Une étude publiée dans la revue BMC Medical Education éclaire désormais plus sur les connaissances et les pratiques des non psychiatres, en matière de prescription de psychotropes. Intitulée «Prescription de médicaments psychotropes par des spécialistes non psychiatres au Maroc : pratiques actuelles et besoins éducatifs» et menée par neuf chercheurs de diverses universités marocaines, elle évalue aussi les besoins de formation.
L’étude s’est déroulée du 1er septembre au 15 octobre 2021 dans trois établissements de santé au Maroc, impliquant des praticiens libéraux à Kénitra. Les chercheurs ont interrogé 150 médecins non psychiatres sur leurs connaissances, leurs pratiques actuelles et leurs besoins de formation liés à la prescription de psychotropes.
La majorité des participants (92%) ont suivi leur formation au Maroc. Sur les 150 interrogés, 105 (70%) sont des médecins spécialistes et 45 (30%) des chirurgiens. Environ la moitié (48%) travaillent dans le secteur privé, tandis que 31,3% ont plus de 20 ans d’expérience professionnelle.
Lacunes dans les connaissances et besoins de formation
L’étude a révélé plusieurs lacunes dans les connaissances des participants. La plupart d’entre eux ignorent la durée de traitement recommandée pour les troubles dépressifs (61,3%) et celle appropriée à la prise en charge de l’insomnie par hypnotiques (81,3%). De plus, 82% ont dit ne pas savoir que la sertraline pouvait être prescrite en toute sécurité aux patients âgés. 89,3% ont déclaré méconnaître la possibilité de son utilisation en toute sécurité pendant la grossesse.
Près de la moitié des participants (46%) ont dit par ailleurs n’avoir jamais prescrit de médicaments psychotropes et 43,3% ont déclaré en prescrire moins d’une fois par semaine. Une part importante (22,7%) ne se sent pas à l’aise de recommander ces médicaments, tandis que seuls 18,6% se disent confiants. Les anxiolytiques sont les plus fréquemment prescrits (30,7%), l’anxiété (35,3%), l’insomnie (34,7%) et la dépression (31,3%) étant les raisons les plus courantes de leur usage conseillé.
La plupart des participants (72%) ont déclaré avoir reçu une formation clinique en psychiatrie. Aussi, 74,7% sont satisfaits de la formation de premier cycle en psychiatrie, contre 7,3% d’insatisfaction. Cependant, seuls 11,3% des participants ont pris part à au moins une formation de FMC en psychiatrie au cours des deux dernières années. Pourtant, 54,7% ont exprimé leur intérêt à approfondir leurs connaissances en matière de prescription de médicaments psychotropes, les ateliers et les masterclasses (30%), les conférences médicales (26%) et les articles et bulletins d’information (24%) étant leurs méthodes de formation préférées.
En termes de préférences de formation, 40% des participants favorisent celles en prescription de médicaments psychotropes liées à leur spécialité, 26% une formation générale, 34% autres n’étant pas intéressés par une formation complémentaire.
Risques de la sous-prescription
L’étude a mis en évidence une réalité : de nombreux médecins non psychiatres manquent de connaissances dans la prise en charge des troubles psychiatriques courants. Ceci peut avoir de graves conséquences, menant à des pratiques de prescription inappropriées, susceptibles d’entraîner des effets secondaires, des complications, des souffrances prolongées pour les patients, voire une aggravation des symptômes.
Les médicaments psychotropes les plus fréquemment prescrits par les non-psychiatres restent les anxiolytiques et les antidépresseurs, reflétant la forte prévalence des troubles dépressifs et anxieux au Maroc. Par ailleurs, l’étude souligne que compte tenu de la pénurie de professionnels de la santé mentale dans le pays, l’amélioration de la formation des non-psychiatres en psychiatrie pourrait bénéficier à une meilleure prise en charge et à la réduction du besoin d’orientation vers des spécialistes.
Une telle formation pourrait également aider les non-psychiatres à mieux reconnaître les manifestations des pathologies et à comprendre les interactions entre les psychotropes et les autres traitements. En 2005, une étude nationale a révélé que les troubles de santé mentale étaient répandus au Maroc. Ainsi, 40,1% de la population de plus de 15 ans souffrirait d’au moins un trouble psychiatrique, les troubles dépressifs (26,5%) et les troubles anxieux (9,3%) étant les plus courants.
Au Maroc, les soins de santé mentale sont dispensés dans 83 établissements de santé primaire et unités psychiatriques dans les hôpitaux publics et privés. Cependant, avec seulement 428 psychiatres, soit 1,17 pour 100 000 citoyens (en 2020), l’accès aux soins adéquats reste limité. Les facteurs culturels jouent également un rôle, avec la stigmatisation autour de la maladie mentale. Cette tendance pousse à rechercher d’abord un traitement auprès de spécialistes non psychiatres.