Le 16 octobre 1975, le roi Hassan II a annoncé, dans un discours diffusé sur la chaîne nationale, la tenue d’une Marche verte vers le Sahara, alors sous contrôle espagnol.
Le 5 novembre de la même année, le souverain s’est directement adressé aux volontaires. «Cher peuple, demain, par la volonté de dieu, tu pénètreras les frontières. Demain commencera la Marche, par la volonté divine. Demain, tu fouleras une terre qui est la tienne. Vous toucherez un sable qui est le vôtre. Vous embrasserez un territoire de votre cher pays», a-t-il dit.
Le 9 novembre, Hassan II a cependant demandé aux participants de revenir pour permettre d’entamer des négociations. Celles-ci ont abouti, le 14 du même mois, à la signature de l’accord de Madrid. En vertu de cet accord, l’Espagne a renoncé à la partition du Sahara entre le Maroc et la Mauritanie.
Les interprétations de la CIA aux ordres de Hassan II pour le retour des volontaires
Dans ce contexte, la Marche verte a tellement suscité d’intérêt aux Etats-Unis qu’une note de la Central Intelligence Agency (CIA) lui a été consacrée, le 10 novembre 1975. «Le roi Hassan II a soudainement annulé hier sa marche collective vers le Sahara espagnol, ce qui implique qu’il avait la base d’un accord avec l’Espagne pour un règlement négocié en faveur du Maroc», fait savoir le document, déclassifié en décembre 2016.
«Dans un bref discours d’Agadir, le roi Hassan II a ordonné à ses citoyens de rentrer. Il s’est dirigé vers la ville de Tarfaya, le point de rassemblement le plus proche du sud du Maroc pour la marche. Il a déclaré que l’initiative avait ‘accompli sa mission’, laissant entendre que les revendications du Maroc sur la région seraient résolues par des négociations.»
Document déclassifié de la CIA
Dans leur analyse, les renseignements américains ont indiqué que le retour de l’ensemble des participants pourrait prendre des jours, vu qu’«un deuxième groupe a traversé la frontière, samedi, à environ 80 km à l’est du premier». «Hassan II a aspiré à une nouvelle ère dans les relations avec l’Espagne. Il a félicité l’armée espagnole pour avoir évité la confrontation avec les participants à la marche», souligne la même source.
«Le discours du roi a été donné, seulement 24 heures après les entretiens à Agadir avec un haut responsable espagnol. Hassan II n’a révélé aucun détail sur l’accord, ni sur le cadre des négociations futures, mais il a beaucoup de prestige personnel en jeu pour reculer les mains vides», analyse encore la CIA.
«L’annulation de la marche apaiserait les tensions dans la région et créerait une atmosphère plus favorable à la poursuite des négociations avec Madrid. Mais dans le même temps, Hassan II sera soumis à une pression interne croissante pour démontrer que le processus permettra bientôt de découler sur un règlement favorable au Maroc.»
Document déclassifié de la CIA
Selon le même document, «le Maroc et l’Espagne doivent encore surmonter ou ignorer l’opposition algérienne au transfert direct du Sahara espagnol au Maroc et à la Mauritanie, qui revendiquent également la région». «Hassan II a clairement ignoré l’Algérie dans son discours. Il s’oppose à la participation algérienne à toute négociation concernant le Sahara espagnol. Il n’est pas prêt à accepter un référendum d’autodétermination, comme l’exige Alger, malgré les assurances espagnoles que les résultats pourraient être manipulés», ajoute la CIA.
Le document note que «plusieurs heures après le discours du roi, la radio espagnole a diffusé un éditorial exprimant son approbation de la fin de la marche pendant le week-end, et aucun affrontement n’a été signalé».
La Marche verte, la surprise de Hassan II
Hassan II a réussi à dissimuler son projet de Marche verte, au point où les renseignements américains ne l’ont découvert qu’après son discours annonçant l’initiative. Deux semaines plus tôt, le 3 octobre 1975, la CIA a adressé un mémorandum à Henry Kissinger, alors conseiller pour les affaires de sécurité nationale. Il y est indiqué que le Maroc se préparait à une action militaire en afin d’expulser les Espagnols.
Le document, intitulé «Plans marocains d’invasion du Sahara espagnol», n’exclut pas «l’entrée de l’Algérie dans le conflit». En contrepartie, «la Mauritanie, qui revendique également le Sahara espagnol, évitera probablement toute intervention militaire».
Déclassifiée le 14 septembre 2000, cette missive indique que le roi Hassan II menait une «politique à haut risque» dans le cadre du conflit. En août 1975, il a affirmé son intention d’acquérir la société espagnole Sahaya avant la fin de l’année. A ce moment-là, «il a promis d’attendre un avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ) concernant les revendications maroco-mauritaniennes sur le territoire, mais il a peut-être décidé d’agir plus tôt, voyant la faiblesse de l’Espagne».
L’agence explique que si le roi Hassan II avait décidé de faire la guerre, il aurait «sérieusement mal évalué la possible réponse espagnole». «Bien que Madrid ne veuille ni rester dans le Sahara espagnol, ni mener une guerre coloniale, ses forces sur place résisteraient aux expulsions forcées. En même temps, Madrid appellerait les Nations unies à rétablir la paix et demanderait un soutien à Washington», souligne-t-on.
Contrairement aux prévisions de la CIA, le roi Hassan II a finalement attendu l’avis de la CIJ. Le jour-même, le 16 octobre 1975, il a prononcé le discours annonçant la Marche verte vers le Sahara.