naturel que le manifeste soit adressé au Roi. «Il est naturel et logique qu’ils fassent appel au Roi et non au gouvernement, puisqu’ils s’y opposent», a-t-il commenté. «Étant donné que l’une de leurs principales revendications est le renvoi du chef du gouvernement, ils ne peuvent pas demander au gouvernement de ‘se renvoyer lui-même’. Même la libération des détenus ne peut être obtenue que par une grâce royale.»
Cette méfiance s’étend aux partis politiques en général, pas seulement à ceux qui forment le gouvernement actuel, a-t-il remarqué. El Allam voit cela comme une différence clé par rapport aux mouvements de protestation précédents, notamment celui du 20 février. «Ce mouvement n’a pas demandé au Roi de changer mais a exigé une réforme constitutionnelle, appelant à une monarchie parlementaire», s’est-il rappelé. «Son plafond de revendications était plus élevé que celui du mouvement actuel. Le 20 février avait un problème avec l’ensemble du système politique, tandis que le mouvement d’aujourd’hui conteste principalement le gouvernement.»
Et cela, explique-t-il, rend les revendications actuelles potentiellement réalisables. «La libération des détenus ne nécessite pas de réforme constitutionnelle. Le renvoi du gouvernement pourrait être formulé comme sa démission, tandis que la dissolution des partis pourrait plutôt être formulée comme la poursuite des membres corrompus. Ce sont des revendications qui pourraient être satisfaites bientôt ou dans quelques mois, contrairement aux revendications du 20 février, qui étaient plus audacieuses mais ont néanmoins conduit à un discours royal, une réforme constitutionnelle, de nouvelles élections et un nouveau gouvernement.»
Il a toutefois mis en garde contre le rejet total des partis politiques. «Ils doivent penser à des alternatives, car la politique ne peut pas exister sans partis», a-t-il conclu.