Comme tout pays ayant subi l’injustice et l’oppression du colonisateur, ainsi que la répression postcoloniale, le Maroc a lui aussi disposé de ses organisations secrètes et clandestines. Des groupuscules destinés tantôt à lutter contre le protectorat français et espagnol, tantôt à mener la vie dure au roi Hassan II. En effet, l’ère tristement célèbre de «années de plomb» au Maroc a été précédée par la naissance de plusieurs organisations ayant opéré dans la clandestinité. Leur objectif ? Renverser le pouvoir du roi Hassan II par tous les moyens.
C’est le cas du «Tanzim», la branche armée affilée à l’Union socialiste des forces populaires (UNFP), dirigée par Mohamed Fqih Basri. Créée non pas en 1969-1970 mais bien avant cette date, et ayant opéré dans la clandestinité pendant plusieurs années, au Maroc comme à l’étranger. Le groupement fera parler de lui en mars 1973 lorsque les autorités marocaines feront échouer un complot. Les «Evènements de Moulay Bouazza» seront gravés dans les annales de l’histoire et enfonceront le dernier clou dans le cercueil de l’UNFP.
Hassan II-UNFP : Je t’aime, moi non plus !
Mais avant d’aborder le «Tanzim», il faut d’abord savoir que la création de cette organisation clandestine est la cause de plusieurs événements ayant marqué l’histoire du Maroc postcolonial, à l’instar des arrestations de 1959, le complot déjoué contre le roi Hassan II en 1963 ainsi que la disparition à Paris de Mehdi Ben Barka.
Nous sommes en août 1963. Deux ans seulement après l’intronisation du roi Hassan II, Ahmed Bahnini alors le ministre de la Justice, annonce que le royaume venait de déjouer un complot contre le jeune monarque. L’Union socialiste des forces populaires (UNFP) avec Mehdi Ben Barka, Abderrahmane Youssoufi et Mohamed Fqih Basri sont alors désignés comme cerveaux du putsch. Pour certains d’entre eux, ce n’est pas la première fois que le régime les montrent du doigt, surtout après les arrestations des deux derniers en décembre 1959. Tout commencera suite à une annonce d’un «complot contre le roi» qui surprendra l’opinion publique nationale et internationale. Le 16 juillet 1963, alors que le Comité central de l’UNFP est en pleine réunion pour asseoir le boycott des élections municipales, le lieu de la rencontre est encerclé par les autorités. Des participants, à l’instar d’Abderrahim Bouabid et Abderrahmane Youssoufi sont alors arrêtés et emmenés au commissariat du Maârif.
Au Micro, Abderrahmane Youssoufi, à sa droite Mohamed Fqih Basri et à sa gauche, Mehdi Ben Barka. / Ph. Wikipedia
Deux jours plus tard, la Direction générale de la sécurité nationale publie un communiqué annonçant la découverte d’un complot préparé depuis plusieurs années pour porter atteinte aux «valeurs sacrées» du pays. L’enquête préliminaire ne s’achèvera qu’en août, date à laquelle les autorités indiqueront que le complot tendait à assassiner le roi à l’intérieur de son palais. Un procès s’ouvrira aussitôt et durera plusieurs mois avant que le verdict ne tombe le 14 mars 1964 : Peine capitale contre Fqih Basri, Omar Benjelloun et Moumen Diouri ; condamnation à mort par contumace contre Mehdi Ben Barka et Cheikh Al Arab. Abderrahmane Youssoufi, les plus chanceux du groupe, sera inculpé d’une peine de deux ans de prison avec sursis.
Une cellule clandestine aux dimensions internationales
Mais le roi Hassan II interviendra ensuite, dans une volonté de tendre la main encore une fois à l’UNFP, pour décréter une amnistie générale. Une tentative qui échouera avec les événements du 23 mars 1965, la déclaration de l’état d’exception en juin 1965, puis l’enlèvement de Mehdi Ben Barka en octobre de la même année. Ce dernier événement sera le point du non-retour dans la détérioration des relations entre le palais et l’UNFP.
«L’assassinat de Mehdi Ben Barka en octobre de cette même année à Paris aggrava la rupture entre l’UNFP et le Palais. Plusieurs arrestations de leaders politiques, syndicalistes, estudiantins et de la presse marqueront les 5 années d’état d’exception : Omar Benjelloun, Mahjoub Benseddik, Ali Yata,…», rapporte Nour-Eddine Saoudi, dans son ouvrage «Femmes-prison : Parcours croisés» (Editions Marsam, 2005).
Les événements du 23 mars 1965 à Casablanca. / DR
En 1966, Fqih Basri choisit l’exil volontaire et quitte le Maroc. Retraite de la vie politique ? Bien au contraire ! Le ténor de l’UNFP commencera une nouvelle phase de son histoire en préparant une organisation secrète qui visera le renversement de la monarchie. Une organisation qui sera soutenue par plusieurs pays étrangers, comme l’Algérie, dans un premier temps, puis la Libye ou encore la Syrie. Aux camps Zebdani, pas loin de la capitale Damas, des Marocains y trouveront un terrain fertile pour commencer des entrainements paramilitaires avant de retourner au Maroc, comme le raconte Mehdi Bennouna dans son ouvrage «Héros sans gloire. Echec d’une révolution» (Editions Tarik, 2002).
