Dans un document daté du 15 avril 1985, la CIA évoque les prémices de l’annonce de la création de l’Union du Maghreb arabe. Publié le 22 décembre 2016, la note déclassifiée souligne qu’une «rencontre potentielle en mai entre le président algérien Chadli Bendjedid et le roi marocain Hassan II pourrait ouvrir la voie à un sommet maghrébin majeur dans les mois à venir».
L’agence note que «depuis le début de l’année, les cinq pays d’Afrique du Nord – le Maroc, la Mauritanie, l’Algérie, la Tunisie et la Libye – parlent de plus en plus du ‘Grand Maghreb’ et de la nécessité d’un sommet régional pour discuter de ce concept».
Elle précise que «l’initiative principale vient du président algérien Bendjedid, qui a rencontré Kadhafi fin janvier et prévoit de rencontrer prochainement le roi Hassan II. Ces contacts sont motivés par les incertitudes sur la stabilité des alliances régionales, plutôt que par des aspirations nationalistes ou des ambitions de coopération».
«La question du Sahara occidental sera au cœur de toute réunion impliquant à la fois l’Algérie et le Maroc. Les tensions entre les deux pays empêchent tout règlement politique durable.»
Document déclassifié de la CIA
Le document, élaboré par la branche maghrébine de la section arabo-israélienne et le Bureau d’analyse du Proche-Orient et de l’Asie du Sud, indique que le sommet envisagé survient après que l’Algérie a abandonné l’idée d’inclure le Front Polisario dans toute réunion maghrébine. Il explique que «la dernière tentative de réunir les pays a été initiée par le président tunisien Bourguiba début 1985, mais l’Algérie a refusé d’y participer en raison de l’absence de siège pour le Front Polisario à la conférence».
Le document souligne également que le président Bendjedid a déclaré, dans un «discours significatif de politique étrangère le 8 avril, que les contacts intensifs de l’Algérie avec la Libye, la Tunisie et la Mauritanie ces derniers mois incluaient des consultations sur l’unité régionale. Il a insisté sur le fait que cet objectif doit être fondé sur des facteurs économiques et politiques. Bendjedid a également laissé entendre la possibilité de dévoiler prochainement un projet d’unité, soumis à un référendum public».
Objectifs divergents derrière l’organisation du sommet
En Libye, Kadhafi a fait des déclarations similaires après plusieurs rencontres avec des responsables algériens et libyens. Ces initiatives ont été complétées par des appels de la Tunisie pour une conférence maghrébine et des visites du président mauritanien Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya (1984-2005) dans toutes les capitales de la région.
Le document indique que l’Algérie est particulièrement préoccupée par l’idée d’une unité maghrébine, bien que sa traditionnelle hostilité envers le Maroc ait été exacerbée «en raison des tensions avec la Libye, malgré le récent rapprochement entre les deux pays. Il est probable que les rencontres du président Bendjedid avec le leader libyen Kadhafi, ainsi que sa rencontre prévue avec le roi Hassan II, résultent de ses efforts pour briser l’union libyo-marocaine et alléger les pressions militaires sur les frontières algériennes».
«Les menaces libyennes contre la Tunisie et le conflit du Maroc avec le Front Polisario s’ajoutent aux préoccupations de l’Algérie concernant sa sécurité nationale, qui sont les principales motivations derrière ses efforts pour tendre la main aux deux pays.»
Document déclassifié de la CIA
Une Algérie qui veut lancer une nouvelle dynamique
L’agence souligne que «les évolutions dans le conflit du Sahara occidental ces dernières années vont à l’encontre des intérêts de l’Algérie. Le Front Polisario, soutenu par l’Algérie, a perdu l’initiative militaire, malgré sa capacité à mener des attaques occasionnelles sur le mur de défense».
De plus, «l’Algérie, confrontée à une forte baisse de ses revenus pétroliers, ne peut plus se permettre de financer le projet séparatiste». L’agence suggère que «l’Algérie pourrait soutenir un certain degré d’autonomie politique qui préserverait l’identité du peuple sahraoui local».
Concernant le Maroc, le document souligne que «le roi Hassan II a toujours été en retrait des efforts pour organiser un sommet. Cependant, il est prêt à rencontrer d’autres dirigeants ; en effet, le roi est désireux de rejoindre toute initiative algérienne réussie pour parrainer un sommet maghrébin. Tant qu’il maintient sa supériorité militaire au Sahara occidental, il est peu probable qu’Hassan II renonce aux gains qu’il a réalisés».
Pour la Tunisie, son intérêt à organiser le sommet découle de «sa petite taille et de sa faiblesse politique et militaire». Quant à la Mauritanie, elle «se sent, comme la Tunisie, obligée de participer à un sommet maghrébin. La Mauritanie est actuellement liée à l’Algérie et à la Tunisie par un traité tripartite de fraternité et de concorde signé en 1983, mais le régime de Taya a adopté une position neutre envers l’Algérie et le Maroc».
«Le nord-ouest de la Mauritanie est progressivement devenu un champ de bataille entre le Maroc et le Front Polisario, et la possibilité que le Maroc construise un mur supplémentaire au Sahara occidental augmenterait la pression sur la frontière nord du pays. Cela pourrait compromettre la position déjà précaire du président Taya.»
Document déclassifié de la CIA
Besoin libyen de s’inscrire dans un bloc régional
Quant à la Libye, la volonté de Kadhafi d’y participer dépend «de sa capacité à consolider son pouvoir en interne à la suite du raid aérien américain. Compte tenu de l’engagement idéologique de Kadhafi envers l’unité et de l’intérêt de la Libye à rallier ses voisins arabes en période de pression américaine croissante, il favoriserait normalement une telle idée. Il verrait la réunion comme une opportunité de renforcer sa position dans la région et le monde arabe. Kadhafi chercherait également à renforcer l’union politique chancelante avec le Maroc, à démontrer que les différends avec la Tunisie appartiennent au passé et à établir de solides relations avec l’Algérie».
Selon le document, Kadhafi résisterait à toute tentative de l’Algérie de soutenir publiquement le Front Polisario – comme elle l’a fait avant le traité avec le Maroc – et de céder aux demandes de la Tunisie pour des relations normales.
Le document souligne qu’«une réunion infructueuse pourrait rapprocher l’Algérie de la Libye et encourager Bendjedid à organiser un sommet quadrilatéral, avec ou sans la participation du Front Polisario. L’Algérie est susceptible de voir cette étape comme un moyen d’affirmer sa dominance et d’exercer une pression sur le Maroc. L’impact de cette réunion serait négatif pour Rabat et pourrait conduire à l’effondrement de l’union libyo-marocaine».