Pouvez-vous nous donner des chiffres précis sur l’augmentation des appels de victimes de racisme depuis les résultats des élections européennes du 9 juin ?
L’an dernier, entre le 9 juin 2023 et le 18 juillet 2023, nous avions reçu 98 appels de victimes. Cette année, entre le 9 juin 2024 et le 18 juillet 2024, nous avons reçu 174 appels. Ces chiffres ne prennent pas en compte les permanences par mail. S’agissant du nombre de plaintes, sur l’ensemble de l’année 2023, nous avons déposé 42 plaintes. Cette année nous en avons déposé 39 au 18 juillet 2024.
Quelles sont les tendances ou les types de discriminations signalés ?
Depuis le 9 juin, nous constatons une montée de la violence et des propos racistes, des dégradations de biens ainsi que des violences physiques. Cela se fait dans cadre des interactions quotidiennes : voisins, sorties loisirs, courses. La libération de la parole raciste se fait beaucoup sentir et les propos sont de plus en plus légitimés par leurs auteurs qui s’appuient sur les résultats de l’extrême droite aux dernières élections, que ce soit les européennes ou les législatives anticipées. Au pôle juridique de SOS Racisme nous ne recevons quasiment que des cas de discrimination raciale, n’étant pas compétent pour les autres critères de discrimination.
Une communauté est-elle ciblée en particulier ?
Non, nous avons des appels qui concernent toutes les communautés. Les victimes semblent autant ciblées par rapport à leur origine, leur couleur de peau que leur religion.
Comment expliquez-vous cette corrélation entre les résultats électoraux du RN et l’augmentation des actes racistes ?
Ceci s’explique par deux grandes causes. Tout d’abord, l’extrême-droite, par une forte présence médiatique liée à son poids électoral et politique et à la décision du groupe Bolloré de «rouler» pour le RN, a pu massivement diffuser son discours de bouc émissaire qui consiste à dire : «Vous avez des problèmes dans la vie ? Eh bien, c’est à cause des immigrés et de leurs enfants. En s’en prenant à ces derniers, vos problèmes s’envoleront.» Ce type de discours justifie évidemment des passages à l’acte raciste (propos, coups…). En outre, puisque l’extrême-droite était présentée comme devant arriver au pouvoir, des personnes racistes et xénophobes ont pu se dire que, dorénavant, leur racisme et leur xénophobie ne seraient plus réprimés par les institutions. Au contraire, bientôt, se disaient-elles, les institutions seront de notre côté, elles nous défendront dans notre attitude raciste et xénophobe. Cette foi dans une victoire à portée de main aux élections législatives a sans doute contribué à des passages à l’acte par anticipation de cette victoire.
Au-delà, il est certain que l’ambiance de racisme ne date pas de cette période électorale. Elle monte depuis plusieurs années, et singulièrement depuis la réélection d’Emmanuel Macron qui a choisi, avec Gérald Darmanin et sa loi Immigration, d’agiter l’épouvantail de l’immigration afin de séduire l’électorat d’extrême-droite, avec comme résultat essentiel d’avoir conforté le racisme.
Enfin, de façon encore plus profonde, l’écosystème médiatique mis en place par Bolloré a agi comme un catalyseur à la montée de l’expression du racisme dans notre société, en diabolisant l’antiracisme et en construisant une réalité quasi parallèle dans laquelle les noirs, les Arabes et les immigrés seraient de parfaits boucs émissaires.
Face à cette ambiance d’extrême-droite, le reste de la classe politique n’a pas été à la hauteur. La loi Immigration, qui reprenait tout l’imaginaire et toutes les propositions du RN a été portée par les Républicains (LR) et votée avec les voix de la majorité présidentielle. La gauche elle-même n’a pas saisi l’importance d’affronter la droite et l’extrême-droite sur la question du racisme, pensant trop souvent pouvoir faire l’économie de cette confrontation.
©AFP
Quelles mesures proposez-vous pour lutter contre cette recrudescence des actes racistes et assurer la protection des victimes ?
Lutter contre la recrudescence des actes racistes nécessite plusieurs axes, qui renvoient à différents acteurs. La parole politique doit changer de ton et enfin dénoncer clairement et dans la durée le racisme et la xénophobie. On remarque d’ailleurs que, si le Front républicain a aussi bien fonctionné dans l’entre deux tours des élections législatives, c’est en raison du fait que les Françaises et les Français n’ont pas voulu qu’un parti raciste dirige le pays.