«L’organisation, sobrement appelée « Tanzim », est née dans une ambiance internationale, de lutte des fedayin palestiniens, de baasisme en Syrie et d’euphorie du FLN algérien. Finalement, c’est à Damas que le destin de ces hommes se noue autour d’un projet commun: matérialiser l’option révolutionnaire. Comment ? D’abord grâce à des agents recruteurs du Fqih, comme Lakhsassi et Taoufiq Drissi, qui infiltrent les milieux de l’UNEM en France et attirent des étudiants. (…) D’autres dirigeants du Tanzim, comme Dahkoun, ont récupéré des hommes du réseau de Cheikh Al-Arab, mais aussi des enseignants gagnés par le vent de la révolte. Tout ce beau monde se retrouve en 1969 au camp Zabadani en Syrie pour un entraînement aux méthodes révolutionnaires. Cinquante militants marocains (officiellement, ils sont Tunisiens venus rejoindre les Fedayin palestiniens) y établissent leurs quartiers.»
«Entre décembre 1969 et début 1970, des groupes de commandos du Tanzim dirigé par Fqih Basri s’infiltrent de l’Algérie et d’Espagne. Mais, ils seront cueillis avant même d’avoir agi, suite à une dénonciation. Les conjurés seront déférés devant le tribunal de Marrakech début 1971 pour complot fomenté à l’étranger», rapporte, quant à lui, Nour-Eddine Saoudi.
Fqih Basri, Abderrahim Bouabid et Mehdi Ben Barka. / Ph. DR
«Tanzim» et l’échec monumental des «Evénements de Moulay Bouazza»
Le Maroc est ensuite bouleversé par les manifestations des années 1970 puis par les deux coups d’Etat et de plusieurs procès. Ce n’est qu’en mars 1973, à la veille de la fête du Trône, que les autorités marocaines démantèlent la première celle du Tanzim en 1970, d’autres membres se seraient échappés. «A la veille de la fête du Trône du 3 mars, de multiples actions sont perpétrées par des commandos du Tanzim du Fqih Basri : attaque du poste militaire de Moulay Bouazza, cocktails molotov à Khénifra, bombes posées à Casablanca, Rabat, Nador, et Oujda», racontee l’auteur de «Femmes-prison : Parcours croisés». Mehdi Bennouna revient notamment sur une «réunion stratégique» tenue à Paris par la direction du Tanzim. Une rencontre durant laquelle «l’action armée» contre le régime marocain est officiellement préconisée. «Une opération devait être menée le 3 mars 1973, puis reporté, puis effectuée en solo à Moulay Bouazza (près de Khenifra). Ce cafouillage sera fatal. Plusieurs dirigeants seront tués ou arrêtés dans la foulée», poursuit-il.
Feu le roi Hassan II assistant aux funérailles des victimes du coup d’Etat de 1971. / Ph. AFPLe roi Hassan II assistant aux funérailles des victimes du coup d’Etat de 1971. / Ph. AFP
Les «Evénements Moulay Bouazza» ont été notamment racontées par l’ex-colonnel Mohamed Mellouki :
«À minuit précise des postes administratifs de toutes natures devaient sauter, simultanément, dans cinquante localités, parmi elles Azilal. La stratégie consistait à provoquer une panique au niveau du Pouvoir qui réagirait par l’envoi massif de troupes dans la zone concernée. Cette perspective devrait occuper le gros de l’Armée en montagne, entraîner, de fait, un allègement des effectifs militaires en garnison dans les villes, et augmenter les chances de réussite du deuxième acte de la stratégie. Celui d’une subversion urbaine dont les réseaux avaient été, préalablement, mis en place dans les principales villes et n’attendaient que le signal pour passer à une série d’exécutions physiques et actes de sabotage de diverses natures (…). Ainsi, le Pouvoir se serait trouvé confronté à une double subversion qu’il aurait du mal à maîtriser. Celle-ci aurait, du coup, encouragé le peuple à se soulever.»
Toujours selon lui, «Tanzim» de Fqih Basri disposait de «quarante-neuf cellules» qui devaient, ce jour-là, réagir mais qui ont fini par recevoir, dans la journée du 2 mars, l’ordre de reporter l’attaque d’une semaine.
Malgré une tentative de se désengager de la cellule de Fqih Basri, l’UNFP sera encore une fois pointée du doigt. Suite aux événements de mars, la formation politique sera suspendue et ses locaux scellés, pour avoir servi de couverture à une activité clandestine, subversive et illégale visant à porter atteinte aux institutions du royaume.