À fin septembre 2024, les transferts de fonds des Marocains résidant à l’étranger ont atteint plus de 90 milliards de dirhams, en hausse de 5,2 % par rapport à la même période l’année précédente. Ces chiffres devraient encore augmenter d’ici la fin de l’année, d’après l’Office des changes. Depuis la première vague de migration marocaine à l’étranger, initiée par la génération des années 1950, ces transferts ont constamment alimenté l’économie nationale.
À l’époque, des recruteurs comme Félix Mora sillonnaient les marchés ruraux marocains, cherchant des «bras robustes» pour alimenter les mines et usines françaises où la force physique était primordiale. Depuis, malgré les crises successives en Europe et dans le monde, ces envois n’ont jamais cessé. Ce phénomène de fidélité et d’attachement au pays d’origine est-il propre aux Marocains, dans un monde où le nombre de migrants avoisine aujourd’hui les 300 millions ? Peut-être, mais selon la Banque mondiale, les envois de fonds des migrants vers leurs pays d’origine connaissent globalement une hausse continue.
Les transferts de devises, pilier stratégique
Ces transferts constituent donc un pilier stratégique de la relation entre les Marocains du monde et leur patrie. Pourtant, après plus de 60 ans de migration, un défi reste entier : comment transformer ces fonds, souvent déposés en banque, en investissements actifs dans l’économie marocaine, générant de la valeur ajoutée, de l’emploi et des revenus durables ? C’est ce que SM le Roi Mohammed VI a dit clairement dans son discours à l’occasion de la 49e commémoration de la Marche Verte, et dans bien d’autres discours auparavant.
Seuls 10 % des fonds envoyés par les Marocains du monde sont réellement investis, ce qui révèle une faille profonde dans l’écosystème actuel. Si plusieurs initiatives publiques ont été mises en place pour encourager ces investissements, il manque encore une véritable politique intégrée et cohérente pour transformer ces transferts en capital productif. La plupart de ces initiatives, bien que louables, ont été des actions ponctuelles vite abandonnées.
Je me souviens de l’expérience de la «caravane économique» organisée entre 2002 et 2007, lorsque j’avais eu l’honneur de la coordonner pour le ministère des Affaires étrangères, département des MRE. Nous avions parcouru plusieurs capitales mondiales, accompagnés de hauts responsables marocains (finances, conservation foncière, justice) et de directeurs des centres régionaux d’investissement. Ces rencontres, tenues dans un esprit d’ouverture, avaient permis aux Marocains de l’étranger d’exprimer leur ras-le-bol face à la bureaucratie, aux prix élevés de l’immobilier, à la fiscalité lourde, à l’appétit vorace des banques, au manque de transparence, et aux soucis judiciaires.
Je me souviens encore de l’intervention d’une quadragénaire à Francfort, employée dans l’industrie automobile, qui avait posé une question centrale : «Pour investir, il faut d’abord une culture entrepreneuriale. Or, la plupart d’entre nous sont des salariés. Ce que nous envoyons, ce sont nos économies de fin de mois. Comment pourrions-nous devenir investisseurs sans accompagnement du Maroc en premier lieu, en formation et renforcement des capacités en entreprise, gestion des risques, étude de marché, et autres ?»
Cultiver l’esprit entrepreneurial
Ces paroles, prononcées il y a près de vingt ans, résonnent encore. Depuis, plusieurs ministres se sont succédé à la tête du ministère chargé des Marocains du monde et la commission interministérielle instituée par décret et présidée par le chef du gouvernement se réunit ponctuellement, mais le constat reste inchangé.
Ce que disait cette Marocaine résidente à Francfort a été récemment théorisé dans un article par l’investisseur américain dans le capital-risque et start-up Skyler Fernandes, diplômé de Harvard, qui énumérait les dix qualités nécessaires pour réussir un investissement.
L’esprit entrepreneurial ne se décrète pas. Il se cultive et se soutient par des politiques adaptées, de la formation et une véritable valorisation des compétences. Aujourd’hui, la voie est tracée, mais le train est encore en gare.
La question reste ouverte : qui osera mettre en place un cadre institutionnel et incitatif à même de libérer le potentiel d’investissement de notre diaspora et de le mettre au service de notre développement national ?