Mais, au-delà de leurs paroles, les responsables politiques doivent prendre des mesures fermes dans ce domaine. Par exemple en alourdissant les peines prévues pour les cas de racisme, d’antisémitisme et de discriminations et, en tout cas, en faisant en sorte que les procédures judiciaires aillent plus systématiquement à leur terme. Mais également en se penchant sur le fonctionnement de médias privés tels que ceux du groupe Bolloré qui sont devenus de vraies forces de propagation de la haine et de déstabilisation de la démocratie.
Ce sont aussi les citoyens qui sont interrogés par la période. Il est important de se réinvestir ou de s’investir dans les associations antiracistes ou de défense des droits humains afin de permettre à ces dernières – à l’exemple de SOS Racisme – de mener leur action avec plus de force. Les mobilisations de la société civile ces dernières semaines ont permis d’empêcher la victoire de l’extrême droite. Cela montre donc concrètement que s’engager, ça sert à quelque chose. Et si l’on ne veut pas s’engager dans un collectif, on a toujours une possibilité d’agir à titre individuel : en réagissant à des propos racistes, en venant en soutien à une personne ciblée par le racisme, etc.
Enfin, les victimes ne doivent pas hésiter à dénoncer ce qu’elles subissent. Il ne faut pas se laisser sidérer par les agressions racistes. Les racistes se déploient avec d’autant plus d’agressivité que les personnes qu’ils frappent se taisent, ne disent rien, s’isolent. Évidemment, ça n’est pas évident de parler du racisme subi. C’est aussi à cela que sert notre permanence juridique, où l’on reçoit les paroles en toute confidentialité mais où, à partir de là, on peut envisager avec la victime les suites à donner à ce qu’elle a subi.
Selon vous, quel rôle les médias et les réseaux sociaux jouent-ils dans la propagation ou la dénonciation des actes racistes ? Comment peuvent-ils mieux contribuer à la sensibilisation et à la lutte contre le racisme ?
Les médias traditionnels jouent hélas un rôle actif dans la diffusion du racisme, notamment sous l’impulsion de l’écosystème médiatique mis en place par Bolloré aux fins de diffusion des idées d’extrême-droite. Cela se fait d’ailleurs en lien étroit avec les réseaux sociaux sur lesquels les contenus de ces médias se retrouvent, de la même manière que les «buzz» naissants sur les réseaux sociaux peuvent aisément se retrouver sur les médias de l’écosystème Bolloré. Mais, il faut noter qu’au-delà de ces médias là, bien d’autres médias ont participé à la diffusion de véritables paniques morales (à l’image des débats insensés sur le wokisme, l’islamogauchisme) ou à la déligitimation de l’antiracisme.
À contrario, la sphère médiatique doit, dans tous ses espaces, retrouver le sens de la rationalité, le goût de la réalité et de l’exactitude des faits et l’attachement à quelques valeurs essentielles telles que l’égalité et le respect de la dignité de chacun.
© Sipa/Chang Martin
Quels conseils donneriez-vous aux personnes victimes de racisme pour se protéger et faire valoir leurs droits ?
Lorsqu’on s’adresse aux victimes de racisme, nous organisons nos réponses de la manière suivante :
1. Fondement juridique des agissements dénoncés (ex : injure, discrimination, actes à caractère racial).
2. Les démarches non contentieuses :
• Défenseur des droits pour la discrimination
• Inspection du travail pour les actes qui ont lieu dans le cadre de l’emploi
• Orientation vers des points d’accès au droit pour les personnes ne vivant pas à Paris qui souhaitent obtenir un rendez-vous en physique avec des juristes
• Courrier à la mairie en vue d’effectuer une médiation pour les conflits de voisinage
• Recours administratifs dans le cadre de litige avec l’administration publique.
3. Les recours contentieux
• Dépôt de plainte
• Saisine du Conseil de prud’hommes
• Saisine de la juridiction administrative
Dans ce cadre, nous expliquons également les démarches pour vérifier si les victimes sont éligibles à l’aide juridictionnelle et expliquons comment contacter l’ordre des avocats du territoire sur lequel résident les victimes, afin qu’elles puissent prendre attache avec un avocat si elles le souhaitent.
Nous rappelons toujours aux personnes qui nous contactent que le pôle juridique de notre association a avant tout une mission d’accès au droit. En aucun cas, nous ne pouvons être mandatés au même titre qu’un avocat pour effectuer des démarches en lieu et place des victimes. Toutefois nous nous rendons disponibles au maximum pour répondre à leurs questions, éventuellement relire des courriers et leur donner les fondements juridiques nécessaires si besoin.