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Le vote du Maroc pour le moratoire ouvre-t-il la voie vers l’abolition ?


Cinq instances pour l’abolition de la peine de mort au Maroc ont salué, ce mardi, l’annonce par le gouvernement de voter en faveur du moratoire de l’ONU, en plénière le 15 décembre 2024. Hier, le ministre de la Justice a confirmé cette position, en réponse à une question de quatre groupes parlementaires, de l’opposition et de la coalition.

Interpellé par le Rassemblement national des indépendants (RNI), le Parti du progrès et du socialisme (PPS), l’Union socialiste des forces populaires (USFP) et le Parti authenticité et modernité (PAM), Abdellatif Ouahbi a souligné que cet appui ne signifiait pas une abolition automatique, mais une suspension de l’exécution de cette peine pour une durée de deux ans, comme le prévoit ce dispositif universel périodique.

Pour autant, le ministre a souligné qu’il s’agissait d’un vote historique, le Maroc ayant jusque-là opté pour l’abstention (de 2007 à 2022). Ce changement de position traduit ainsi «une évolution significative», reflétant l’engagement du pays «à renforcer la protection du droit à la vie, conformément à l’article 20 de la Constitution», a-t-il dit.

En substance, la résolution (A/RES/77/222) relative au moratoire portant sur la suspension de l’application de la peine capitale est définie comme étant un «engagement à ne pas appliquer [cette sanction], pendant une période de deux ans». Au niveau international, les Etats sont de plus en plus nombreux à l’appuyer. Le 15 décembre 2022, elle a ainsi bénéficié des voix favorables records de 125 Etats (37 contre, 22 abstensions, 9 absences).

Assemblée générale de l'ONU / Ph. UNAssemblée générale de l’ONU / Ph. UN

Une évolution dans le traitement de la peine de mort

Dans une annonce collective, ce mardi, la Coalition marocaine contre la peine de mort, le Réseau des avocats, celui des journalistes, du personnel de l’Education nationale, ainsi que celui des entrepreneurs ont salué la décision du gouvernement, «qui met fin à de longues années d’hésitation politique». Cette déclaration, qui coïncide avec la Journée mondiale des droits de l’Homme (le 10 décembre), se félicite d’«un acquis précieux pour tous les [abolitionnistes], qui nous rapproche d’un Maroc sans peine de mort».

Les acteurs de cette mobilisation au Maroc, «outre l’ensemble des opposants à la peine de mort dans le pays, au Maghreb et leurs alliés au sein de la Coalition internationale contre la peine de mort et de l’organisation Tous contre la peine de mort», considèrent ainsi cette position comme «une avancée en matière de réforme constitutionnelle et politique positive, mais aussi une victoire pour des années de dialogue entre tous les [acteurs concernés]».

En 2004, l’abolition de la peine de mort au Maroc a été l’une des principales recommandations du rapport de l’Instance équité et réconciliation (IER). Au niveau international, elle est mentionnée dans le deuxième Protocole facultatif au Pacte relatif aux droits civils et politiques. Dans les dispositions internes, le droit à la vie est par ailleurs consacré dans l’article 20 de la Constitution de 2011.

Mais à partir de 1993 déjà, le Maroc a suspendu toute exécution de la peine capitale. Cependant, celle-ci a continué à être prononcée. En 2023, les tribunaux ont rendu 83 verdicts à cet effet, selon le rapport annuel du Conseil national des droits de l’Hommes (CNDH). Dans nombre de ses publications, l’institution a d’ailleurs réitéré ses recommandations pour une abolition totale, en phase avec les dispositions internationales, les principes constitutionnels et les conclusions de l’IER.

Photo d'archive / Ph. CNDHPhoto d’archive / Ph. CNDH

Cela a été le cas notamment ces quatre dernières années, durant lesquelles le CNDH a fait part de l’absence d’une démarche claire du gouvernement et du Parlement pour tenir un dialogue national à ce sujet, ou encore un débat juridique fondé sur les principes universels.

Au sein des ONG également, la question fait réagir. Publié en décembre 2020 et coordonné avec les acteurs de la société civile, un mémorandum du Centre d’études en droits humains et démocratie (CEDHD) intitulé «Pour l’abolition de la peine de mort – plaidoyer pour l’adhésion du Maroc au deuxième Protocole facultatif à l’abolition» a consacré un passage à une analyse de la position de statu quo, adoptée de fait depuis 1993.

