Le droit d’accès aux biens ou à la propriété porte encore les stigmates des inégalités, qui laissent des héritières dans l’impasse de la justice et de l’administration. Alors que la réforme du Code de la famille fait débat, les situations discriminantes en termes d’héritage se croisent avec la question du taâssib et la dépassent, trouvant écho dans d’autres dispositions légales. C’est le cas des biens agricoles et urbains soumis au régime du waqf familial, une pratique ancienne de plusieurs siècles pour empêcher que les propriétés soient revendues par les héritiers, hypothéquées, données ou réparties, tout en laissant la possibilité d’en générer des revenus (usufruit) pour les descendants.
Cette immobilisation fait que les biens habous reposent sur des caractéristiques similaires à celles qui régissent les terres collectives. Ils sont imprescriptibles, inaliénables et insaisissables, dans l’esprit ancestral de cette institution islamique qu’incarne le waqf, avec un cadre juridique voulu moderne. Malgré les amendements apportés au Code des biens habous en 2010, nombre de femmes restent cependant privées de succession et d’accès au patrimoine d’un ascendant ou d’un proche dans ce cadre du waqf.
En effet, ce régime encadré par un acte juridique est voulu comme un gage de protection de la gestion du leg, en la laissant entre les mains des ayants droit. Mais il devient aussi une forme de violence économique qui déshérite des descendantes, sans voies de recours abouties pour obtenir gain de cause.
Dans le cadre d’une campagne de sensibilisation sur cette question, en ce mois de mars 2025, l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) a comptabilisé 216 waqf familiaux (Mouâquab et privé), sur la base de son étude «Le waqf privé et la discrimination de genre». Selon le recensement des waqfs de famille et des waqfs mixtes élaboré par le ministère des Habous et des affaires islamiques, ce nombre a été de 612 en 2017, dont 12,09% ont été liquidés et 87,91% sont en cours de liquidation. Les waqfs mixtes (publics et privés) recensés ont été au nombre de 4.
Une pratique détournée de son objectif principal
A son origine, la problématique du régime du waqf familial réside dans le fait que seuls les fils sont considérés comme héritiers, sans les filles. Si la lignée des descendants de ces légataires désignés prend fin, le waqf est affecté au ministère des Habous et des affaires islamiques. Si les filles de la première génération ne sont plus exclues de cette succession, depuis 2010, leurs descendantes et leurs ayants droit restent toujours privées de ce même droit.
L’ADFM a ainsi donné la parole directement aux femmes qui vivent ces situations-là, pour relater leur vécu à travers une série de témoignages mis en ligne. Dans certains cas, le droit d’accès au patrimoine s’avère être une lutte intergénérationnelle ancienne de plus de 40 ans, qui prive des héritières éligibles de bénéficier des revenus collectifs du leg, à l’image des héritiers. Dans d’autres, elles peuvent être totalement exclues de toute forme de bénéfice, abstraction faite de leur situation socio-économique souvent vulnérable, ou appauvrie en raison de cette exclusion.
Pour sensibiliser sur la question, l’ADFM a tenu également une série de rencontres avec la société civile, ainsi que des séances d’échange avec les parlementaires de la région de Marrakech-Safi, outre des ateliers de formation pour le renforcement des capacités des concernées par le waqf familial. A partir de là, l’ONG a construit sa campagne sur l’abrogation du waqf privé et mixte, en appelant à replacer le patrimoine soumis à ce régime à des dispositions équitables.
Présidente de l’ADFM à Marrakech, Maria Zouini a déclaré à Yabiladi que l’étude en question a porté sur le volet juridique, après que l’ONG a été contactées par des femmes de la région, qui ont été exclues des legs du waqf familial. La zone a aussi été choisie pour l’étude qualitative des cas, révélant le plus grand nombre de ces actes juridiques au Maroc.
La militante explique à notre rédaction que cette forme de waqf «différencie entre filles et garçons pourtant issues de la même famille» et «manque d’harmonie avec la finalité humaine et de bienfaisance du waqf général». «Elle est en contradiction avec l’esprit de la constitution qui consacre 18 dispositions en faveur de l’égalité des sexes», souligne-t-elle.
Pour ces raisons, ce régime est considéré par l’association comme un moyen d’entretenir l’exclusion des femmes de l’héritage et des revenus qui en découlent, plutôt qu’un moyen juridique issu de la doctrine islamique pour préserver le patrimoine au bénéfice de la famille, dans une logique de cohésion au profit du collectif.
Trois types de waqf sont régit par le code en la matière
Le waqf public permet une affectation du bien de manière absolue et exclusive, sans restriction aux institutions de nature religieuse, caritative ou publique.
La dotation privée ou successorale est le waqf privé (familial), selon lequel les biens sont attribués aux descendants et disparaît à la mort des ayants droit bénéficiaires.
Le waqf mixte est une dotation dont l’usufruit est réparti entre une institution caritative et les descendants de l’auteur de cet acte juridique.