Consulté par Yabiladi, le document indique que «le moratoire de facto ne correspond pas à la position favorable au maintien de cette sanction inhumaine, puisqu’il contredit l’idée selon laquelle la peine de mort constitue un jugement dissuasif face à la criminalité». Le CEDHD explique ainsi que «le moratoire confirme que cette idée-là est une allégation infondée, qui ne prouve pas que les crimes passibles de la peine de mort selon le Code pénal marocain connaissent une hausse, depuis la suspension des exécutions dans notre pays».

Le Parlement du Maroc / DR.Le Parlement du Maroc / DR.

Vers une possible abolition de la peine de mort au Maroc ?

En phase avec les principes de la réforme constitutionnelle et dans l’esprit de cette analyse, un Réseau des parlementaires contre la peine de mort a vu le jour au Maroc, durant la neuvième législature (2011 – 2016). Parmi ses membres fondateurs auprès de Nouzha Skalli (PPS) figure Fouzia Elbayed, rapporteuse à ce moment-là, sous son mandat d’élue de l’Union constitutionnelle (UC). Contactée par Yabiladi pour commenter ce récent changement, l’ancienne membre du bureau de la Commission justice, législation et droits de l’Homme s’en félicite, en espérant que ce soit «annonciateur d’une nouvelle dynamique de débat législatif et institutionnel, pour une abolition effective».

«Durant cette neuvième législature, le Réseau des parlementaires contre la peine de mort, représenté par des élus, hommes et femmes, a présenté une proposition de loi visant à abolir la peine de mort. Je pense que le processus a atteint la maturité nécessaire et qu’il est temps de sortir cette mouture, pour la soumettre au débat et au vote.»

Fouzia Elbayed

Fouzia Elbayed estime en effet que «l’annonce d’intention et de principe doit être suivie d’une approbation effective, pour donner lieu à d’autres étapes de mobilisation et de plaidoyer, de manière à faire que les tribunaux ne se contentent pas de ne pas ordonner l’exécution de la peine capitale, suspendue de facto depuis 1993, mais qu’elles ne prononcent plus la peine de mort».

Fouzia Elbayed au sein du Réseau arabe des parlementaires contre la peine de mort / archiveFouzia Elbayed au sein du Réseau arabe des parlementaires contre la peine de mort / archive

«L’inclusion de cette disposition à la législation marocaine est un stade avancé vers l’abolition que nous aspirons à atteindre et qui est l’horizon de nos attentes», a encore affirmé Fouzia Elbayed à notre rédaction. A ce titre, l’ancienne élue a souligné que cette position traduisait aussi «des années de travail accumulé, outre la dynamique du Réseau parlementaire au niveau régional, arabe et africain, pour une mobilisation et une sensibilisation plus large et plus impactante».

Du côté de la société civile, l’Association marocain des droits humains (AMDH) a recommandé également l’abolition de la peine de mort dans de nombreux rapports, notamment celui de 2022. Cette année-là, l’ONG a estimé que les voies étaient ouvertes pour une prise de décision politique à cet effet. Contactée par Yabiladi, l’avocate et membre du bureau central de l’organisation, Souad Brahma, souligne que la récente décision de vote du moratoire «intervient après un long chemin parcouru dans la mobilisation, avec les efforts de la société civile et l’AMDH à sa tête, en vue d’harmoniser notre arsenal juridique avec les dispositions internationales, à commencer par le droit universel à la vie».

«De ce fait, nous ne pouvons qu’approuver ce nouveau pas, mais tout en insistant bien qu’il ne s’agit pas encore d’une abolition, laquelle donne la possibilité à la justice de corriger les éventuelles erreurs qui peuvent être commises dans le rendu d’un verdict, tout en préservant la vie du condamné, en lui garantissant des voies de recours juridique et des peines alternatives», nous dit Me Brahma.

AMDH - archive / Ph. YabiladiAMDH – archive / Ph. Yabiladi

«Ce vote est historique car le Maroc approuve ce moratoire pour la première fois, certes. Mais en termes de dispositions nationales, les effets juridiques pourraient ne pas être conséquents, puisque cela fait plus de 20 ans que le Maroc suspend l’exécution des peines capitales prononcées. Toujours est-il qu’il y a ici un pas qui s’ajoute à l’accumulation des efforts, ouvrant la voie vers la décision politique à laquelle nous appelons et qui est l’abolition totale.»

Me Souad Brahma

Pour l’avocate, cette abolition effective permettra «le respect des engagements internationaux du Maroc, de ses dispositions constitutionnelles, mais aussi la mise en œuvre des recommandations de l’Instance équité et réconciliation (IER), ainsi qu’une ouverture vers l’adhésion au deuxième Protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui prévoit cette abolition».





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